Le play-back

 

Si vous lisiez ce billet en play-back, vous y prendriez moins de plaisir puisque ce serait pour de faux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A chaque passage télé, même foutage de gueule : l’artiste chante en play-back en tâchant de faire croire (avec toute la conviction de la main qui ne tient pas le micro) que la performance est en direct.
Mascarade particulièrement flagrante lors d’un fondu (ou fade-out, comme disent les Angliches). Quand le son diminue, il faudrait déjà la mettre en sourdine comme un seul homme jusqu’au silence complet, dans la vraie vie. Au lieu de quoi les zigomars continuent de zigoter devant la caméra.
Simuler l’orgasme à côté mériterait une auréole, et pas le genre d’auréoles auquel on pense de prime abord.

 

La ruse a beau être éventée depuis l’invention de la bande-son, on ne s’en offusque plus. Est-ce à dire que le play-back permet de gagner du temps ? Pas pour les roadies en tout cas, contraints de déplacer l’intégralité du barda pour des nèfles à seule fin d’entretenir l’illusion (excepté les câbles dont, vous ferez gaffe, la moitié n’est pas branchée. Et pour cause).

Certes, la chanson sonne comme sur le disque puisque c’est le disque. Mais songez à l’effort de concentration pour rendre naturel le mouvement des lèvres (ou lip-syncing, comme disent les Angliches). Essayez devant votre glace. L’exécution de la ritournelle à pleine voix ne serait-elle pas plus reposante ?

 

Et d’ailleurs, que n’en fait-on autant sur les planches ? Envoyer la purée des coulisses éviterait les affres du trou de mémoire au moment d’attaquer la tirade de Cyrano ou le monologue d’Hamlet.

 

Le play-back est au spectacle vivant ce que le micro-ondes est à la cuisine : du prêt-à-consommer.

Merci de votre attention.

 

Traits pour traits

 

La chose est tenue secrète par les historiens de l’art et autres exégètes. Ou alors ils ne l’ont pas vue, trop occupés par des broutilles. Mettons-leur donc le nez dans la fiente : neuf fois sur dix, la binette de l’artiste ressemble comme deux gouttes d’eau à celles qu’il dessine ou vice versa. A coup sûr ou presque, on retrouve dans sa patte les physionomies qui lui sont chères : la sienne, celle de ses proches ou les biftecks sur pattes des hommes préhistoriques.

 

Un petit dessin valant mieux qu’un long discours, petite galerie de portraits croisés.

 

Léonard de Vinci

Pour un œil profane, tous les visages se ressemblent chez les peintres classiques. Vu les canons de l’époque, difficile de repérer dans les traits du maître une constante qui caractériserait ses sujets, notamment son pif aquilin. C’est mal connaître le gredin, qui fait de son jeune amant Salaï un Saint Jean-Baptiste enjôleur. Au point qu’on peut lui superposer la Joconde (les jours de pluie).

 

Magritte

Là, c’est de la triche, dites-vous. Quoiqu’hyperréaliste dans le surréalisme, le René s’arrange toujours pour représenter ses personnages de dos ou face cachée (un événement dans son enfance, renseignez-vous, ça vaut le coup). D’où sort cette silhouette alors ? De pas bien loin, à l’évidence.

 

Gauguin

Pour les Tahitiennes de Gauguin, c’est encore plus franc. Forme du nez, des yeux, du visage, tout y est, s’pas ?

 

Picasso

Photographié à l’époque des Demoiselles d’Avignon. Surtout celle du milieu.

 

 

Modigliani

Et dire que certains ont besoin de la psychanalyse pour expliquer l’influence des figures féminines.

 

Chez les sculpteurs, même topo.

Giacometti

Visage(s) en lame de couteau, silhouette(s) efflanquée(s)…

 

Bartholdi/la statue de la Liberté

Pour sa statue, initialement destinée au phare du canal de Suez, Fred-Auguste se serait inspiré d’une paysanne égyptienne. Mais comparez la mine sévère du produit fini à madame Bartholdi mère.

 

Quant aux dessinateurs de petits mickeys, c’est un festival. A commencer par le premier d’entre eux :

 

Disney

Ces sourcils haut perchés, ces yeux en amande, ce sourire un peu niais n’évoquent-ils pas Pluto ?

 

Hergé

A gauche, le père d’Hergé. A droite, le fils.

 

Sfar

Le chat du rabbin ou de l’auteur ?

 

Uderzo

Et ce grand costaud aux petits yeux vifs ? Il y a du Gaulois là-dedans, par Toutatis.

