Sur la richesse ou l’appauvrissement qu’amènerait la faconde banlieusarde à la langue, on peut gloser à l’infini. Et louper l’essentiel : l’autochtone de la téci (ou d’ailleurs) est si souvent en représentation que son
je te kiffe
vaut déclaration d’amour. Pas étonnant que les filles du sexe féminin le trouvent relou.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Le verbe est coloré, aucun doute là-dessus. Il sous-entend le « plaisir », le « bien-être », la « joie » et, appelons un joint un joint, l’« euphorie » causée par le kif, ce haschich du bled. Kiffer sent le soufre, suinte l’addiction (hallucinogène ou affective) voire l’érotisme lié au fait d’inhaler et de se laisser envahir. Précisément, un gentilhomme peut-il mettre sur le même plan une idylle et deux taffes ? Le cœur (flamboyant) et les poumons (cramés) ?
On vous l’accorde, se laisser aller à dire
je t’aime
requiert d’en avoir dans le slibard de l’entraînement. Mais bande de bonobos, voyez pas la différence de calibre ?
Je te kiffe
est la formule d’un flirt au maximum. Pas celle d’un amoureux transi, méfiez-vous. Transposez le C.O.D. à la 2e personne du pluriel et « je te kiffe » s’effondre comme une barre d’immeubles après le compte à rebours.
C’est que kiffer ne pose qu’un jugement tout juste subjectif, qui sert pour tout ; on pourrait aussi bien dire « je kiffe le poisson pané ».
L’on vous fera grâce ici du rutilant (sic d’avance) :
Laisse-moi kiffer la vibes avec mon mec.
Mais, objectez-vous, idem pour le verbe aimer : « j’aime le poisson pané ». Rââh, permettez. Cas unique en français, aimer s’anime d’un sens plus fort tout nu qu’habillé :
Je vous aime ;
Je vous aime beaucoup
Hein ! Au bout de la seconde proposition, on s’attendrait à ce qu’un mais parachève le râteau.
Alors que, vous en conviendrez,
je te kiffe
et
je te kiffe grave
barbotent sensiblement dans le même marigot sémantique.
Il n’est pas né le colin qui vous éconduira, au moins.
Vaste sujet, souvent traité ici même (là pis là aussi) que l’expression amochée des émotions…
Vivement
j’te prends j’te nique !
Merci de votre attention.