Bactériologie

 

Le smartphone et nous, suite : quel Léonard aurait pu imaginer qu’en faisant ça avec le doigt (ou même ça), l’écran réagirait comme un fidèle toutou ? Même les plus blasés restent éberlués en secret de pouvoir à ce point commander la machine. Avec pour corollaire un état dégueulasse après utilisation.
Qu’un tel miracle côtoie l’innommable, ça ne vous débecquette pas un chouïa ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Nous l’avons tous dûment constaté, le revêtement des écrans tactiles est conçu pour n’y glisser/zoomer qu’une seule fois tout schuss. En effet, dès que vous reposez le machin à la lumière, vos empreintes apparaissent par couches superposées à faire pâlir d’envie la scientifique. Songez qu’en sus d’y mettre les paluches à longueur de journée, vous vous le collez à l’oreille. Les bactéries se mitonnent des noubas d’enfer.

 

Evidemment, la manipulation directe de jambon ou de confiture est à éviter. L’hygiène la plus élémentaire nous contraint cependant à faire place nette quasiment à chaque empoignade, grâce à des mousses de nettoyage qui valent aux fabricants des gonades plaquées or.
A croire que ceux-là sont de mèche avec les magnats de la téléphonie.

Car comment une technologie aussi avancée peut-elle encore buter sur ce hic ?

Dans votre habitacle au moins, un coup de lave-glace et ça rebrille !
(Encore que, n’exagérons rien, il reste toujours un triangle tout en bas, exclu de la course des essuie-glace ; inamovibles Bermudes dont aucun compas industriel n’est encore venu à bout.)

 

Sans doute pourra-t-on sous peu balayer l’écran et notre petit caca papillaire du même revers de main. Mais en attendant ? Gants ? Patins digitaux ? Une charlotte pour les écoutilles ?

Constructeurs, ça urge. On dit ça, c’est pour vous ; au train où vont les choses, estimez-vous heureux qu’aucun ressortissant zaméricain ne vous ait assignés en justice pour avoir contracté le coryza de son voisin.

Merci de votre attention.

 

Imbécile

 

Non, pas vous. L’imbécile de service, celui ou celle (l’e final vaut pour tous) qui mérite notre dédain intégral. Sans haine, car imbécile est un nom d’oiseau rare, une insulte sélect, presque un constat.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Imbécile (non, pas vous) est si fin et racé qu’il ne supporte aucun des traitements que nous réservons habituellement au vocabulaire courant. Pas d’apocope (imbé), pas de verlan connu (cilimbé) quoique le charme opèrerait encore. Pas non plus de suffixation (comme dans connard, salopiot) ni d’hyperbole (super-connard, non, pas vous). Du haut de sa superbe, imbécile semble intouchable.

Il se paye même le luxe d’être bi (nom et adjectif), comme son cousin scélérat :

Une loi scélérate ;
Les scélérats !

Des mesures imbéciles ;
Imbécile !

Non, pas vous.

Notons enfin le double l d’imbécillité. Suprême distinction qui n’a rien d’un caprice, ainsi que l’étymo va nous le révéler. Vous préviens, elle est à la hauteur de l’animal.

 

Souvenons-nous d’abord du « faible de nature » en vigueur jusqu’au XIXe siècle. Par extension, un imbécile n’a plus toutes ses facultés intellectuelles et dans la foulée, savez ce que c’est, devient – sens actuel – khôn comme une pelle.

Or dans les premiers dicos, imbécile s’écrit imbecille (le français a longtemps ete fache avec les accents et phriandt en consonnes). Fin XVIe, le « sexe imbecille » équivaut, évidemment, au « sexe faible » – expression tout aussi imbécile, s’ pas, filles du sexe féminin.

 

Mais zieutez le latin imbecillus, d’où tout déboula. Pourquoi « faiblard », à la fin ? Parce que l’imbécile n’a pas de bacillum (« bâton ») pour le soutenir. Avouez que ça vous coupe les pattes.

Pas pour rien si ces saloperies de bacilles ont la forme de bâtonnets. Nous les appelons bactéries à nos heures perdues à cause du grec ancien baktêria (« bâton pour la marche »), d’après l’étymon indo-européen bak- (« bâton, frapper ») qui nous vaut aussi la baguette. Magique !

 

Conclusion : celui qui veut frapper sur une batterie et oublie ses baguettes est un imbécile.

Merci de votre attention.

Non, pas vous.

 

Français partiellement de synthèse

 

Les fabricants de blocs WC – parce que ce sont des boîtes privées ? – s’oublient de plus en plus. Dernier exemple en date, relevé sur un emballage section « retape » :

Hygiénise.

On en a envoyé au goulag pour moins que ça.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Décidément, les toilettes ne sont plus le havre de paix qu’elles étaient, à la porte duquel nous laissions tracas du monde et indignations. Faut encore qu’« hygiénise » y perturbe le champ de vision. Et l’intellect : pourrait-il s’agir du verbe « hygiéniser » à la 3e personne ? L’intitulé « Parfume » le confirme à deux paragraphes de là. « Tue les microbes » sonnait moins parole d’expert, « Anti-bactérien » frôlait la redite avec « Anti-tartre » ; drôlement pensé, tout ça.

On ne s’étonnera point que l’Industrie chie du néologisme au kilomètre. (Pardon, qu’elle « néologise »). D’autant qu’« hygiéniser » fait déjà figure d’ancêtre : on le croise dès 1969. Dans le compte rendu d’une revue suisse d’hydrologie.

 

Quittons le trône un instant. La vogue des verbes en –iser n’irait-elle pas de pair avec les psychologues de bazar, qui passent leur temps à transformer noms et adjectifs en effets ? (De là à dire qu’ils psychologisent tout, y’a un pas qu’on ne s’autorisera pas z’à franchir).
Car, ainsi que nos propres feuilles ont pu l’ouïr :

La présence d’un chien dans une maison, c’est fou comme ça « sérénise ».

On en a laissé sur le bord de la route pour moins que ça. Que le meilleur ami de l’homme lui procure la sérénité, aucun doute là-dessus. Mais rasséréner, c’est pas fait pour les chiens, me goure-je ?
(Encore un problème à solutionner résoudre, grmblll).

Fragiliser : apporter de la fragilité ;
Sécuriser : apporter de la sécurité ;
Hygiéniser : apporter de l’hygiénité.
Toute une technique.

Seul le débouche-chiottes sauvera la langue du grand tourbillon mouillé.

Merci de votre attention.