Ça doit être notre côté germanique refoulé (vive Maginot) : on préfère se mettre des r plein la bouche, quitte à passer pour des frustrés à la langue un peu fruste. Dans le genre rustres hein.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Sous l’influence du nom rustre, le locuteur lambda transformera l’épithète fruste en un « frustre » qui n’existe qu’aux 1e et 3e personnes du verbe frustrer. Et encore, faut déjà être méchant :
Qu’est-ce que ça me frustre ;
Je le frustre exprès.
Pente fatale qu’il est grand temps de remonter en rappel grâce à une mnémotechnique incroyablement affûtée.
Déjà, remettons-nous bien dans la soupière le sens de fruste :
mal dégrossi
en parlant de quelqu’un.
Celui de rustre, fort proche, appelle la confusion que c’en est indécent :
homme grossier et brutal.
Le bœuf, quoi. Pouvant donc légitimement se sentir frustré, ce qui n’arrange rien.
Heureusement, l’étymo nous prend par la main comme à l’accoutumée.
Fruste (premier sens : « rugueux, mal poli ») vient du latin frustum, alias « morceau », rapport à l’indo-européen bhreus, « casser » (→ briser, fracture).
Rustre (premier sens : « habitant de la campagne, paysan ») éclot du latin rusticus qu’on connaît par cœur.
Et hop ! Fruste : un seul r comme dans Frühstück, alias « manger un morceau » (plus exactement « morceau tôt », vive Maginot).
Rustre : deux r, comme dans rural.
Plus qu’un emmêlement de pinceaux, « frustre » est un cri du cœur : on y exorcise une frustration dont c’est peu dire qu’elle mène le monde.
Le meurtre ? Frustration incontrôlée.
L’art ? Frustration transcendée.
Le paradis ? Frustration d’être mortel (marche aussi avec les enfants).
L’amour ? La guerre ? Le progrès ? Frustrutiu, frastratia, fronstrontion.
Et le plus beau pour la fin : le capitalisme, machine à frustrer auto-nourricière.
Dans le genre rustre hein.
Merci de votre attention.