Réussir

 

Il fait tellement partie des meubles qu’on ne songe même plus à le démonter. Réussir insisterait-il sur « ussir », tombé en désuétude ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Réussir ne peut s’en tirer à si bon compte, sinon ce ne serait pas réussir.

Le verbe apparaît sur le tard (1530) dans les locutions « réussir de » (alias « résulter de ») puis « réussir à », « aboutir à, avoir une issue (bonne ou mauvaise) ». Comparé au sens actuel, on brûle, sauf pour ce qui est de la neutralité du résultat, qui devient invariablement positif en 1540. Et sans l’aide d’aucune préposition, il est fort, le bougre.

On dit même d’une plante qui pousse bien qu’elle réussit, fin XVIIe. Comme quoi, en matière de réussite, chacun voit midi à sa porte.

 

Ne l’ébruitez pas mais c’est du rital et du bon. Depuis le XIVe siècle, riuscire s’emploie goulûment au sens d’« aboutir, avoir une issue ». « Ussir », issue, tout ça commence à avoir des accointances. Bingo et rebingo : riuscire n’est autre que « sortir à nouveau ». Uscire l’avait précédé au sortir du bidon latin exire, littéralement « aller hors de ». L’ancien français lui-même n’avait qu’issir à la bouche, jusque chez Colette :

Sept [oiseaux] issirent, couleur de souris, de dessous mon lit.

Depuis, ce verbe ô combien majestueux s’est fait sortir par sortir. A l’exception d’issue, issu du participe passé.

 

Quant à exire, on le reconnaît encore dans exit, « sortie » avec laquelle on prend de plus en plus de libertés ces temps-ci. Et comment conjugue-t-on aller au futur ? Voyez voyez.

 

Nos amis grand-bretons, pour leur part, disent succeed in ou manage to, bâtis sur les notions de succès et de main (comme lorsqu’on a la situation bien en main). Question poésie, notre « sortie » s’en sort much better.

 

Au fait, pour un Gary Kasparov qui réussit aux échecs, combien de réussites ratées pour le commun des mortels ?

Merci de votre attention.

 

Vintage

 

On peut être jaloux des grand-bretons : toujours le mot pour rire, ils ont souvent aussi celui pour le dire, le petit vocable qui va bien pour condenser moult choses qu’on n’exprimerait pas d’une traite de ce côté-ci du tunnel.
Ainsi de vintage, cet adjectif fleurant si bon la nostalgie qu’on a fini par l’adopter pour qualifier ce qui est, ou fait « d’époque » : un disque, une veste, de la déco vintage. Avec ce supplément d’âme dont peut se prévaloir l’heureux possesseur, un être forcément de goût et au fait des tendances.
Sauf que ha-hââ, messieurs les Anglais, pour une fois, c’est pas vous qu’avez tiré les premiers.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On ne s’étranglera point d’apprendre qu’outre-Manche, vintage désigne au sens strict un cru ou un millésime, puisque le petit animal est une déformation de « vendange », eeeh oui. Ça, à force de bitures à l’hydromel avec les Normands, c’était à prévoir.

D’où, CQFD, l’idée de qualité acquise avec les années. Les connoisseurs préciseraient : à partir de « vingt ans d’âge », mettant ipso facto la puce à l’oreille aux étymologues du dimanche. Fausse piste. La racine latine vindemia est trop transparente, qui a bouturé au passage jusque dans le mois vendémiaire – création vintage s’il en est de nos révolutionnaires.


Profitons de l’occase pour déplorer le fait que nous autres bloody frogs nous entêtions à prononcer [eidʒ] la finale en –age des mots angliches de plus d’une syllabe. L’on se tordrait nettement moins la babine en usant de la seule prononciation qui vaille [idʒ].
Mais vous, petits veinards, serez immunisés après ça :

– Luigi, le didgeridoo, on l’a acheté à Djibouti ou aux Fidji ? A moins que ce soit à Abidjan ?
– Sais plus mais il est drôlement vintage en tout cas. Il reste du porridge ?

Merci de votre attention.