Qui de droit

 

Y a-t-il pire tic* que celui consistant à se plaindre (ce qui est déjà passablement pète-khôuilles) à la mauvaise personne (ce qui rend l’affaire 100% stérile) ? On ne se plaint pas, on constate.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Faut-il que le moulin à plaintes ploie sous le faix de ses malheurs pour s’en délester sur le premier venu – c’est-à-dire vous, et votre bol légendaire. Comme si vous en pouviez mais, d’une part, et lui étiez d’un quelconque secours de l’autre.

Inutile de vous répandre en

je n’en puis mais,

sa litanie repartira de plus belle. Ne vous exposez pas aux relances (notamment au sujet de vos tournures) et ne faites pas semblant d’écouter, surtout. Motus, quoi.

 

Ce que voyant, le moulin à plaintes s’en remettra au chat, au sophrologue, au psy voire, comble de l’inefficace, au dieu le plus proche. Ce que voyant, son représentant sur terre, toujours prompt à exploiter le filon en prout-proutant le message, dira :

Aide-toi et le Ciel t’aidera.

Rien du tout.

Aide-toi et le boulot sera fait.

bureau-des-pleurs

Aussi pète-khôuilles que soit le moulin à plaintes, pardonnez-le. Non parce qu’il ne saurait pas ce qu’il fait (faudrait voir à pas trop pousser grand-moman dans les orties, surtout si elle est en short). Mais parce que lui seul détient la solution, attendu que dès l’instant où les jupes de moman ne seyent plus au chouinage, on ne peut compter que sur soi-même.

Se rangeant à votre avis, il ira tout requinqué encombrer la blogosphère. Ses exercices de style pèteront toujours les khôuilles de ses lecteurs mais ils lui permettront au moins de savoir ce qu’il pense.

Merci de votre attention.

 

* Jatil Pirtic, auteur d’une Anthologie du javelot (inachevée).

Dans quelle langue faut-il vous le dire ?

 

On a beau vous les passer au mégaphone, certaines consignes restent lettre morte. Sans raison particulière puisqu’elles sont formulées dans votre langue. Or, depuis vos chères études, aucune langue – maternelle incluse – ne trouve grâce à vos yeux. N’espérez pas de miracles en mandarin ou en bantou quand vous gâchez déjà les bijoux de famille.

 

En sus d’une forte tête, vous êtes donc une vraie bille. Du reste, ceux qui vous sollicitent n’en mèneraient pas tellement plus large en changeant d’idiome. Leurs rudiments de baragouin ne déclencheraient même pas l’indulgence des populations autochtones.

français

De votre côté, il ne vous reste plus qu’à simuler la bonne volonté, histoire qu’on puisse vous confier des trucs sans avoir l’impression de se soulager dans un stradivarius.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en métropolitain civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Ça ne veut pas rentrer par les oreilles ? Qu’on vous laisse des messages écrits ou dessinés, sans lésiner sur le Stabilo.

 

♦  Sans doute ne bitez-vous jamais un broc du fait que vous n’êtes pas né(e) à la bonne époque. Exigez qu’on s’adresse à vous en ancien françois ou mieux, en français du futur. Rigolade garantie.

 

♦  A la fois poétique et universel, le langage des signes vous permettra de communiquer en tous points du             avec n’importe quel                de votre trempe.

 

♦  Vous avez perdu tous vos points du permis de causer ? Rien de tel qu’un stage de remise à niveau pour réviser dans la bonne humeur l’orthographe du mot mégaphone.

 

♦  Si vous braillez plus fort que celui-ci, tout s’explique : vous êtes encore en âge de téter. Profitez-en bien pour n’en faire qu’à votre tête.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Vaut-il mieux courir le marathon, le cacheton ou sur le haricot ?

 

Comme disait le poète, « la vie n’est pas une course » et autres allégories à base de combustion par les deux bouts.

