Comme disait le vieux McLuhan un jour où il avait tout pigé : « le message, c’est le médium » [au sens de média hein, pas de « Mme Irma »]. Il était donc couru d’avance qu’on se tirât le portrait à bout de bras (et à tout bout de champ) dès que la chose fut techniquement possible. Plus besoin d’autrui pour exister dans son regard : le « selfie » était né.
Mais revenons à nos moutons, faces de canard.
Coudoyez un pote, une célébrité, posez devant un tableau connu, ne reculez devant rien, du moment que vous prenez toute la place sur la photo. Mais assez bavé du fond, c’est après la forme qu’on en a.
Car, à moins de nager dans l’erreur, « selfie » est le petit nom de self-portrait. Et qu’est-ce qu’un self-portrait sinon un autoportrait, de ce côté-ci de la plage ?
« Selfie » parvient donc sans qu’on moufte à se substituer à un mot existant jusqu’à le faire disparaître. Disons-le tout net : it’s a shame.
Avouez d’ailleurs qu’à autoportrait, vous avez tiqué : il rancit déjà. Mais quelle noblesse, comparé à « selfie » !
C’est que le vilain a les défauts de ses qualités, ou l’inverse :
– branché (à croire que tout ce qui est « en avance » vient de l’anglais) ;
– court, par la grâce du diminutif. Mais imaginez qu’il faille abréger autoportrait. En se basant sur « selfie », ça donnerait « autonou ». Craignos, les atours.
– ce petit suffixe indique surtout l’aspect « jetable », anecdotique du résultat. C’est dire la valeur qu’on lui accorde. Sans parler du temps, n’excédant jamais la longueur du bras déclencheur.
Vingt contre un que « selfie » s’impose dans toutes les langues où il a un équivalent. Si le principe n’a rien de nouveau nulle part, pourquoi importer le même mot partout ?
Sur cette lancée, traduisons de ce pas des trucs aussi innocents que plat du jour, 2èmes démarques ou airelles, qu’on rigole (à moins que ça ne soit déjà fait ? beuh).
Merci de votre attention.