Plans Marshall

 

Les médias frétillent comme un seul homme à l’annonce d’un plan Marshall, notamment pour les banlieues. Bref rappel historique : George Marshall, 1880-1959, général des Stazunis dont le fameux plan permit de reconstruire l’Europe il y a une guerre de ça. Pas étonnant qu’on ne voie jamais la couleur d’aucune réplique. Notamment pour les banlieues.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Chaque fois qu’un décideur sort un plan Marshall de son galure, pouvez être sûrs qu’il ne pèse pas ses mots : c’est du figuré. Sous-entendu : aux grands maux les grands remèdes, z’allez voir ce que vous allez voir.

Sinon foutage de gueule, l’expression est du moins à prendre avec des pincettes. Comme il s’en lance à peu près un par semaine, de plan Marshall (notamment pour les banlieues), on finit par douter, c’est humain.

 

Pour éviter qu’on ne gamberge trop, il arrive qu’on nous mette du Grenelle en attendant :

il faut un Grenelle des banlieues.

Voilà qui ne mange pas de pain et qui permet de dormir sur ses deux oreilles.
L’inconvénient, c’est que c’est moins martial que Marshall – sans mauvais jeu de mots. Parce que si le nom n’en impose pas un minimum, comment pourrait-il être suivi d’effets ? Imaginez que le grand sauveur se soit appelé Engelbert Humperdinck. Ou Michel Tupperware. Ou même George Bay. Il n’aurait sans doute pas laissé la même trace dans l’Histoire.

plan-marshallToute péroraison à base de plan Marshall est donc vivement déconseillée. Y compris si vous vous appelez Marshall ; de quoi auriez-vous l’air, autoproclamé avant même d’avoir débloqué le premier kopeck ?

 

Laissons Marshall où il est : avec les asticots à Washington. Que celui qui se retrousse les manches propose un plan tout court.
Ce que la testostérone y perdra, la modestie y gagnera.

Merci de votre attention.

 

Je te kiffe, moi non plus

 

Sur la richesse ou l’appauvrissement qu’amènerait la faconde banlieusarde à la langue, on peut gloser à l’infini. Et louper l’essentiel : l’autochtone de la téci (ou d’ailleurs) est si souvent en représentation que son

je te kiffe

vaut déclaration d’amour. Pas étonnant que les filles du sexe féminin le trouvent relou.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le verbe est coloré, aucun doute là-dessus. Il sous-entend le « plaisir », le « bien-être », la « joie » et, appelons un joint un joint, l’« euphorie » causée par le kif, ce haschich du bled. Kiffer sent le soufre, suinte l’addiction (hallucinogène ou affective) voire l’érotisme lié au fait d’inhaler et de se laisser envahir. Précisément, un gentilhomme peut-il mettre sur le même plan une idylle et deux taffes ? Le cœur (flamboyant) et les poumons (cramés) ?

On vous l’accorde, se laisser aller à dire

je t’aime

requiert d’en avoir dans le slibard de l’entraînement. Mais bande de bonobos, voyez pas la différence de calibre ?

Je te kiffe

est la formule d’un flirt au maximum. Pas celle d’un amoureux transi, méfiez-vous. Transposez le C.O.D. à la 2e personne du pluriel et « je te kiffe » s’effondre comme une barre d’immeubles après le compte à rebours.

C’est que kiffer ne pose qu’un jugement tout juste subjectif, qui sert pour tout ; on pourrait aussi bien dire « je kiffe le poisson pané ».
L’on vous fera grâce ici du rutilant (sic d’avance) :

Laisse-moi kiffer la vibes avec mon mec.

Mais, objectez-vous, idem pour le verbe aimer : « j’aime le poisson pané ». Rââh, permettez. Cas unique en français, aimer s’anime d’un sens plus fort tout nu qu’habillé :

Je vous aime ;
Je vous aime beaucoup

Hein ! Au bout de la seconde proposition, on s’attendrait à ce qu’un mais parachève le râteau.

Alors que, vous en conviendrez,

je te kiffe

et

je te kiffe grave

barbotent sensiblement dans le même marigot sémantique.
Il n’est pas né le colin qui vous éconduira, au moins.

 

Vaste sujet, souvent traité ici même ( pis aussi) que l’expression amochée des émotions…

Vivement

j’te prends j’te nique !

Merci de votre attention.