Il est vrai qu’invariablement, nous piquons sprint sur sprint comme si notre vie en dépendait. Rares sont ceux qui enchaînent les foulées sans ce sentiment d’urgence collé aux basques. Ivres de vitesse pure, ces privilégiés ne rompent-ils point inconsciemment avec l’instinct de survie de leurs aïeux, contraints de fuir le fulminant prédateur ou, au contraire, d’avoir le meilleur sur l’impala bondissant ?

 

Qu’ils se détrompent, d’autres motifs de courir naissent tous les jours des nécessités modernes.

Ainsi, le but du marathonien est le dépassement, non des autres participants (dont le respect mutuel grandit avec la distance, doit y avoir un axiome à méditer là-dessous) mais de soi-même. Idem si, bille en tête, vous courez le cachet : 507 heures ne seront pas de trop pour irradier de tout votre talent, surtout s’il est très enfoui.

A défaut d’une telle endurance, vous pourrez commencer à courir sur le haricot de vos plus fervents soutiens, belle manière là aussi de peser dans l’existence.

courir

« Que vous sert de courir ? », s’enquerra le poète décidément en verve. Demandez-vous plutôt que courir.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en coureur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Enfilez vos meilleures tennis afin de disputer le mythique marathon. « Disputer » est bien le mot : rappelons qu’une semelle sur deux doit toujours toucher la terre ferme. Sans quoi les commissaires de « course » se feront un plaisir de vous disqualifier tout en vous rappelant leur devise : « y’a pas à tortiller ». 42 bornes et des brouettes sans pouvoir accélérer, libre à vous.

 

♦  Bornez-vous à courir le cacheton. Là encore, attention à ne pas confondre vitesse et précipitation : un faux pas est si vite arrivé ! Communément appelé « plan foireux », celui-ci vous fera certes bénéficier du statut tant convoité mais plombera paradoxalement votre carrière. L’estime de soi peut-elle fonctionner par intermittence ?

 

♦  N’hésitez pas à courir sur le haricot de votre prochain. Bien entraîné(e), vous n’éprouverez même plus la sensation d’effort (vu la circonférence de la légumineuse) et deviendrez rapidement imbattable. Au point que lorsque vous suggérerez qu’on fasse un bout de chemin avec vous, vous pourrez toujours courir.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

« Ni vu ni connu »

 

Locution quasi-adverbiale (les filles du sexe féminin ne l’accordent pas en genre et en nombre, même si on leur demande gentiment) qualifiant par excellence une opération dans le feutré. « Ni vu », on pige. Quant à « ni connu », c’est quoi c’t’embrouille ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’opération susdite humant la sournoiserie, qu’est-ce que « ni vu ni connu » sinon l’équivalent du plus tardif « pas vu, pas pris » ? A ce compte-là, on aurait pu figer la chose en « ni vu ni pris ». Mais nous n’avons rien fait de tel, trop amoureux de notre chère locution, son assonance en u, sa forme bancroche épousant le louvoiement du fond…

 

Tiens donc. Repassons la scène au ralenti.

« Pas vu », on l’a dit, normal, discrétion oblige. Mais pourquoi « pas connu », c’est vrai ça ? Si vous vous aventurez sur la pointe des pieds, n’est-ce pas plutôt pour ne pas être « reconnu » ? Alors alors.

Et quand bien même : vu qu’on ne vous a pas vu, on ne risque pas de vous reconnaître. Encore moins de vous connaître une première fois. Remplacez le verbe voir par entendre, pour voir.

 

A l’instar de « ni fait ni à faire », nivunikonu est certes plaisant en bouche mais son sens résiste à toute analyse un peu sérieuse.
Sans doute l’a-t-on bricolé sous l’influence d’incognito, littéralement « sans être connu », comprenez « là où je ne veux pas qu’on sache que je suis ». Précisément, ce noble adverbe concerne uniquement les gens célèbres voyageant au nez et à la barbe des emmerdeurs de tout poil. L’homme de la rue n’a pas, à proprement parler, de raison de circuler incognito – sauf à vouloir semer ses boulets à lui (et on ne l’en blâmera pas). Aussi se venge-t-il avec de petits trafics « ni vu ni connu ».
C’est vilain mais c’est humain.

Merci de votre attention.

