Combien

 

C’est bien beau de déclamer

Combien de marins, combien de capitaines…

si c’est pour ne jamais accoucher du chiffre exact.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car qui dit combien dit quantité, contrairement à son cousin comment, porté, lui, sur la qualité.

Traversons la Manche à la nage ; c’est encore plus perfide subtil de l’autre côté. Ainsi, les autochtones s’enquerront de savoir how much time ça vous a pris et how many brasses vous avez dû déployer, selon que le complément se laisse ou non découper en unités de mesure.

 

Vu par la lorgnette albionnaise, on capte vite que combien n’est que la concaténation de com (« comme ») et de bien.
Bien bien mais encore ?

Bien s’entend justement ici au sens de « beaucoup », comme dans « bien des fois » ou « c’est bien beau de déclamer combien de marins, combien de capitaines ». Du quantifiable qu’on retrouve dans le substantif, notamment pluriel : « les biens ».

Et à quoi bien s’oppose-t-il ? Au mal en tant que valeur morale. Autrement dit, plus t’en as, mieux c’est. Sauf que quand on aime, on ne compte pas, allez comprendre.

Mais scrutez le cheminement depuis le latin bene, version adverbiale de benus, alias bonus (qui se passe de traduction) avant lifting. Benus a-t-il un rapport avec le verbe beare, « rendre heureux » ? Tout porte à le croire, souriez-vous béatement. Les Béa s’en réjouiront au passage.

 

Comme, lui, remonte au cum des Serments de Strasbourg (842), intégralement pompé sur le latin populaire quomo issu de quomodo, « comment » (littéralement « de quelle façon »).

Notons d’ailleurs comment comme et comment s’intervertissent à qui mieux mieux :

Il faut voir comme (= comment) ;
Comment elle pète (= comme).

Quant à modo (qui a donné mode), il remonte à l’indo-européen med-, « mesurer ». La médecine est formelle.

 

En résumé, com-bien = comment beaucoup = how much/many. Sur le même mode, les Teutons feront valoir leur wieviel.

Merci de votre attention.

 

Album

 

Ils font partie des meubles, l’étymo des mots de tous les jours n’en est que plus fascinante. Vous inquiétez pas, j’en consacrerai une à jour, fascinant et fois une autre fois, voire à meuble s’il faut meubler. L’heure n’a que trop tardé d’ouvrir l’album d’album.

D’ordinaire, il vous suffit de turbiner sur des pressentiments de filiation pour arriver, avec la candeur de vos culottes courtes, à un début de piste probant. Mais là, albumine, ça vous paraît quand même drôlement éloigné (d’ailleurs rires dans la classe).

Mais revenons à nos moutons, agneaux.

Vu la mine impressionnée de la maîcresse, vous venez contre toute attente de lever un lièvre, si pas de taper dans le mille (sourires figés des copains qui l’ont dans l’os). Pas possible ? Quel rapport entre un gros livre (album photo), un disque, vinyle ou compact (« l’album de la maturité ») et le blanc d’œuf, sapristoche ?

Précisément, le blanc, mes loupiots.

Les latins, qui ne perdaient jamais une occasion de faire les cakes, désignaient un blanc mat par albus. Si donc tout à l’heure albâtre vous a traversé les méninges, vous brûliez tout pareil qu’avec albumine, eh voui. Et albinos alors ? N’en jetez plus.

Un album, y’a bien longtemps, était un tableau enduit de plâtre (blanc, jusqu’à preuve du contraire) où les Romains inscrivaient ce qu’ils estimaient avoir de la gueule, afin que l’homme de la rue pût en profiter. Au XVIIe siècle, le mot a pris son envol à partir de « album amicorum », littéralement « cahier blanc d’amis » destiné à recueillir le nom et la griffe de gonzes illustres croisés par un voyageur. Selon leur degré de potitude avec ce dernier, les sommités pouvaient aussi y laisser une sentence qui alimentait sa collection, sens qu’a fini par prendre album loin de toute considération de couleur.

Est-ce une raison pour la perfide Albion de cultiver du haut de ses falaises blanches le pléonasme d’un « white album » ? Chez nous au moins, on dit « double blanc ».

On n’a pas de Beatles mais on a de la grammaire.

Merci de votre attention.

whitealbum