Comment sortir de l’œuf et de la poule ?

 

Du temps où vous n’en meniez pas large derrière un volant, votre moniteur d’auto-école vous semblait la personne la plus apte à vous enseigner l’art de la conduite, le dépositaire d’un savoir ancestral.

Mais d’où tirait-il son autorité suprême ?

De son propre instructeur, nourri de l’expérience de ses prédécesseurs et ainsi de suite.

 

Sauf que holà holà ho.

Celui qui vous apprend a non seulement appris lui-même mais a appris à vous l’apprendre. Et celui qui lui a appris a dû être formé pour.

Or, le moteur seize soupapes n’a pas toujours existé. Historiquement, il a bien fallu qu’un casse-cou à qui personne n’avait rien inculqué s’élançât à l’assaut des nids-de-poule. Bientôt suivi de pionniers trop heureux de rouler sans permis et sans code sur lequel pisser à respecter.

 

Là, ça va parce qu’on arrive mentalement à remonter avant le Big Bang, bruit de la tôle froissée depuis l’origine. Mais en matière de passage de relais, l’aporie guette tôt ou tard.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en métaphysicien civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Admettez humblement que rien n’est linéaire et que l’humanité progresse par à-coups. Ainsi, malgré l’emballement technologique de ce siècle, ne connaîtrez-vous probablement pas la téléportation, échappatoire imparable au boulet qui surgit à l’horizon.

♦  Avez-vous jamais songé au nombre d’essais nécessaires à l’obtention de la toute première mayonnaise, sans aucune idée préconçue quant au résultat recherché ? S’il avait fallu attendre qu’une recette de grand-mère tombe toute cuite dans le bol, vous les boufferiez nature, vos crevettes, à l’heure qu’il est.

 

♦  De même, mesurez le culot (et, disons-le, l’inconscience) de la première créature ailée au moment de se jeter dans le vide, sans élastique et sans mode d’emploi. Dites-vous bien qu’elle n’eut droit qu’à un seul essai, contrairement à ces vils copieurs de frères Wright qui flinguèrent prototype sur prototype.

 

♦  La bipédie, voilà un flambeau transmis de génération en génération depuis la nuit des temps. ‘Tendez, vous nous faites marcher. Le premier hominidé, qui lui a montré comment faire, à çui-là ? Certainement pas son grand singe de père. Probablement un grizzly apprivoisé.
Reste à savoir quel dresseur d’ours il faut remercier.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Volaille

 

Ensemble des volatiles de basse-cour élevés pour leurs œufs et leur chair.

Autrement dit, la volaille ne peut pas voler. Un comble. De là à dire qu’elle ne l’a pas volé, il n’y a qu’un nugget.

Mais revenons à nos couvées, moutons.

C’est vrai quoi. Poularde de Bresse, poulet jaune des Landes, dinde ou chapon de Nawel pour ne pas dire gallus gallus domesticus ont tous un point commun : l’inintérêt de leurs ailes, qui n’a d’égal que la succulence de leurs sot-l’y-laisse.

Car comme le sieur Elmaleh l’a mis en lumière :

Ah petit oiseau, si tu n’as pas d’ailes
Ah tu peux pas voleeeeer.

 

La définition ci-dessus n’a pas toujours été aussi stricte.

Ainsi, la volaille de 1317 désigne encore l’« ensemble des oiseaux ». Evidemment, dans ces conditions, on en trouvera toujours un ou deux pour s’envoler à l’approche d’un prédateur. Par ailleurs, à l’époque, volille, volleille ou vollaille se disent aussi selon l’humeur. Volatils, les aînés.

Deux siècles et demi s’écoulent avant que volaille ne revoie ses ambitions à la baisse : « ensemble des oiseaux qu’on nourrit dans une basse-cour ». Et encore autant avant de pouvoir apprécier la « viande d’un de ces animaux ».

Début XIXe, ça commence à caqueter au figuré : « femme de mauvaise vie », vite supplantée par poule – ce qui n’est guère plus aimable. Sans oublier l’officier de « police » de 1900, vite supplanté par poulet – ce qui ne le rend guère plus aimable.

 

Remake du bas latin volatilia – ça ne vole pas toujours très haut –, tiré de l’adjectif volatilis qui n’appelle pas de traduc, volaille doit tout à volare, formé sur l’indo-européen uel- qui « tourne » dans toutes les langues, de volvo (même sens) à velox (« rapide ») en passant par les deux wheels du vélo.

 

Quant à savoir pourquoi voler signifie à la fois voler et voler, demandez-le aux fauconniers qui dressent leur vilaine bête à piquer le goûter des autres. En volant plus vite que tout le monde, ce qui explique la rareté du faucon à la broche.
Mériteraient d’avoir les officiers de police au croupion.

Merci de votre attention.

 

C’est une chanson qui nous ressemble

 

Thelonious Monk à l’arrêt de bus. Hot stuff au guichet façon Full Monty. Le petit bonhomme en mousse en plein conseil d’administration. On est bien peu de chose. Face aux chansons crampon qui s’agrippent telles des bouchots à leur rocher, ne pas céder à l’énervement. Et surtout, ne pas chercher à comprendre.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le mode opératoire est pourtant connu : avant d’attaquer, la chanson crampon repère toujours l’instant propice où l’esprit vagabonde. Ma préférence va, et de loin, à la chanson d’aspirateur. J’en vois qui acquiescent, on en a tous des dizaines. Y a-t-il rien de plus jouissif que de braver à tue-tête le sourd continuo de la bête ? Essayez, zhommes qui n’en branlez jamais une, vous m’en direz des nouvelles.

Poussez même l’expérience plus avant en vous écoutant faire : la chanson n’arrive jamais à son terme. Au contraire ! Ce n’est qu’un extrait, un seul vers parfois, qui passe par vous en boucle. Ou plutôt une image mentale de l’œuvrette dans sa globalité, orchestration comprise, encapsulée dans ce riquiqui passage.

Singularité de l’escarbille, délectation du disque rayé !

Et plus le leitmotiv paraît incongru, plus il surgit sans crier gare. D’ailleurs personne n’est de taille à lutter, chut ! c’est l’inconscient qui cause, le libre-arbitre n’a plus qu’à raser les murs. La preuve, c’est que la chanson fond sur sa proie sans nécessairement que celle-ci y ait été exposée, ni le jour J, ni les précédents…

Notez toutefois qu’entre la partition que vous souffle votre for intérieur et vos pensées les plus enfouies, l’écho reste suffisamment lointain pour ne pas vous compromettre. Ça est drôlement bien foutu.

 

Il me souvient d’un damoiseau ayant eu vaguement dans le viseur une certaine Elisabeth. En ce temps-là faisait rage sur les ondes un tube dont le refrain scandait :

Everyday is a winding road
I get a little bit closer

Que croyez-vous qu’il advînt ? On fit remarquer au jouvenceau, que l’air lancinait, le cousinage cocasse entre

I get a little bit closer

et

I get Elisabeth closer…

La fille disparut aussitôt qu’elle était venue ; Sheryl Crow, elle, demeure.

Merci de votre attention.