Surpoids

 

Replets, replètes, vous conviendrez qu’on ne s’habitue guère au surpoids. Et pour cause, il n’y a qu’un poids, point. Ou alors il faudrait aussi parler de sous-poids. Les plus inchatouillables physiciens s’en feraient dessus.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Prenez l’obèse du Guinness des records. Il se contente, comme nous tous, de peser son poids, qui est absolu (mais qui est surtout énorme). Tout surpoids ne serait pas homologué. D’ailleurs y’a pas besoin de l’accabler davantage, le gros.

Et taille ? Pas de sur- qui tienne. Mesure-t-on la surtaille du grand schlaqué du Guinness des records ? Non, une fois la toise retirée et l’escabeau replié, on lui fout une paix royale. En l’appelant éventuellement « grand », en signe d’affection.

Et pour l’ascenseur bondé qui ne parvient pas à décoller, n’est-ce pas le surpoids qui est en cause ? Plutôt une « surcharge pondérale », expression à ne surtout pas appliquer à ses occupants, même bien en chair, sous peine de verser dans le surpolitiquement correct.

 

Au même titre que non-voyant, malentendant ou hypernerveux, surpoids est un terme clinique monté de toutes pièces par la gent diététicienne désireuse de vendre son bifteck bio ne froisser personne. L’effet produit est exactement l’inverse.
Pendant ce temps-là, que devient embonpoint ? On le laisse choir comme une demi-crotte, alors qu’il mériterait une étymo à lui tout seul.

 

Must du must, surpoids est toujours introduit par le trop fameux « être en » pour former – défense de rire – « être en surpoids ».
Est-ce à dire qu’« être en poids normal » nous pend au nez ? Ça reste avoir.

 

Patapoufs, patapoufs, relativisez. La prochaine fois que la balance vous renvoie votre surpoids à la figure (en décrivant une courbe au-delà des bourrelets), dites-vous bien qu’elle surpèse.

Merci de votre attention.

 

Fruste/frustre/rustre

 

Ça doit être notre côté germanique refoulé (vive Maginot) : on préfère se mettre des r plein la bouche, quitte à passer pour des frustrés à la langue un peu fruste. Dans le genre rustres hein.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Sous l’influence du nom rustre, le locuteur lambda transformera l’épithète fruste en un « frustre » qui n’existe qu’aux 1e et 3e personnes du verbe frustrer. Et encore, faut déjà être méchant :

Qu’est-ce que ça me frustre ;
Je le frustre exprès.

Pente fatale qu’il est grand temps de remonter en rappel grâce à une mnémotechnique incroyablement affûtée.

 

Déjà, remettons-nous bien dans la soupière le sens de fruste :

mal dégrossi

en parlant de quelqu’un.

Celui de rustre, fort proche, appelle la confusion que c’en est indécent :

homme grossier et brutal.

Le bœuf, quoi. Pouvant donc légitimement se sentir frustré, ce qui n’arrange rien.

 

Heureusement, l’étymo nous prend par la main comme à l’accoutumée.

Fruste (premier sens : « rugueux, mal poli ») vient du latin frustum, alias « morceau », rapport à l’indo-européen bhreus, « casser » (→ briser, fracture).
Rustre (premier sens : « habitant de la campagne, paysan ») éclot du latin rusticus qu’on connaît par cœur.

Et hop ! Fruste : un seul r comme dans Frühstück, alias « manger un morceau » (plus exactement « morceau tôt », vive Maginot).
Rustre : deux r, comme dans rural.

 

Plus qu’un emmêlement de pinceaux, « frustre » est un cri du cœur : on y exorcise une frustration dont c’est peu dire qu’elle mène le monde.
Le meurtre ? Frustration incontrôlée.
L’art ? Frustration transcendée.
Le paradis ? Frustration d’être mortel (marche aussi avec les enfants).
L’amour ? La guerre ? Le progrès ? Frustrutiu, frastratia, fronstrontion.
Et le plus beau pour la fin : le capitalisme, machine à frustrer auto-nourricière.
Dans le genre rustre hein.

Merci de votre attention.

 

Fret

 

Le Fret : hameau de la commune de Crozon, situé en bordure du littoral sud de la rade de Brest, entre Lanvéoc et l’Île Longue, port traditionnel offrant des liaisons maritimes transrades à destination de Brest pour les habitants de la presqu’île de Crozon. Comme son nom l’indique.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Fret est très peu utilisé dans la conversation courante, sauf par les employés de la Seuneuceufeu. Pourtant, imaginez ce qu’il représente en tonnes à l’échelle d’une seule journée. Alors que Dieu qu’existe pas est sur toutes les lèvres. On est bien peu de chose.

Malgré la générosité du verbe affréter (« prendre à louage un moyen de transport de marchandises ou de personnes »), le fret concerne plutôt des cargaisons inanimées.

Et le mot voyage beaucoup. A ce stade, le mot « bourlingue » n’est point exagéré.

 

Ainsi, dans le « freight train » des chansons ferroviaires anglo-saxonnes, freight dérive de fraght issu de vracht, vrecht en moyen hollandais et en moyen chleu. D’où découlent le danois fragt, le suédois frakt, le portugais frete et notre fret national.

La faute à fraught, apparu début XIIIe en Anglo-Saxonnie toujours : « cargaison de marchandises » en causant d’un bateau. L’ancien teuton fra-aihtiz, « propriété, biens », mettait il est vrai en lumière le radical –aigan, « posséder », lui-même couvé par l’indo-européen aik- de même sens, auquel les Zanglais doivent leurs verbes owe (« devoir [qqch] ») et own (« posséder »).

 

Ici, la guerre fait rage : prononce-t-on le t de fret ? Oui, si l’on veut éviter la confusion avec frais. Comme dans :

Il est frais mon poisson ! Il frétille encore !

Merci de votre attention.