La condition du futur

 

Depuis environ Cro-Magnon, futur et conditionnel sont des concepts bien clairs dans nos têtes. On a beau ne pas les confondre intellectuellement, dès qu’on les couche sur papier, ça redevient du pifomètre, comme si 1 et 1 faisaient alternativement 2 ou 11. C’est dire à quel point l’orthographe est en option dans ce pays de débiles.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Futur = ce qui arrivera (c’est sûr).
Conditionnel = ce qui arriverait si (c’est pas sûr).

Les trouble-fête rétorqueront que le futur ne se peut prévoir, et que rien n’est sûr ici-bas et que c’est d’ailleurs tout ce qui fait le sel de la vie. Une attaque de drones dans les glaouis suffira (sûr) à les écarter de la piste.

Comme on ne parle que de soi dans ce pays de blaireaux, l’infamie n’éclate heureusement qu’à la première personne. C’est la conjugaison qui veut ça :

j’aimerai/j’aimerais.

Rien ne les distingue à l’oreille. Mais décalez-vous d’un cran :

tu aimeras/tu aimerais

et ainsi de suite.

Ou alors, complétez par bien :

j’irai/j’irais bien.

Impossible de se planter. D’ailleurs ça ira bien. Qu’il faille en passer par ces petits trucs pour ne plus commettre ces erreurs grossières, c’est à vous dégoûter de ce pays d’incapables.

 

Ayant recouvré leur virilité sur ces entrefaites, les chipoteurs argueront que le doute est parfois légitime :

j’aurai besoin de bras/j’aurais besoin de bras.

Si la grande chaîne de l’évolution vous a hypertrophié la comprenette au point de ne plus sentir le tact du conditionnel, voire du futur ici (car le pauvre a de toute évidence besoin d’aide maintenant), remplacez par le futur proche :

je vais avoir besoin de bras.

Pendant que vous gambergez, l’armoire est déjà en bas. Pays de tire-au-flanc.

Merci de votre attention.

 

Richard Gotainer

 

Ceusses qui connaissent leur loustic sur le bout des doigts… restez, maintenant que vous êtes là. Z’en serez quittes pour une cure de classiques. Les autres, il ne sera pas dit que le restant de votre vie et Richard Gotainer suivent deux routes parallèles.

Gotainer est un faiseur de chansons vachtement mésestimé, pour dire le moins. Youki, Sampa et autres Femmes à lunettes, trop potaches pour être honnêtes ? A priori bébête, qui revient à reprocher à Jean-Marie Bigard ses sketches à 8 bites/seconde, sans voir que Les expressions, La chauve-souris ou La valise RTL ne sauraient prendre une ride.

Revenons à mon Riri. Pas plus tard qu’en 2010, face aux aspirants musicologues de la Sorbonne (ben quoi ?), le coquin détourne le clicheton à son avantage, se définissant comme un « obsédé textuel ». Pirouette, une de plus. Réécoutons Halleluya ou Chlorophylle est de retour. Pas de doute, Gotainer est un génie puisqu’il entend se donner les moyens de la démesure. La gloire le rattrapera un jour. Seulement, comme il est timide, il ose pas le dire – c’est tout à son honneur.

Deux-trois citations en passant pour remettre les béotiens d’équerre. Oyère.

Elle ne planait jamais plus haut
Que le plus haut d’ses bigoudis ;

Et puis parler, ça fait du bruit
Quand l’un dit oui et l’autre non ; 

Devenu bossu tant il rit dessous sa houppelande
L’extravagant homme des lubies se dandine dans la lande.

Dans la bouche du premier venu, on flancherait limite dans la préciosité. Pas chez lui. L’hurluberlu qui sort de l’œuf assimile houppelande, guingois, mastodonte, hure, galure, itou comme le meilleur miel. Fluidité de la langue servie par un chant au-dessus de tout soupçon, quelque brise-cou que soient les saloperies merveilles réservées par ses compères mélodistes* (surprises garanties à la millième écoute). Notre homme te me vous enquille ça avec un naturel à tomber par terre. Moitié de rire, moitié de jalousie, il faut bien le dire.

chants-zazousLe taquin et la grognon, les Contes de traviole au grand complet, les « quatre saisons » de Chants Zazous, autant de chefs-d’œuvre que ne terniront pas redites et fourvoiements. Car qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre (puisqu’apparemment, faut tout vous expliquer, aujourd’hui) ? Rrrrrréponse : impossible de repérer, du texte ou de la musique, lequel s’est pointé en premier. Imaginez Yesterday ou Avec le temps sous un autre habillage : c’est siamois, tout ça.

D’ailleurs, à quel interprète doit-on de se lever tous pour Danette, de siffler Belle des Champs et de tenir la patate grâce à « Vittel, buvez, éliminez » ? Message et ritournelle bras dessus bras dessous pour toujours, l’exercice est évidemment dans les cordes du garçon.

Lequel aura réussi, sous couvert de déconnade, à rendre l’amour des mots et l’amour des sons hautement contagieux.

Vive Gotainer.

Et vive la Gaule.

* Le bonjour (à genoux) à Celmar et Claude, sans qui…