Tout doucettement, « ça me pose question » s’est mué en « ça m’interroge ». Sans doute sous l’influence de « ça m’interpelle », qui avait déjà repoussé les limites du grotesque.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Dans le registre de la question existentielle, « ça m’interroge » franchit un cap : c’est la vision même du monde qui est remise en cause. Enfin, s’il faut en croire le locuteur. Expression typique du pédant de service, « ça m’interroge » est prétexte à parler de soi plutôt que de la question du jour, y compris dans l’indépassable
j’ai une question qui m’interroge.
Tout ça pour éviter d’articuler :
ça me fait m’interroger,
plus lourdingue mais correct.
Titiller, travailler, turlupiner marchent avec ça, eux. Vous pouvez toujours essayer de turlupiner quelqu’un, si ça vous chante.
Mais l’absurdissime réside dans l’inversion du sujet : jusque-là, seule la maîcresse et une ou deux figures d’autorité pouvaient interroger quelqu’un. Lequel, dans un accès pronominal, finissait éventuellement par s’interroger dans son coin. Dorénavant, quelque chose nous interroge. On y consent d’autant plus que c’est nous qui choisissons quoi. Et, tout occupé à se laisser interroger, on en oublie de se creuser la soupière : l’essentiel est dans l’air qu’on se donne.
Phase dite du nez dans le caca (parce qu’on n’y coupera pas) :
Interroger : questionner (qqn) avec l’idée qu’il doit une réponse :
la police interroge les témoins.
Ou, à la rigueur,
examiner avec attention (qqch) pour trouver une réponse à des questions :
interroger le passé.
Dans « ça m’interroge », ça est donc censé trouver une réponse en moi. Pratique ! Sauf qu’on ne la voit jamais, et pour cause.
Notez que
la police interpelle les suspects
également, ce qui donne du grain à moudre au soi-disant interpellé de tout à l’heure.
La police n’est pas censée interroger à coups de bottin dans la gueule, pourtant c’est ce que mériteraient ceux que le procédé interroge.
Merci de votre attention.