 

Fred

Hum, Monsieur Barthélémy a de qui tenir, ah la la la la la la la la la la la la la la…

 

Plantu, Riss

Point n’est besoin de vous faire un dessin.

 

On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Au risque d’oublier Boileau-Despréaux :

Souvent, sans y penser, un écrivain qui s’aime
Forme tous ses héros semblables à soi-même.

S’applique aussi au coup de crayon, de pinceau ou de burin, évidemment.

 

Pas étonnant qu’Hitler ait raté sa vocation, lui qui n’a jamais dessiné que des paysages et des bâtiments.
Une certaine tendance à la misanthropie qui l’a beaucoup desservi.

 

Comment guérir quand on n’est pas malade ?

 

Rien de tel qu’un esprit sain dans un corps sain (et non pas « un esprit saint dans un corps saint », puisque le Saint esprit n’a par définition pas besoin d’être incarné ce qui est drôlement bien foutu). Vaccins, check-up, vos anticorps sont au taquet.

Mais il vous tarde de retrouver la gnaque de vos trois ans, ce temps béni où vous affrontiez les virus à la queue leu leu pour en être débarrassé à jamais.
Résultat : vous vous portez comme un charme. Et celui de la guérison vous est définitivement étranger.

Redevenez le centre d’intérêt, ne serait-ce que par égard pour votre pharmacien. Vous ne demandez pas d’hépatite ou un cancer foudroyant m’enfin des coliques ou une scarlatine comme on n’en fait plus, ça ne serait pas la mer à boire.

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Solution de facilité : tomber volontairement malade. En claquant systématiquement la bise à des contagieux, par exemple. Le grand spécialiste Hypeauquon de Rillac recommande aussi l’élevage de mouches tsé-tsé, les galipettes dans le vomi ou le démantèlement de barbelés rouillés à mains nues (pour le tétanos). Et alors là, à vous la convalescence glorieuse.

Sauf qu’il vous faut préalablement morfler, on en revient toujours là.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en bien portant civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Devenez médecin. Vous passerez votre temps à guérir. Le tout est de bien caser « diagnostic » au moment opportun.

 

♦  Devenez artiste. Vous passerez votre temps à guérir. Le tout est de bien caser « catharsis » au moment opportun.

 

♦  Arrêtez de jouer sur les maux. Moutonnerie, peines de cœur, vieux traumatismes plus ou moins enfouis, si vous souhaitez guérir, il n’y a que vous qui connaissiez le remède. Alors cherchez bien, qu’est-ce que vous faites encore là ?

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Vaut-il mieux courir le marathon, le cacheton ou sur le haricot ?

 

Comme disait le poète, « la vie n’est pas une course » et autres allégories à base de combustion par les deux bouts.

Il est vrai qu’invariablement, nous piquons sprint sur sprint comme si notre vie en dépendait. Rares sont ceux qui enchaînent les foulées sans ce sentiment d’urgence collé aux basques. Ivres de vitesse pure, ces privilégiés ne rompent-ils point inconsciemment avec l’instinct de survie de leurs aïeux, contraints de fuir le fulminant prédateur ou, au contraire, d’avoir le meilleur sur l’impala bondissant ?

 

Qu’ils se détrompent, d’autres motifs de courir naissent tous les jours des nécessités modernes.

Ainsi, le but du marathonien est le dépassement, non des autres participants (dont le respect mutuel grandit avec la distance, doit y avoir un axiome à méditer là-dessous) mais de soi-même. Idem si, bille en tête, vous courez le cachet : 507 heures ne seront pas de trop pour irradier de tout votre talent, surtout s’il est très enfoui.

A défaut d’une telle endurance, vous pourrez commencer à courir sur le haricot de vos plus fervents soutiens, belle manière là aussi de peser dans l’existence.

courir

« Que vous sert de courir ? », s’enquerra le poète décidément en verve. Demandez-vous plutôt que courir.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en coureur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Enfilez vos meilleures tennis afin de disputer le mythique marathon. « Disputer » est bien le mot : rappelons qu’une semelle sur deux doit toujours toucher la terre ferme. Sans quoi les commissaires de « course » se feront un plaisir de vous disqualifier tout en vous rappelant leur devise : « y’a pas à tortiller ». 42 bornes et des brouettes sans pouvoir accélérer, libre à vous.

 

♦  Bornez-vous à courir le cacheton. Là encore, attention à ne pas confondre vitesse et précipitation : un faux pas est si vite arrivé ! Communément appelé « plan foireux », celui-ci vous fera certes bénéficier du statut tant convoité mais plombera paradoxalement votre carrière. L’estime de soi peut-elle fonctionner par intermittence ?