 

Comment dire son fait à un khôn sans aucun danger ?

 

Les manières d’untel vous insupportent au plus haut point. Pour des raisons trop longues à énumérer, celui-ci fera partie du paysage pour un bon bout de temps hélas. Vous avez bien envisagé de le couler vivant dans le béton ou de lui faire découvrir le Grand Canyon mais la scientifique finirait par flairer votre piste.

Car il est difficile de vous en cacher : plus qu’un autre, ce khehehônnard majuscule mérite d’entendre ses quatre vérités.

Vous craignez cependant – et qui vous en blâmerait ? – que la crevaison de l’abcès ne dégénère en pugilat. Et préféreriez, tant qu’à faire, cracher votre pilule sur de belles personnes de votre connaissance, celles qui ont le chic pour vous réconcilier avec le genre humain.

 

Oui mais voilà : on ne dit son fait qu’à un khôn, par définition. Partant, il est fort probable que ça vous retombe dessus.

Parce qu’on ne se méfie jamais assez du khôn, mes moutons. Neuf fois sur dix, sa mauvaise foi lui permettra de retourner la situation à son avantage. Tout ce que vous y aurez gagné, ce seront d’autres ennemis, tout aussi khôns que le premier. Voire davantage puisque en matière de khônnerie, on atteint rarement le sommet.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en fielleux civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Exposez vos sentiments au khôn de manière anonyme façon corbeau. Le plaisir sera certes gâché par le fait de ne pas assumer mais vous pouvez compter sur sa khônnerie légendaire pour ne pas faire le rapprochement avec vous.

 

♦  Récitez-lui votre laïus à l’envers (en ayant pris soin de tout apprendre phonétiquement sens l’autre dans).

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♦  Si le khôn est président de la République, il est tout à fait possible que vous l’interpelliez sans vous faire mettre sur écoute interpeller à votre tour. Le chef des armées vous enjoindra dans sa barbe à passer votre chemin. Mais pas de triomphalisme : sa répartie ne respectera pas plus les canons du français que la vôtre (« touche-moi pas » ? allons bon).

 

♦  Le principal risque après tout serait d’avoir la mort du khôn sur la conscience, si toutefois (on peut rêver) celui-ci mettait fin à ses jours suite au déclic provoqué par votre intervention. Heureusement, dans sa logique de khôn, il ne comprendra à aucun moment ce qu’on lui reproche. Dans ces conditions, autant tout lui déballer à la gueule.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Que faire en cas de boulets dans les transports en commun ?

 

Vaste sujet tant métro, tramway, car, funiculaire, aéroplane charrient quotidiennement leur lot de boulets. Une statistique récente confiait même que ces derniers avaient déjà pourri le trajet de 100% des filles du sexe féminin. Sondage incontestable pour une fois. Quoique le suspense du résultat jouxtait peau de balle.

Il arrive que par chance le boulet vous repère depuis le train d’en face. Suite à quoi il évoquera son transport sous la rubrique éponyme dans Libé, en n’omettant pas de mentionner que « vos regards se sont croisés » et autres billevesées du même seau.
La plupart du temps, c’est hélas dans la promiscuité de la même ligne que les ennuis commencent.

 

Par définition, voyager en commun implique de se fader des tiers entre un point a et un point b. Il convient donc de s’en prémunir radicalement, car évangéliser selon Saint Georges (gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint se borne à ne pas trop emmerder ses voisins) aura peu d’effet sur les importuns congénitaux.
Qui d’ailleurs ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Les plus retors ne s’enquerront guère de votre « 06 » ou de la couleur de votre slip. Bien au contraire, c’est animés des meilleures intentions qu’ils vous lâcheront tout à trac, en vous observant en coin :

Il est passionnant, ton bouquin ? *

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en passager civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Si vous prenez la voie des airs, exigez un siège éjectable. Pour le boulet hein, votre but à vous est d’arriver à destination.

 

♦  Dans les transports sous-terrains, échappez-vous par le haut et rampez tel Tom Cruise vers votre salut. Attention, vent légèrement défavorable à prévoir.

