Comment rappeler votre nom à quelqu’un qui ne vous remet pas ?

 

On est parfois plus célèbre qu’on ne croit. D’où cet illustre inconnu peut-il bien vous connaître ? Au point de vous tutoyer qui plus est ? Vous voulez bien être changé(e) en cochon si l’endroit où vous les auriez gardés ensemble vous revenait en mémoire.

Voilà pour l’épisode plaisant. Mais la gloire cèdera bien vite la place à l’anonymat. Ainsi, à peine tombez-vous sur cette vieille branche, cette connaissance du temps jadis, ce long lost friend dans la langue de Shakespeare, que vous décelez dans son œil qui se fige un effort désespéré pour vous remettre. Et toutes les contorsions linguistiques qui vont avec pour éviter de balancer un nom au petit bonheur la chance.

Si l’autre n’a pas plus changé que ça, vous non plus, sans fausse modestie. Du moins vous semble-t-il. Alors quoi ? La vexation le dispute à une désillusion dont l’amertume n’a d’égale que la tendresse que vous lui portiez, à çui-là/cellate.

Vous avez le choix : relativiser en songeant qu’on est bien peu de chose ou, au contraire, réparer l’oubli, histoire de cautériser un peu votre amour-propre.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en fantôme civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Lorsque vous sentez arriver le râteau à retardement (ou « râteaurdement », au risque d’un mot-valise), proposez à l’interlocuteur un blase totalement différent du vôtre. Savourez alors ses ronds de jambe, sachant que les conjectures sur votre identité iront bon train quoi qu’il arrive sitôt que vous aurez pris congé.

 

♦  Œil pour œil, dent pour dent : feignez d’avoir à votre tour son nom sur le bout de la langue.

 

♦  Des scrupules ? Tentez le coup du jumeau caché. Convaincu de n’avoir – et pour cause – aucun souvenir commun avec vous, il n’essayera même plus de vous situer, vous épargnant ainsi qu’à lui-même la comédie des retrouvailles. Une fois la méprise dissipée, libre à vous d’enchaîner sur le curriculum de votre homozygote.

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♦  Portez toujours sur vous un badge nominatif. Si vous travaillez en caisse, comme officier de police ou agent au service secret de Sa Majesté, la force de l’habitude aura raison de la gêne.

 

♦  Réunissez tout le pognon nécessaire et changez votre nom en Machin(e). Et si c’est un peu raide à porter, pourquoi pas un nom composé ? Trucmuche, Machin-chose… Ça arrangera ceux qui détestaient leur prénom et évitera bien des déceptions face à vos oublieux.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Sympa

 

Avez-vous observé comme sympa est déjà sympa en soi ? Formé par apocope (cette amputation des jambes qui nous vaut le p’tit déj en pyja), le mot semble ne faire qu’un avec la chose. D’ailleurs son antonyme antipathique, lui, n’a pas droit à son diminutif ; même entier, on rechigne à le prononcer, l’affreux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si l’adjectif est devenu passe-partout, c’est qu’il couvre la frange la plus embouteillée de l’échelle des valeurs, pile entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Est sympa ce qui laisse un bon souvenir sans prétendre à la postérité. On s’exclame, admiratif :

Sympa, cet appart !
Sympa, ce yaourt !

Sympa nous dispense ainsi d’étayer nos jugements : de même que le film est bien, la moto est bien, bien la chemise, non, vraiment sympa. On considère une soirée sympa comme réussie, une fille sympa comme agréable (alors que l’adjectif résumant « qui gagne à être connu », tu peux chercher).

Dans ce sens, sympa s’est installé à la place de chouette, qui tend à dépérir. Dommage parce que le mot était sympa.

 

De son vrai nom sympathique, l’intéressé a une longue histoire. Les toubibs savent détecter de toute éternité une « douleur sympathique », celle qui se déclare par ricochet à un bobo antérieur. Phénomène de sympathie, qui a fini par désigner au figuré la réaction épidermique provoquée par un être ou une chose. Un quartier de notre système nerveux a même pris le blase de « système sympathique ». Nettement moins sympa que ce qui précède, je ne souhaite à personne d’être atteint de sympathicotonie, sous peine de passer sur le billard pour une sympathectomie

Et que dire de l’encre sympathique, cette substance invisible façon jus de citron que même James Bond se fait avoir, tout 007 qu’il est ! Sens scientifique hérité de la médecine : « qui agit à distance, ou indirectement ». Les acousticiens connaissent par cœur ces « cordes sympathiques » qui vibrent grâce à la résonance de leurs sœurettes.

Il est grand temps de se pencher sur l’anglais sympathy (« compassion »). Faux-ami ? Du tout. Plutôt la version grecque (συμπα ́θεια, « participation à la souffrance d’autrui ») de la compassion latine (cum-patio, « souffrir avec »).
Scalpel, please.
Sympathie s’échafaude avec le préfixe sym : « avec », « ensemble » (symbiose, symphonie, synonyme) et le radical παθ- (pathe) : « ce que l’on éprouve », notamment la douleur sous toutes ses formes (névropathe, psychopathe, pathologie…). Ah ? L’apocope de tout à l’heure ne serait-elle qu’un innocent effet de mode ? Cachez ce mal que je ne saurais voir ?

 

Sous la plume de certains critiques est apparu dernièrement l’avatar sympatoche. Çiloui-là, vaut mieux pas en abuser ! Sentez comme on y passe d’une bienveillance feutrée à l’indifférence, voire au rejet déguisé ? Si c’est pour « souffrir avec » une œuvre tout juste sympatoche, alors non, alors.

Merci de votre attention.