Bleu, jaune, rouge : même chez les couleurs, les dominants font la loi. Sans dévaler la hiérarchie jusqu’à écru, turquoise et autres teintes étriquées, dès qu’on tombe sur beige ou mauve, on a l’impression d’avoir affaire à des sous-fifres.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Enfin quoi, une couleur est une couleur. D’ailleurs, dans la nature, il y a fort parier qu’on rencontre davantage de beige que de bleu pimpant. Et pour peu qu’on y mette de la bonne volonté, celui-ci va à tout le monde.
Surtout qu’au sens littéral, il précède la couleur. Est beige
ce qui n’a reçu ni teinture, ni blanchiment,
en parlant de la laine.
Innocent comme l’agneau qu’on va tondre.
Par extension,
couleur de la laine naturelle et de fibres textiles non teintes, entre le blanc cassé et le marron très clair.
Ainsi, bege naît carrément « sans couleur » chez les tisserands de 1220. Au siècle d’après, l’« étoffe de couleur naturelle » se fait même une place en tant que substantif.
Fait assez rare pour être underlined, beige a été adopté sans retouches par les Anglo-saxons. Les fans de Duke Ellington connaissent par cœur sa suite Black, Brown and Beige. Dans le cas contraire, qu’ils retournent chier dans leur caisse à leurs chères études.
Mais d’où beige tire-t-il son nom ?
Inutile d’aller chercher du côté de grège qui, lui, tire sur le gris et n’a pas l’honneur de porter en son sein ce ei enjôleur.
On suppute que tout repose sur l’italien bambagia, « ouate », dérivé du latin bambax. Un air de famille avec bombyx ? Normal, c’est l’autre nom du ver à soie, bombus en grec. Tout ça ne serait pas arrivé sans son « bourdonnement » bombos, qui rappelle le bumblebee anglais mais aussi – moins bucolique – toute bombe et son zzzzzz caractéristique.
Encore une chose : s’il n’y avait eu que des moutons noirs au XIIIe siècle, non seulement nous ne serions pas là à disserter mais le Duke aurait eu l’air fin sur sa partition.
Merci de votre attention.