 

♦  Des hooligans dans la rame ? Lancez-leur la baballe, pour les disperser.

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♦  Si l’affluence vous condamne aux haleines baladeuses, aux mains douteuses ou l’inverse, disposez généreusement pinces à linge ou pièges à rats selon l’endroit de votre anatomie concerné. Faire miroiter un sale quart d’heure au boulet au motif que le chauffeur serait votre oncle est vivement déconseillé, ce dernier étant lui-même un boulet notoire.

 

♦  Autostop ? Deux cas de figure. Soit le boulet monte à bord et il ne vous reste plus qu’à simuler le coup de la panne en imitant le bruit d’un gros pépin mécanique (à défaut, le CD Bruits de gros pépins mécaniques est disponible chez tous les bons disquaires). Soit c’est lui qui vous covoiture et vu votre échancrure en ces temps moites, vous auriez meilleur compte de choisir un autre bas-côté, par exemple celui d’une autoroute, mortelle au bout de vingt minutes seulement pour les piéton(ne)s.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

* Pour passionnante qu’elle soit (pour le coup) sur le plan rhétorique, cette question n’appelle que des réponses renvoyant le boulet à ses chères études. L’affirmative : « Oui et je n’ai pas l’intention d’en interrompre la lecture ». La négative : « Il me tombe des mains mais ça vaut toujours mieux que de converser avec vous ». Que vous ponctuerez, à votre guise, d’un « eh, khônnard ».

Par quelle formule prendre congé pour la 15e fois ?

 

Pendant que vous rêvez d’alpaguer une tête amie, un boulet surgit et vous prend dans ses rets. Et de dérouler, digresser, tenir le crachoir en assurant lui-même ses relances : le monstre vous pompe l’air et votre temps comme si vous l’y aviez expressément autorisé. Peu lui chaut d’ailleurs que vous coupiez court, le rembarriez ou usiez de monosyllabes. Un épouvantail ou une tranche de foie de veau auraient tout autant de répondant à ses yeux. Pourquoi vous dans ce cas ?

Parce que vous vous répandez en « d’accord », « pas de problème », « on fait comme ça » et autres « ça roule », tiens ! Pas étonnant que l’autre en redemande : vous simulez quasiment l’orgasme.

Ce faisant, votre stock de formules de congé s’épuise à vue d’œil. Quand enfin le boulet relâche son étreinte, il ne vous reste plus une seule cartouche.

 

A bout de forces, tout en recouvrant vos esprits, vous maudissez l’engeance importune. Gardez plutôt votre souffle pour la prochaine embuscade. C’est à chaud que vous viendront les meilleures parades.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en proie civilisée.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Intarissable est le boulet. Tant que sa propre prose ne l’incommodera pas, vous n’aurez aucune chance. Répétez donc tout ce qu’il dit. Pas une phrase en dessous de quinze bornes de long, excellent pour la mémoire.

 

♦  Hors de question de vous répéter, contrairement au boulet. Mais celui-ci goûte-t-il seulement les subtilités de la paraphrase ? Au diable vos scrupules grammaticaux. Choisissez une formule d’assentiment au hasard et tenez-vous-y. Au 14e « OK » hoqueté, il finira bien par rendre les armes.

 

♦  Misez toute votre dissuasion sur « à d’autres » avec des boulets d’entraînement : ex infatigable, institut de sondage, conseiller souhaitant faire le point avec vous, témoin de Jéhovah…

 

♦  Si le boulet vous persécute au téléphone, annoncez-lui qu’il y a erreur sur la personne. Si malgré vos refus surmimés, un faux frère vous passe la communication, prétextez que vous traversez, au choix :

  1. un tunnel
  2. une passe difficile
  3. une crise d’hémorroïdes

et qu’une autre fois, peut-être.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

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Pourquoi ne pas s’avouer ses sentiments profonds ?

