Ôter d’un doute

 

Ôtez-nous d’un doute : l’expression « ôter d’un doute », si on s’y arrête (et on va s’y employer toutes affaires cessantes), apparaît légèrement douteuse, non ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ne nous laissons pas zaveugler plus longtemps.

Ôte-moi d’un doute :

on pige tous ce que ça veut dire : rassure-moi, éclaire ma lanterne, épargne-moi une sueur froide.

Or en réalité, ce qu’on attend de notre interlocuteur en pareil cas, c’est qu’il ôte le doute de nous et non l’inverse. C’est le doute, pas le dubitatif, qu’il faut retrancher, sans quoi les affres du second demeurent, inamovibles et bêtes.

Logiquement, on devrait baver :

Ôte-moi un doute

de même que

7 ôté de 9 = 2

comme la maîcresse nous l’a appris.

La seule possibilité d’ôter quelqu’un de quelque part reste

Ôte-toi d’là que j’m’y mette

et encore, les putschs se font plutôt rares en cette saison.

 

L’embrouillamini viendrait-il du fait que celui qui doute est par définition dans le doute jusqu’au cou ?

 

Prenons le Shuttle et cet autre exemple :

I miss you.

La VF ne donne point

Je te manque,

ce qui, même si la chose est vraie, est un peu présomptueux (ou presumptuous) mais

Tu me manques.

Outre que ah la la, ces Zanglais, font jamais rien comme tout le monde, le changement de perspective est le même : par to miss il faut entendre « manquer » au sens de « louper ».

Je te loupe,

parfaitement. D’où

Je ne suis pas avec toi

donc

Je me languis de toi.

Autrement dit,

1 ôté de 2 = 1.

La peste soit de ces expressions à la manque.

Merci de votre attention.

 

Célibataire

 

Les sites de rencontres se disputent l’honneur d’éradiquer le plus de spécimens possible. Comme si le choix d’un bon paquet de célibataires – les plus endurcis – de ne pas devenir qu’une moitié ratatinée par le quotidien n’était pas délibéré ! A pisser dans sa culotte, quiconque la porte.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Tel le grabataire gardant le grabat (voui voui), le célibataire vit dans le célibat mais lui est tout à fait libre de partager son plumard.

Montaigne évoque dès 1549 « le coelibat des prebtres ». Ecrit comme ça, la parenté saute aux yeux avec le caelibatus latin, dérivé de caelebs. Qui, tiens par hasard, ne viendrait point de caelum, le ciel, tant qu’on y est ?

N’en déplaise aux célibs qui auraient pu repartir tout requinqués par cette céleste ascendance, aucun rapport. Pas plus qu’avec une célébrité quelconque, faut pas se faire d’illusions.

 

Caelebs se décompose en réalité comme suit :

  • cae-, qu’il nous est donné de zieuter dans caecus (« qui n’a qu’un seul œil » → cécité) ;
  • -lebs pour dire « vivre » (→ to live, leben, du radical indo-européen leip-, « demeurer »).

 

Par définition autosuffisant, le célibataire ne cède donc pas aisément aux sirènes de l’amour qui, pas fou, le rendraient plus aveugle encore.

Merci de votre attention.

 

Comment croiser un khônnard dans la rue en lui faisant bien voir qu’il ne peut pas ne pas vous voir ?

 

Situation surréaliste qu’on hésite à inclure dans une rubrique jusqu’ici sérieuse. Jugez plutôt : une connaissance, plus ou moins vague, arpente inopinément le même trottoir que vous en sens inverse. Rien ne justifie qu’elle fasse semblant de ne pas vous voir, sauf cécité, excréments dans les yeux ou Alzheimer salement avancé. Vous-même soupesez déjà intérieurement votre formule de politesse, optant pour un cordial « tiens ! comment ça va ? ».

Pour être honnête, la santé de cette personne ne vous préoccupe jamais en d’autres occases que celle-ci, et encore. Mais est-ce une raison pour lui signifier votre indifférence à ce point ?

L’autre en tout cas ne s’en prive pas, qui déploie une gamme impressionnante de parades : tourner ostensiblement la tête, triturer son téléphone (la peste soit de ces khôchonneries), refaire son lacet… TOUT plutôt que de soutenir votre regard (au cas où vous le mangeriez) et s’arracher la hure à vous saluer (comme si l’effort lui coûtait).

Passerez-vous le restant d’une si courte vie à secouer la tête en ravalant votre rage et à sourire jaune en signe d’incrédulité ?
Khônnards, khônnasses, vous jouez de malchance car le vent tourne.

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en piéton civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  La plus simple, toujours efficace, consiste à vous fendre à haute et intelligible voix d’un « pas bonjour » ou d’un « bon ben pas bonjour alors » dès que l’évitement est avéré. Formule à agrémenter selon l’humeur d’un « khônnard » bigardien, toujours libérateur.

 

♦  Sans desserrer les dents (comme votre hypocrite), obstruez-lui le passage en accompagnant chacune de ses esquives façon Tian’anmen. Réalisant comme il aurait eu meilleur compte à agir normalement, il ira saluer tous les quidams qu’il croisera, ou au contraire se terrera chez lui sine die.

tiananmen

♦  Lorsque le déplaisant arrive à votre hauteur, déboutonnez sans vergogne votre pardessus, découvrez une épaule, retroussez du tissu, allez jusqu’à la bretelle de soutif s’il le faut mais toujours avec force œillades et dandinements suggestifs qu’il sera bien forcé de regarder.
Ce strip-tease improvisé présente l’inconvénient de devoir vous coltiner en permanence un groupe d’au moins trois ou quatre cuivres, une section rythmique et un joecocker capable d’entonner au pied levé You can leave your hat on. On n’a rien sans rien.

 

♦  Le malotru entreprend de vous dépasser comme si vous n’existiez pas ? Suivez sa logique. Déviez de votre course et fondez sur lui. Lorsqu’il s’écartera de justesse avant la collision, vous pourrez toujours rétorquer que désolé, vous ne l’aviez pas vu, ça pour une surprise.
Alternatives possibles : faire « bouh ! », imiter tout à trac la sirène des pompiers, balancer un « Gooooooooooooooooood morning Vietnaaaaaaaam » audible à l’autre bout de la ville. A son tour, « good morning » il bredouillera, si toutefois l’après-midi n’est pas entamée et si la honte lui laisse assez de jugeote.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.