Comment lui plaire avec un machin COMME ÇA coincé dans les dents ?

 

Jusqu’ici, votre rencart tient ses promesses. Sans vouloir verser dans un optimisme béat, l’ambiance rigolarde laisse augurer d’une suite aux petits oignons.

Mais ne péchez pas par excès de confiance. Un paramètre échappera quoi qu’il arrive à votre contrôle : celui du truc que vous avez là.

Et pourtant, vous aviez sacrifié les olives en apéro, habilement louvoyé entre salades et mets persillés, ignoré, la mort dans l’âme, le dessert dont les sédiments chocolatés vous faisaient de l’œil depuis le début ; peine perdue.

 

Inutile de vous tourner sept fois la langue dans la bouche en espérant rattraper le désastre. N’espérez pas non plus une cécité passagère (ou sélective) de votre vis-à-vis. Qui, dans le meilleur des cas, volera à votre secours dans un mélange de pitié et de tact comparable à la divulgation d’une braguette ouverte. Vos chances de succès s’en trouveront considérablement amoindries, pour sûr.

cure-dents

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en jouet du destin civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Aller vous mirer aux toilettes entre chaque bouchée. L’autre risquant de perdre patience, le plus simple sera de réserver la table directement dans les toilettes. L’intimité rêvée pour faire plus ample connaissance.

 

♦  Face aux moues de dégoût de votre hôte, faites valoir que le barbelé orthodontique des ados – que vous fûtes au passage – n’a jamais fait taire les hormones.

 

♦  Si Yannick Noah reste aussi populaire en rien faisant, il le doit bien sûr à l’écartement de ses incisives, plus connu sous le nom de diastème. Souriez donc à pleines dents, en y recréant un diastème improvisé avec un grain de poivre noir ou un bout d’entrecôte trop cuite.

 

♦  Optez pour l’un de ces protège-dents chers aux rugbymen. Non seulement vos dents resteront intactes mais vous passerez pour un parangon de virilité. Tout en divisant par quinze le nombre de khônneries articulées.

 

♦  Serviette et rince-doigts vous sont proposés d’office. Mais, en vue de faire intégralement place nette, que ne vous offre-t-on un échantillon de dentifrice au moment opportun ? Vos gencives se tapent tout le boulot, c’est bien la moindre des choses.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

« Complémenter »

 

Lennon/McCartney, Laurel & Hardy, Villeroy & Boch : la complémentarité fait des miracles. Tant que la paire s’abstient de se « complémenter » du moins.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On n’a pas rêvé, cette excroissance verbeuse bourgeonne parfois chez les diététiciennes de tête de gondole ou dans tout autre discours assez creux pour y loger tout le jargon possible.

Et la bougresse figure dans le dictionnaire :

Rendre complet par un complément.

Sans blague ?

Compléter, alors ? Aaattention, pas pareil, compléter :

Rendre complet.

Avec quoi, on se le demande.

On pige le tour de passe-passe : « complémenter » insiste sur le complément, nutritionnel ou autre.

Tout est là ! Tandis que compléter bouche un trou, « complémenter » apporte un plus qui, sans être indispensable, permet de se démarquer.
Un supplément, alors ? Exact, « complémenter » amène un supplément. Mais de là à dire « supplémenter » hein, on a sa dignité.

 

Serpent qui se mord la queue, coucou volant la progéniture des autres, on s’épuise à chercher parmi la faune métaphorique de quoi qualifier ce type de néologismes. Qui n’en sont pas d’ailleurs, puisqu’ils font contre toute attente partie des meubles. Abstentionnisme, bruisser, réceptionner, poivre mouliné, les constatations sont accablantes.

Le spécimen du jour est un cas d’école.
« Complémenter » a fait son trou comme suit : l’action qu’il désigne provient d’un nom (complément), lui-même résultat de cette action (compléter).
Le rejeton ainsi produit non seulement y laisse des plumes mais se couvre de ridicule.

On ne complimentera pas l’auteur du procédé.

Merci de votre attention.

 

Français partiellement de synthèse

 

Les fabricants de blocs WC – parce que ce sont des boîtes privées ? – s’oublient de plus en plus. Dernier exemple en date, relevé sur un emballage section « retape » :

Hygiénise.

On en a envoyé au goulag pour moins que ça.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Décidément, les toilettes ne sont plus le havre de paix qu’elles étaient, à la porte duquel nous laissions tracas du monde et indignations. Faut encore qu’« hygiénise » y perturbe le champ de vision. Et l’intellect : pourrait-il s’agir du verbe « hygiéniser » à la 3e personne ? L’intitulé « Parfume » le confirme à deux paragraphes de là. « Tue les microbes » sonnait moins parole d’expert, « Anti-bactérien » frôlait la redite avec « Anti-tartre » ; drôlement pensé, tout ça.

On ne s’étonnera point que l’Industrie chie du néologisme au kilomètre. (Pardon, qu’elle « néologise »). D’autant qu’« hygiéniser » fait déjà figure d’ancêtre : on le croise dès 1969. Dans le compte rendu d’une revue suisse d’hydrologie.

 

Quittons le trône un instant. La vogue des verbes en –iser n’irait-elle pas de pair avec les psychologues de bazar, qui passent leur temps à transformer noms et adjectifs en effets ? (De là à dire qu’ils psychologisent tout, y’a un pas qu’on ne s’autorisera pas z’à franchir).
Car, ainsi que nos propres feuilles ont pu l’ouïr :

La présence d’un chien dans une maison, c’est fou comme ça « sérénise ».

On en a laissé sur le bord de la route pour moins que ça. Que le meilleur ami de l’homme lui procure la sérénité, aucun doute là-dessus. Mais rasséréner, c’est pas fait pour les chiens, me goure-je ?
(Encore un problème à solutionner résoudre, grmblll).

Fragiliser : apporter de la fragilité ;
Sécuriser : apporter de la sécurité ;
Hygiéniser : apporter de l’hygiénité.
Toute une technique.

Seul le débouche-chiottes sauvera la langue du grand tourbillon mouillé.

Merci de votre attention.