 

Ceux que vous côtoyez ignorent pour la plupart tout le bien ou le mal que vous pensez d’eux. Regrettable autocensure. Certes, la nature de vos relations s’appuie sur une certaine réciprocité des sentiments : si x recherche votre compagnie, ce n’est pas pour vos beaux yeux mais parce que vous lui montrez, plus ou moins savamment, que vous l’appréciez itou.
Ça vaut aussi – et même surtout – lorsque vous ne pouvez blairer la personne. D’expérience, vous vous doutez que ce khôn d’y ne vous porte pas non plus dans son cœur. Vous en tireriez fierté d’ailleurs, si une mutuelle hypocrisie ne vous nimbait de honte à chacune de ses apparitions.

Or, au comble de la chamade comme au faîte de la détestation, vous aimeriez que les choses soient dites une fois pour toutes et sans détour. Si la politesse, les conventions sociales et autres billevesées vous en empêchent, prenez votre courage à deux mains et mettez les pieds dans le plat, votre main dans sa gueule, votre bouche dans la sienne – libre à vous.
Pour radicale qu’elle puisse passer de prime abord, votre petite mise au point vous vaudra à coup sûr l’admiration de tous, à commencer par celle de l’autre.
Mais, pour que votre franchise ne soit pas mal perçue, sachez vous entourer de précautions.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en puits de sincérité civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Il arrive qu’exprimer tout à trac votre transport laisse votre interlocuteur de marbre. Communément appelé « râteau », cette (absence de) réaction permet au moins de lever tout malentendu et de pouvoir le cas échéant passer à autre chose.
A l’inverse, il se peut que votre vis-à-vis s’étonne que vous déblatériez à son sujet car lui vous estime au plus haut point. Dans ce cas, pas de mauvais réflexe : au lieu de bredouiller que vous n’en pensiez pas un mot, allez jusqu’au bout et intronisez-le boulet sur-le-champ.

rateau

♦  Si c’est un gros balèze auquel vous adressez vos remontrances, assurez-vous, avant d’entamer les hostilités, qu’il soit bien attaché et/ou tenu à chaque membre par des comparses ayant suffisamment petit-déjeuné. Privilégiez pour votre coming out le jour où vous le croiserez pour la dernière fois de votre vie, afin qu’il ne retrouve pas votre trace.
Idem si vous en pincez pour la femme du gros balèze.

 

♦  Si vous vous apprêtez à déclarer votre flamme à un sourd, révisez votre langue des signes. Sans quoi vous risquez, à l’instant fatidique, de confondre « je me consume d’amour » avec « tu me sors par tous les trous ».

 

♦  Enfin, il est si simple de changer de banquier ou de garagiste qu’eux aussi méritent d’entendre leurs quatre vérités. Mais sachant qu’il ne vous reste qu’une mensualité pour le prêt de la bagnole, faites-les mariner jusqu’au mois prochain.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Mode dix-neuf-cents

 

Aussi casse-bonbon que le café deux fois sucré, la tondeuse du dimanche matin et le sachet qui lâche réunis : la date frappée du sceau de son siècle.
Mode vouée à disparaître dans les oubliettes de l’Histoire ? Accélérons le processus. Refaisons dix-sept-cent-quatre-vingt-neuf.

Mais d’abord, revenons à nos moutons, moutons.

De 100 à 900, on ne peut pas faire autrement. A partir de l’an Mil, d’aucuns, que la vieille terreur millénariste chipote encore (le nom savant de cette phobie, quelqu’un ?), gardent leur boulier des centaines. Et n’en démordent plus : onze-cents, douze-cents
Ben-voyons-mon-cochon.
Et pas la peine d’évoquer pour leur défense la Simca Onze-cents (ce vieux tas de tôle), digne héritière de la Simca Mille (ce vieux tas de tôle mais plus).

Coquetterie ? Caprice, oui !
Le truc ne s’applique en effet qu’au premier millénaire. Boâh, on peut à la rigueur trouver à quinze-cent-quinze-Marignan des charmes mnémotechniques. Ce sont bien les seuls. Depuis que l’an 2000 a déboulé, on en connaît qui se retrouvent bien enquiquinés. Pour l’instant, on ne s’en rend pas trop compte mais enfoncez-vous bien dans le crâne que dans cent ans, pour les historiens, nous serons en vingt-et-un-cent-quatorze.

