Certains concepts un brin périlleux n’apparaissent à notre esprit plein comme un œuf qu’en filigrane. Aussi écorche-t-on le mot qui les porte. On évitera donc d’affirmer qu’« en filigramme » sort de la bouche des cuistres, appellation obscure et pédante comme ceux qu’elle désigne. Les auteurs de ce barbarisme (cette barbarie ?) seront plutôt, à proprement parler, des khôuillons.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Car il faut bien reconnaître que dire « filigramme » pour filigrane à cause de milligramme, c’est un peu khôuillon. Même si, on le concède volontiers, tout ce petit monde est atteint de paronymie – autre terme à prendre avec des pincettes si on n’est pas sûr – et que cela constitue une circonstance atténuante, comme l’idée de ténuité commune.
Comment ? Exténués ? Voici pourtant une autre excuse pour les tenants de « filigramme » : l’hésitation remonte à loin.
1664 très exactement : en Orfèvrerie du Sud, on utilise alors la technique du « filigramme » pour dorer une belle pierre qui mousse. Dès 1665, filigrane lui fait concurrence. En 1818, « filigramme » joue toujours des coudes dans le sens qu’on lui connaît : « marque que l’on voit par transparence dans une feuille de papier ». Il faut attendre 1835 pour que filigrane triomphe dans le dico académique grâce à ses racines zitaliennes : filigrana, littéralement « fils et graines » dessinant la fameuse empreinte dans le papier.
On peut être d’autant plus attiré par « filigramme » que, pour ne rien arranger, le papier, ce saligaud, possède un grammage, mot des papetiers pour dire poids (60 g/m², 90 g/m²…).
D’où ces vers immortels du poète :
Sans mentir, si votre grammage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Vous aurez lu entre les lignes : toujours replacer le frometon dans son papier.
Comme quoi, devant le vocabulaire, on a souvent les yeux plus gros que le ventre.
Merci de votre attention.