Egarer

 

Vu son préfixe, égarer pourrait équivaloir à « se perdre en sortant de la gare ». A condition que la gare en question soit inconnue, et assez monumentale pour nous avaler/recracher où bon lui semble.

Mais revenons à nos moutons, moutons. Euh, par là.

1050, première occurrence du verbe. Et encore, sous la forme esguarethe : « troublée, inquiétée ». L’esguarer de 1120 marche d’un pas plus sûr : « perdre le bon chemin ». Il prend le sens qu’on lui connaît fin XIVe : « mettre à une place qu’on oublie, perdre momentanément ».

Ici surgit le cousin germain garer :

« Scheiße, où j’l’ai garée déjà ? »

 

Sûrement du côté de warôn, « faire attention », devenu wahren et bewahren (« préserver ») dans la Prusse actuelle. Not to mention l’anglais beware (« prendre garde à ») et le fameux aware (« conscient »), cher à Jean-Claude Van Damme. Le tout émanant du radical indo-européen wer- (« percevoir, être sur ses gardes »).

Nous-mêmes utilisons l’interjection « gare » pour avertir charitablement la cantonade :

Gare à tes fesses !

Ce que le Jean-Claude traduit sans crier gare par :

Stba !

 

Garer : « faire attention » ; égarer : « ne pas faire attention » ? Excusez, c’est un peu réducteur. Notre sens de l’orientation ferait s’esclaffer une girouette d’accord mais il n’est pas rare qu’on s’égare de bonne foi, notamment sur les sentiers balisés pis d’un coup plus.

Au fait, regardez regarder. Figurez-vous qu’il y a aussi du wer- là-dessous. Et que croyez-vous que gardent les gardes, sinon ce sur quoi il faut veiller, et qu’il ne faut pas égarer ?
On n’a jamais trop d’égards pour la langue.

Merci de votre attention.

 

Face à quoi déclamer « to be or not to be » ?

 

Là est la question.
Car au moment d’attaquer la tirade, vous réalisez qu’il manque le crâne. Soit un plaisantin vous l’aura chouravé sans demander son reste, soit la mise en scène minimaliste ne prévoyait aucun accessoire.
Dans tous les cas, vous vous retrouvez marron, Gros-Jean comme devant, genuinely emmerded pour les puristes.

shakespeareComment le métaphysique apogée peut-il submerger la salle s’il repose sur votre seule interprétation flageolante ?

Tout n’est pas perdu. Vous qui avez brûlé les planches par les deux bouts savez tirer avantage de n’importe quelle situation. Sans qu’on subodore jamais la panique sous le vôtre, de crâne.

Improvisez avec ce qui vous tombe sous la main. Les meilleurs Hamlet ne sont-ils pas mitonnés avec les moyens du bord ?
Ce qu’un public non averti verra comme un pis-aller s’imposera comme un parti pris audacieux.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en prince du Danemark civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Ni tibia, ni coccyx, ni clavicule pétée n’égaleront la puissance évocatrice des orbites. Sortez du registre anatomique et recréez un néant tout à fait convaincant avec une vapoteuse, le vinyle d’un obscur yé-yé nippon ou la sortie de secours.

 

♦  Pour symboliser la volatilité de l’existence, brandissez donc le sauc’ qui vous suit depuis les loges.

 

♦  A propos, tout le premier rang admire goguenard le bout de gras resté coincé sous votre molaire gauche. Profitez-en pour envoyer le monologue dans les dents de votre brosse et de votre tube de Colgate.

 

♦  Adressez-vous à un spectateur au hasard, de préférence un peu décati pour rappeler le crâne. Ça lui apprendra à rire sous cape de vos gencives.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.