 

D’ailleurs, enquérez-vous de leur date de naissance, à ces puits de science. Stratagème exactement inverse : l’élision des deux premiers chiffres. Et hop ! gommé, le poids des ans.

Je suis de 37.
Mais mon confrère est de 36, comme le Front Pop !

vous balancent-ils d’un air entendu. Et c’est reparti comme en 40.

Voyez la lâcheté du nistorien ? Certes, l’affaire fonctionne en cas de relative contemporanéité (aujourd’hui, on cause bien). Nous tous ou presque avons un pied dans le XXe siècle. Il ne viendrait à l’idée de personne de préciser quelles « années 60 ».
Ça passe encore de justesse pour le siècle précédent (« la guerre de 70 »).
Mais revenus au XVIIIe, il faut un événement particulièrement marquant, ou la rambarde d’un contexte, pour synchroniser nos montres. Rôbintiens : 89, justement. La Révolution ? Ou son bicentenaire ? Sachant qu’en sus, 1989 fut un millésime exceptionnel sur le plan historique, on n’est pas aidé.

 

Que les spécialistes (et même les non-spécialistes) raisonnent à l’échelle du siècle pour des raisons pratiques, très bien. Mais de grâce, basta avec ces lubies numérales.

Merci de votre attention.

 

Débarras

 

Définition de débarras : planque idéale d’une partie de cache-cache (en salle, sinon à plat ventre en haut de la butte). Pratiques, les fentes en chevrons dans la porte façon persiennes pour observer incognito !… non, z’avez pas connu ? Le prédateur arrive, vous frôle sous vos yeux et continue son chemin, si c’est pas du frisson ! Et à peu de frais, en plus.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Exemple perso mis à part, dans l’absolu, tout ce dont on se débarrasse fous-le dans le débarras, cet espace généralement si exigu que faudrait vraiment qu’on passe à la déchetterie on est bien embarrassé en attendant.

Savez quoi ? On n’y verra plus clair qu’une fois débarrassé de ce –barras.

Allons-y Alonso :
Les deux acceptions du mot, « cessation d’embarras » (comme dans « bon débarras ») et « endroit où l’on met les objets hors d’usage ou encombrants » (grenier du pauvre, v. plus haut), sont fort proches dans le temps (1798 et 1810 respectivement). Because débarras est le déverbal de débarrasser, dont la forme est déjà fixée depuis 1740. Mais si l’on remonte jusqu’en 1718, l’Académie propose encore « desbarrasser » ou « desembarrasser ».

Vu l’idée fort commune qu’il exprime, le verbe version longue a déjà bourlingué. On le croise, dans toute sa splendeur pronominale mais sans accent aigu, en 1584. Quarante ans plus tôt même, dans une correspondance, Catherine de Médicis avoue être « debaracee de [s]on enfantement ». On soupçonne que l’IVG s’est pas déroulée au poil.

Gide et d’autres auteurs utilisent encore ce plaisant désembarrasser. Oh mais c’est pas pire que désengorger (= dégorger), désengager (= dégager) ou désembouteiller (= dégagez). Ajoutons pour le plaisir déconstruire (= détruire) et désinformer (= déformer).
Coquetterie ? Oui mais qui permet de visualiser les deux états successifs : plein ; vide.

Elle est surtout conforme à l’histoire du mot, né « desembar(r)asser » en 1535 d’un père espagnol, « desembarazar » (1495), lui-même rejeton d’« embarazar » (env. 1460), lui-même descendant du portugais dialectal « embaraçar », issu de « baraço » (« courroie, corde »), certainement fille de l’arabe « maras » de même sens… Les autres branches de l’arbre généalogique sont trop hautes, les zenfants.
Oui, malgré la corde.

 

Variantes de l’embarras originel : se prendre le pied dans un jack – en parlant de cordes – ou se faire mettre la corde au cou par un boulet quelconque. Dans ce cas, pas d’hésitation : changer de trottoir (ou de numéro).

Merci de votre attention.