 

♦  N’hésitez pas à courir sur le haricot de votre prochain. Bien entraîné(e), vous n’éprouverez même plus la sensation d’effort (vu la circonférence de la légumineuse) et deviendrez rapidement imbattable. Au point que lorsque vous suggérerez qu’on fasse un bout de chemin avec vous, vous pourrez toujours courir.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Oh la belle bleue

 

Ceux qui commentent le spectacle vous en veulent personnellement. Ne faudrait-il pas disposer d’un bâillon ou d’un nécessaire à couture susceptible de leur clore le claquemerde ? Non, car leurs « mmm-mmm » viendraient encore tout gâcher.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Toutes les subjectivités ne se valent pas. Vous n’aurez pas meilleure occasion de le vérifier qu’à portée d’oreille de ces trouducs intempestifs jugeant bon de partager leurs impressions à haute et intelligible voix, au cas où l’auditoire aurait besoin de sous-titres. Inutile de dire que le plaisir muet de la connivence s’évapore sitôt la première platitude flatulée dans votre dos. Les plus teigneux se font fort d’anticiper la scène suivante. Ils vous tireraient du sommeil pour une khônnerie que l’effet ne serait pas plus dévastateur.

 

Car non seulement votre interprétation sera différente de la leur (qui rase les pâquerettes) mais show must go on pendant ce temps-là, comme disait Freddie lippu.
Et puis comme disait Bergson, d’une justesse à filer la chair de poule, quand l’artiste cause, shut up puisqu’il magnifie le réel :

Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, (…) nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes.

 

Face à ces symptômes inquiétants, déjà décelés du reste chez le touriste lambda, il convient de se pencher sur les causes pour que ça cesse, nom d’une pipe en bois.

Avançons l’hypothèse que le commentateur est jaloux de la qualité du spectacle et qu’il met son grain de sel là où il le peut.

Deuxio, sans doute se rassure-t-il sur sa propre compréhension de ce qui se déroule sous ses yeux (spectacle vivant, film, émission, tout est bon). Il est de votre devoir de le mettre en garde : s’il attend un assentiment des autres spectateurs, il ne recueillera au mieux que regards noirs et soupirs excédés, voire coups de boule au faîte de l’agacement.

 

De même que les visiteurs de musées passent à côté d’une expo en la mitraillant, le bavard ne gardera aucun souvenir de ce qu’il a vu – et sera de surcroît le caillou dans la godasse du public qui l’entoure.

 

Quant à ceux qui parlent sur le disque, promettez-leur le même sort qu’à Raoni, ça leur apprendra.

Merci de votre attention.

 

¯¯¯¯

Henri Bergson, Le Rire.

 

Grammaire

 

A l’instar de mammaire et sommaire évoquant respectivement implants et un plan, grammaire peut se targuer d’être la mère nourricière du discours. A l’écrit comme à l’oral, c’est elle qui fait la phrase debout tenir. Plus intuitive que la syntaxe.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ainsi que nous le rappelaient M. Paquin et les dicos du siècle dernier, la grammaire, c’est tout bête :

Art de parler et d’écrire correctement.

Le vocable en impose tant qu’il désigne aussi un

ouvrage didactique qui décrit les éléments, les procédés d’une langue

voire, par analogie,

l’exercice d’un art,

quel qu’il soit. Et même, début XIIe, le

premier des arts libéraux qui comprend l’étude du langage correct et de la littérature.

Alors qu’on ne se baladera jamais avec une orthographe, une trigono de photographie ou tout autre chimérique manuel sous le bras.

 

Les férus de grammaire noteront que l’adjectif tiré du nom fait grammatical. En cause, le latin grammatica, pompé sur le grec γραμματικη ́, issu de γράφω, « écrire ». Vous aviez oublié de réviser votre alphabet, pas grave : on reconnaîtrait graphein entre tous. Ne serait-ce que dans orthographe et photographie (« écrire droit », « écrire avec la lumière »).

Au passage, on retrouve notre paire de m dans des termes comme télégramme (« écrit à distance »), programme (« écrit devant ») et même instagram si toutefois cette application de « photo[graphies] instantanées » avait été conçue en français.

 

Quant au verbe grec, il serait resté dans les cartons sans le concours de l’indo-européen ghreb- (« égratigner ») qui est aussi le père de graver.
Conclusion : papier et stylo auraient été inventés plus tôt qu’on ne s’embêterait pas avec la grammaire.

Merci : interjection, exprimant la gratitude ;
De : préposition, introduisant le complément d’objet :
Votre attention : adjectif possessif, nom féminin, complément d’objet indirect de merci.