Attentionné

 

Zieutons-le attentivement : attentionné ressemble à un néologisme comme deux gouttes d’eau des fleurs. On a beau ne plus y prêter attention depuis le temps, rien ne dit que le crime est prescriptionné.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

D’après une source proche de l’enquête, nous aurions forgé attentionné à partir d’attention un jour de 1823 où il ne faisait pas beau. Ainsi, être attentionné revient à couvrir d’attentions son (le plus souvent, sa) partenaire (tiens c’est vrai, et l’égalité alors, filles du sexe féminin ?). Ce qui est, avant tout, une marque d’attention. Laquelle donne attentif jusqu’à preuve du contraire.

Aussi prévenant soit-il, attentionné arrive donc après la bataille.

 

Notez que celui qui multiplie les attentions ne dit jamais de lui-même qu’il est attentionné, ce qui contreviendrait à sa délicatesse légendaire. Sauf sur un CV, pour une âme sœur de passage :

grand, sportif, attentionné (…)

A se taper les adducteurs ! Est-on attentionné par nature avec n’importe qui ? Encore faut-il que les sentiments soient là.

 

Mais on s’égare.

Ne ferait-on pas fausse route depuis le début, d’ailleurs ? Vu ses airs de participe passé adjectivé (le verbe attentionner a eu son heure de gloire, ‘tention), on devrait plutôt qualifier d’attentionné l’être cher à qui l’attention est destinée. Gentlemen, soyez attentifs.

 

Au fait, au moment de recevoir une attention, ne vous contentez pas de la réceptionner, au risque de déceptionner l’attentionné.

Merci de votre attention, fallait pas.

 

Egarer

 

Vu son préfixe, égarer pourrait équivaloir à « se perdre en sortant de la gare ». A condition que la gare en question soit inconnue, et assez monumentale pour nous avaler/recracher où bon lui semble.

Mais revenons à nos moutons, moutons. Euh, par là.

1050, première occurrence du verbe. Et encore, sous la forme esguarethe : « troublée, inquiétée ». L’esguarer de 1120 marche d’un pas plus sûr : « perdre le bon chemin ». Il prend le sens qu’on lui connaît fin XIVe : « mettre à une place qu’on oublie, perdre momentanément ».

Ici surgit le cousin germain garer :

« Scheiße, où j’l’ai garée déjà ? »

 

Sûrement du côté de warôn, « faire attention », devenu wahren et bewahren (« préserver ») dans la Prusse actuelle. Not to mention l’anglais beware (« prendre garde à ») et le fameux aware (« conscient »), cher à Jean-Claude Van Damme. Le tout émanant du radical indo-européen wer- (« percevoir, être sur ses gardes »).

Nous-mêmes utilisons l’interjection « gare » pour avertir charitablement la cantonade :

Gare à tes fesses !

Ce que le Jean-Claude traduit sans crier gare par :

Stba !

 

Garer : « faire attention » ; égarer : « ne pas faire attention » ? Excusez, c’est un peu réducteur. Notre sens de l’orientation ferait s’esclaffer une girouette d’accord mais il n’est pas rare qu’on s’égare de bonne foi, notamment sur les sentiers balisés pis d’un coup plus.

Au fait, regardez regarder. Figurez-vous qu’il y a aussi du wer- là-dessous. Et que croyez-vous que gardent les gardes, sinon ce sur quoi il faut veiller, et qu’il ne faut pas égarer ?
On n’a jamais trop d’égards pour la langue.

Merci de votre attention.

 

Précaution

 

Tandis que prudence est synonyme de sagesse, précaution garde ce côté chochotte qu’incarne le précautionneux, celui qui ne se mouille que d’un orteil. Les férus de précaution sont même parvenus à l’ériger en principe. Au risque de ne jamais bouger le petit doigt, quand bien même l’eau s’avérerait super-bonne.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme deux précautions valent mieux qu’une, il est de bon ton de les multiplier :

prendre ses précautions,

chose impossible avec prudence. Comme avec « postcaution » du reste, si toutefois ce pendant de précaution avait eu les honneurs de l’Académie. Ce qui laisse entrevoir le rôle central de caution derrière toute l’histoire. Par sécurité (sens primitif de caution), on préfère vérifier.

 

En Latinie, cautio provient du participe passé de cavere, « se tenir sur ses gardes ». En basse Latinie, complexe d’infériorité aidant, praecautio et praecavere finissent par se hisser au même niveau de qui-vive.

Restait plus à Montaigne qu’à user de précautions, « disposition prise pour éviter un mal » ou « manière d’agir prudente, circonspecte » selon les pages.

 

A part caution, qu’a donné cavere ? Dans notre langue, peu de chose. Il faut toquer à la porte de l’indo-européen pour découvrir que le radical skeue- (« faire attention, percevoir ») a essaimé partout. En Grèce : koein, « percevoir, entendre » (et tilt : acouphène). En Anglo-Américanie : show, « montrer, spectacle » (anciennement sceawian, « regarder »). En Germanie : schön le bel (anciennement skoni, « briller »). Même en arabe, chouf chouf, le verbe signifie – excusez du peu – « regarder » ou « faire le guet ».

 

Quant au « charognard » anglais scavenger, s’il ramassait à l’origine les ordures, il ne pouvait les trier qu’après examen, rapport à l’« inspection » picarde et wallonne escauwage, aussi écrit escaulvaige ou escavage.

Heureusement, ç’a été aboli depuis. On n’aurait pas cautionné ça.

Merci de votre attention.

 

Ecouter

 

Le fossé qui sépare voir de regarder, respirer de sentir, ingurgiter de manger et entendre d’écouter se remblaie tout seul pour toucher. Hein ! Qu’on le veuille ou non, quand ça touche, ça touche.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Faites l’expérience avec un sourd, vous constaterez que lui aussi écoute ce qu’on lui dit : pas d’autre manière de décrire son attention. C’est dire la puissance du verbe.

 

D’eskolter (IXe siècle) à escouter (XVIe), les versions de lancement situent l’engin dans l’écurie latine. En Italie, on conjugue ascoltare en ce moment même.
Au vu du profil bien reconnaissable de ce dernier, justement, écouter ne serait-il pas le frère caché d’ausculter ?

Vous venez de rafler le gros lot.

A l’origine du verbe rital, ascultare (latin populaire) provient du plus classique auscultare, « écouter avec attention » mais aussi « ajouter foi, obéir ».
Notons au passage quel magnifique pléonasme « écouter avec attention » ferait en pendentif. On s’était pourtant entendu là-dessus dès l’intro (mais vous n’écoutiez pas) : [écouter] – [attention] = entendre.
Observons par la même occase qu’il ne peut y avoir « obéissance » qu’en cas d’écoute préalable. A méditer, parents.

Mais auscultare, d’où vient-il ? Tendez bien l’oreille, littéralement de « tendre l’oreille » : aus-, condensé d’auris (« oreille »), –cultare né du radical indo-européen kel (« incliner »).

 

Ecouter/ausculter, les toubibs ont donc vocation à écouter deux fois leurs patients. S’ils y mettaient un bon coup la première fois, on ne serait pas obligé d’en passer par la phase stéthoscope gelé. Et toc.

Merci de votre écoute.