Comment dire ?

 

Les journalistes d’investigation à qui on ne la fait pas – comment dire ? – font parfois semblant d’hésiter dans leur commentaire :

une explication – comment dire ? – plutôt embarrassée.

Le procédé, à la longue, est – comment dire ? – un rien gonflant.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le journaleux, lui, est – comment dire ? – tout fiérot de se mettre ainsi en scène. Ça lui permet – comment dire ? – de se ménager un suspense pour mieux coller au ton de la confidence, où chaque mot est pesé pour faire sentir que – comment dire ? – c’est du lourd. Sans compter l’occasion, une fois n’est pas coutume, de laisser sa neutralité au placard.

 

Mais (il faut bien que quelqu’un lui dise) « comment dire ? » établit – comment dire ? – une fausse connivence. Le journaleux sait très bien « comment dire » puisque la suite de sa phrase est déjà écrite. Peu nous chaut de savoir combien de fois il aura tourné sa langue dans sa bouche avant de cracher sa pastille.
Sous couvert de « nous on sait, et on ne vous prend pas pour des billes », c’est – comment dire ? – le contraire qui se passe.

 

Ce petit effet est aussi censé – comment dire ? – appuyer le propos. Là encore, c’est – comment dire ? – raté. Si le journaleux conclut sa formule par un mot édulcoré, il ne dit pas tout à fait ce qu’il pense.
Si bien qu’en réalité, « comment dire » est un excellent moyen de ne pas le dire, sans le dire.

 

On avait déjà l’habitude d’arrondir les angles avec « disons ». Même degré de diplomatie dans « pourrait-on dire », bientôt suivi d’« on va dire » (qui ne veut rien dire s’il n’est pas antéposé).

« Comment dire ? » passe à la vitesse supérieure ; on pourrait presque ajouter « pour ne froisser personne tout en montrant qu’on n’en pense pas moins ». Mais ça, – comment dire ? – on ne peut pas le dire.

 

Détenteurs de carte de presse, à quoi sert-ce de découvrir des pots aux roses si c’est pour tout gâcher par des « comment dire » ?

Merci de votre attention.

 

Cash

 

Comment qu’tu fais ? Tu vas au bahut cash ou… ?

Derrière cet usage abusif, un blog sérieux aurait souligné l’implacable victoire du capitalisme, le joug de l’argent-roi, la mainmise du pognon sur nos vies de Lumpenprolétaires. Alors qu’en fin de compte, les chérubins se rendront directement au lycée, histoire de se réconcilier dare-dare avec leur langue dans un cadre laïque, républicain et gratuit.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

D’adverbe :

il a payé cash,

la bête est montée en grade jusqu’au substantif :

avoir du cash.

Dans un accès d’autoflagellation bien français, on pourrait penser que nous avons bêtement copié les Anglo-saxons, pour qui le biznèce est une seconde nature. Car outre-Manche (sans parler d’outre-Atlantique), cash désigne à la fois le petit coffre et la menue monnaie qui s’y planque depuis la toute fin XVIe. Dans un accès d’autocélébration bien français, on finira pas se souvenir que nous avons tout simplement remis la main sur la caisse qu’ils nous avaient dérobée, les perfides.

Payer cash, c’est donc s’acquitter d’une somme qu’on peut encaisser de suite. D’où, au sens figuré, une immédiateté mêlée de franchise :

Y m’a dit ça cash, t’chois…

Comme si payer comptant était devenu l’exception. De fait, pourquoi se le cacher ? Nous sommes fauchés comme les blés.

 

D’ailleurs l’émission Cash investigation proposée par Elise Lucet sur la 2e chaîne doit-elle son nom au « monde merveilleux des affaires » qu’elle dénonce ou à l’audace de sa présentatrice ?

C’est pas comme ça que « rubis sur l’ongle » reprendra des couleurs.

Merci de votre attention.