Les angles morts

 

Les chercheurs ont montré que, loin de n’utiliser que 10% de notre cerveau, nous le sollicitions en réalité en permanence. On se disait aussi : chez les khôns, il turbine à plein régime.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il y va des neurones comme des recoins du foyer. Ce centimètre carré derrière la porte, sous le radiateur, entre deux interstices, ne sera jamais foulé par vos savates. Sans parler de la quasi-totalité de la surface des murs et plafonds, seulement visitée par ces saloperies de mouches. Et pourtant, sans ces no man’s lands domestiques, ce ne serait pas tout à fait chez vous, hein dites.

Même dans l’exigu habitacle de la bagnole, certaines régions de l’accoudoir gauche ou de la banquette arrière demeurent totalement vierges, après plusieurs années de bons et loyaux services.

Et que dire du réseau autoroutier que le monde nous envie ? L’asphalte immaculé de la bande d’arrêt d’urgence : combien de fois le trajet Terre-Lune ?

Quant aux brins d’herbe de votre carré de jeu favori, ceux que vous avez dédaignés sans le vouloir se comptent sans doute par milliers.

 

Votre propre enveloppe charnelle tiens : pareil. Aux prochaines ablutions, recensez les parties du corps parfaitement inatteignables – y’aura des surprises. Pourquoi croyez-vous que les ostéopathes aient pignon sur rue ?

Et avez-vous songé au temps passé à regarder droit devant, et à manquer ce qui se passe dans votre dos ? Hein, sur toute une vie ?

 

De même, mettez une guitare dans les mains d’un prodige manouche ou du gratteux du coin et vous évaluerez rapidement la différence de potentiel à nombre de cordes et de doigts égal.

 

Terrifiant non, cette inexploitation générale ? Voilà le véritable gâchis – invisible qui plus est.

N’oubliez pas que la nature a horreur du vide, alors mettez-y un bon coup.

Merci de votre attention.

 

Brun de toilettes

 

Juillettiste, aoûtien, même combat. Trop souvent, le chemin de la pause pipi mène à ces aires d’autoroute pour lequel l’adjectif immonde semble avoir été inventé. Non pas les plus fréquentées, aux WC quotidiennement entretenus car intégrés au restaurant ou à la station-service. Je veux parler des cabanons généralement en briques n’offrant à l’estivant que la possibilité de se soulager – ou de se retenir encore 72 km, tant la pestilence y est insoutenable.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Allez savoir pourquoi, détergents et serpillières semblent avoir déserté depuis l’origine ces oasis de fétidité. Où viennent grossir nos propres humeurs : pissous de tribus nordiques, grosse commission belge, urine de Hollandais à caravane, générosité italienne, écoulements allemands, souvenirs du Portugal, gouttelettes anglaises, sécrétions du Liechtenstein, flaques helvétiques, Turques dans leur élément… Vous avez raison, vaut mieux pas savoir. Sur l’échelle de la civilisation, cet enfer sur terre, ce summum du refouloir, cette internationale de la pisse nous relèguent plus bas que l’animal. Lequel en effet n’assouvit jamais ses besoins en meute, marquant son territoire justement pour dissuader ses congénères d’y lever la patte.

Solution ? Déménager le péage pile à l’entrée, afin d’inciter les plus rétifs à l’élémentaire hygiène à faire dans les règles de l’art. Ou couper à travers champs et s’arrêter incognito au milieu des blés. Mais traînez pas, surtout que c’est le coin des renards.

 

Décidément impayable, une encyclo en ligne nous apprend que

ces aires sont très propres, les sanitaires sont nettoyés tous les jours par les services autoroutiers.

C’est bien simple, on pourrait manger par terre. Bon alors, jambon-beurre, saucisson, fromage, miasmes, qui veut quoi ? Wikipédistes, vous nous faites pisser de rire tiens.

Merci de votre attention.