« Boucler les fins de mois »

 

Une frange non négligeable de la population aurait du mal à « boucler ses fins de mois ». Ceux qui dressent ce constat ne seraient-ils pas mieux avisés de la boucler ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme toujours dès qu’il s’agit de pognon, la langue divague.

« Finir le mois », on voit bien. « Boucler le mois », à la rigueur. « Avoir des fins de mois difficiles », on ne le souhaite à personne mais le concept est limpide. Le « bouclage de fin de mois », lui, se dérobe à l’esprit dès qu’il se sent observé.

 

Tâchons de suivre le raisonnement. Ceux qui ne roulent pas sur l’or (v’là que ça redivague) peineraient donc plus à « boucler la fin » de janvier que celle de février, années bissextiles incluses ?

Soit une « fin de mois » commençant à

n-5

n est le dernier jour du mois.

Ceci posé, toutes les « fins de mois » jusqu’en décembre auront 5 jours, c’est mathématique.

 

Partant, le problème vient plutôt de boucler. L’on se gargarise du verbe à cause du budget qu’on n’est jamais fâché de boucler en effet. Or, contrairement à l’expression du jour, « boucler un budget » consiste moins à ne pas l’épuiser trop tôt qu’à y mettre la dernière main. « Avant même que l’exercice ne commence à courir », ajouteraient les pognonneux. Une divagation de plus, heureusement non dénuée de poésie.

Sans compter les interférences avec « se boucler la ceinture », qui joue remplaçant quand « se la serrer » est blessé. Au fait, boucle-t-on sa ceinture ou seulement la fin de sa ceinture ? Ah.

 

Ne nous privons pas des richesses de la langue. Pourquoi ne pas « tirer le diable par la queue » ou « joindre les deux bouts » (que les Zanglais nous envient avec leur « make ends meet ») ?

Merci de votre attention.

 

Le centime fantôme

 

Parlons peu, parlons bien, parlons pèze. A quand remonte cette habitude de fixer les prix à 6,99 plutôt que 7 ? A l’invention du centime, probablement.
L’entubage perpétuel était né.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

6,99, c’est presque 7. Mais pas tout à fait. Le vendeur est donc perdant, et à supposer que sa camelote s’arrache à 699 exemplaires, c’est le prix de revient d’un article entier qui lui file sous le nez. Ça n’a l’air de rien comme ça mais à l’échelle industrielle, le manque à gagner commence à devenir conséquent.

Pourquoi donc s’abrutir de décimales, directement inférieures à leur unité chérie qui plus est ?

Parce que dans l’esprit tordu du concepteur de ce petit truc, si l’acheteur lit 6,99 sur l’étiquette, il ne s’embarrasse pas des centimes et ne retient que 6 c’est pas cher dis donc. Psychologique.
Evidemment, rapporté à de petites sommes, ç’a l’air mesquin. Mais faites le test avec 999 : un chèque à trois chiffres plutôt qu’à quatre, même le stylo fait ouf.

Sans compter qu’en rade de ferraille, l’acquisition de merdouilles supplémentaires (au moins 4) permettra d’arrondir le total et donc de faciliter la transaction. Râh elle est belle l’économie.

Client mouton ? Le bœuf intégral, vous voulez dire.

 

Pas partout, heureusement. Chez le maraîcher, on a gardé un bon fond : les victuailles valent 7 € le kilo (6,50 € dans les bons jours) et tout le monde est content.

 

Non mais z’imaginez le nombre de rouleaux de pièces de un alimentant les tiroirs-caisses de la contrée juste pour pouvoir rendre la monnaie ? Les centimes fantômes font au moins autant tourner le commerce que les presses de la Banque de France.
Laquelle serait bien inspirée de fondre une pièce de neuf, histoire de gagner du temps à la caisse.

Et le temps, c’est de l’argent.

Merci de votre attention.

 

« Pécunier »

 

Imaginez qu’on vous enlève un bras (sans anesthésie) pour vous fixer une prothèse (d’une longueur légèrement différente). Et qu’on décrète que ce sera désormais votre bras. Les pires scénaristes d’horreur bouderaient l’idée. Et pas pour des raisons pécuniaires.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il se trouve ainsi des psychopathes pour dégainer publiquement « pécunier » en présence d’un nom masculin :

J’ai des ennuis « pécuniers ».

S’ils comptaient sur ce terme un brin soutenu pour redorer leur vocabulaire tout en suscitant la charité, c’est raté (ou la charito, c’est rato, ce qui revient au même).

 

Sans doute le criminel de base est-il mû par une attirance malsaine pour financier, dont le féminin financière rime effrontément avec son synonyme pécuniaire.
Mais d’autres mobiles plus enfouis sont à l’œuvre.

Dans l’espoir que ses soucis d’argent ne seront que passagers, son inconscient va chercher saisonnier et hop ! « pécunier » rafle la mise.
Et plus l’autre khôn tarde à le rembourser, plus il devient rancunier et bim ! « pécunier » derechef.
Faut pas grand-chose.

L’Académie montre très officiellement les dents depuis 1970 dans ses Nouvelles mises en garde : « pécunier » est une faute d’usage qui remonte au moins à Chateaubriand.
Comme quoi, les bœufs ne sont pas les seuls à se griller en la commettant.

 

Pécuniéristes, voilà qui devrait soulager votre mal. Quel que soit le genre du nom auquel il se rapporte, pécuniaire s’écrit avec un a comme argent. La faute au latin pecunia, c’est-y pas beau ? On dirait une fleur.
‘Tention, celle-ci ne sent rien, comme chacun sait.

 

Jarretons « pécunier » sans ménagement et faisons une haie d’honneur à pécuniaire en battant le rappel de ses petits camarades : agraire, aviaire, grégaire, horaire, littéraire, solidaire et bien sûr budgétaire et fiduciaire, avec lesquels il sera vite copain comme cochon.

Merci de votre attention.