Illimité

 

Pour écouler leur camelote, les cameloteurs ne connaissent plus de limites. Argument massue : promettre de l’illimité. A toute heure du jour et de la nuit.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Du temps où les prouesses technologiques n’étaient pas encore ce qu’elle sont, c’est-à-dire hier soir tard, le téléphoneur lambda soupesait encore les forfaits qu’on lui proposait. Forfaits que certains opérateurs avaient baptisé « formules », tant il fallait de jus de méninge pour les résoudre : plutôt 4h + x avantages ou 2 x 2h + y points ?

Passée à la postérité, l’expression « forfait illimité » ne nous fait même plus éclater de rire. Voilà qui est rageant, les occasions de se taper sur les cuissots se raréfiant promptement.

Rôh mais si : un forfait, par définition, est un prix immuable. Au-delà duquel nous commençons à raquer.
S’il est illimité, comment pourrait-on le dépasser, hein ? hein ? vous qu’êtes si malins ?

Sans compter que, tout à nos connexions zininterrompues, on feint d’ignorer la limite ultime : celle de l’espace et du temps. Même avec le plus illimité des forfaits, vous ne pourrez discuter le bout de gras sous une autre latitude plus de 24h par nycthémère – et je vous conseille de rester polis.
Pouffez pas ; certains ne se débranchent même plus, faisant peine à voir.

 

De même, l’on se précipite sur un « buffet à volonté » comme si la sous-nutrition jusque-là nous guettait. Sauf que 1) la boustifaille qui s’y étale mérite rarement qu’on fasse bombance, 2) quand y’en a plus, y’en a plus, z’aurez beau vouloir.

 

Semblant d’explication. Etant donné que l’Eternité n’a plus la cote, l’Illimité permet de récupérer les brebis zégarées. En jouant sur la peur du manque – sans piger que c’est ce dernier qui crée l’envie (faut déjà être nouille).

Ainsi, persuadés de vivre de ressources illimitées et encore marqués par deux ders des ders et le rationnement qui s’ensuivit, nous adhérons sans réserve au mythe d’une profusion qui n’a d’infini que le nom.

Le vrai, lui, brille tous les soirs au-dessus de nos têtes.

Merci de votre attention.

 

Ad libitum

 

Faute de pouvoir traduire ad libitum par un synonyme 100% sûr, le français moyen en est réduit à chercher des équivalents : à l’envi, jusqu’à plus soif, jusqu’à épuisement des stocks, et plus si affinités.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Parmi tout ce qui précède, bien malin qui pourrait dire ce qui sur le plan littéral s’approche le plus de la locution latine. Raison pour laquelle nous l’avons conservée intacte, à tous les coups. Tout en lui donnant du « ad lib. », marque d’affection que nous ne réservons guère qu’à etc., excusez du peu.

 

On n’a pas toute la journée.

Ad : « à » avant la lettre. Préposition dont la particularité est de s’adjoindre tout ce qui passe.

Libitum fait de son côté furieusement penser à libido. Engagés sur cette pente du stupre, ne serions-nous pas en train de nous éloigner du sujet ?

Détrompez-vous. Libitus et « plaisir » sont cul et chemise, si si.

En Latinie, le mot voit le jour comme participe passé substantivé de libere, « plaire ». Car si « ich liebe dich », c’est d’abord parce que « tu me plais ». Et avant de nous lancer des noms d’oiseaux, souvenons-nous qu’un quolibet est à l’origine une question improvisée, débattue librement, selon quod libet : « ce qui plaît ».

Quant aux lubies qui se déclarent sans crier gare, elles bourgeonnent sur le verbe lubere, variante – on vous le donne en mille – de libere.

 

Pas étonnant que les partitions des musiciens regorgent d’ad libitum. Occasion rêvée pour l’interprète de jouer enfin selon son humeur, « à plaisir » ; moyen détourné pour le compositeur de ne pas trop se casser la nénette.

Merci de votre attention.