« Boucler les fins de mois »

 

Une frange non négligeable de la population aurait du mal à « boucler ses fins de mois ». Ceux qui dressent ce constat ne seraient-ils pas mieux avisés de la boucler ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme toujours dès qu’il s’agit de pognon, la langue divague.

« Finir le mois », on voit bien. « Boucler le mois », à la rigueur. « Avoir des fins de mois difficiles », on ne le souhaite à personne mais le concept est limpide. Le « bouclage de fin de mois », lui, se dérobe à l’esprit dès qu’il se sent observé.

 

Tâchons de suivre le raisonnement. Ceux qui ne roulent pas sur l’or (v’là que ça redivague) peineraient donc plus à « boucler la fin » de janvier que celle de février, années bissextiles incluses ?

Soit une « fin de mois » commençant à

n-5

n est le dernier jour du mois.

Ceci posé, toutes les « fins de mois » jusqu’en décembre auront 5 jours, c’est mathématique.

 

Partant, le problème vient plutôt de boucler. L’on se gargarise du verbe à cause du budget qu’on n’est jamais fâché de boucler en effet. Or, contrairement à l’expression du jour, « boucler un budget » consiste moins à ne pas l’épuiser trop tôt qu’à y mettre la dernière main. « Avant même que l’exercice ne commence à courir », ajouteraient les pognonneux. Une divagation de plus, heureusement non dénuée de poésie.

Sans compter les interférences avec « se boucler la ceinture », qui joue remplaçant quand « se la serrer » est blessé. Au fait, boucle-t-on sa ceinture ou seulement la fin de sa ceinture ? Ah.

 

Ne nous privons pas des richesses de la langue. Pourquoi ne pas « tirer le diable par la queue » ou « joindre les deux bouts » (que les Zanglais nous envient avec leur « make ends meet ») ?

Merci de votre attention.

 

Bastingage

 

Tel camembert, bastingage donne l’impression d’un monolithe traversant les courants contre vents et marées. A ceci près qu’il ne coule pas.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’on s’appuie au bastingage (ou l’on s’y accoude, pour les plus téméraires) pour éviter de passer par-dessus bord. Car nous sommes sur un bateau, au même titre que le pont a son parapet ; en conséquence de quoi gare à vos pompes.

Détail amusant : bastingage-bateau, balustrade-balcon, parapet-pont, rambarde-route. Sans oublier trottoir-tarte, loi-liberté… On peut aller loin comme ça. A condition de n’emmouscailler personne, dites.

bastingage2

Bastingage résulte de bastinguer, sorti des eaux en 1634 : « munir de bastingues »,

bandes d’étoffe ou de toile matelassée ou filets tendus autour du plat-bord d’un vaisseau de guerre pour servir d’abri aux matelots.

Bastingues montées (parce qu’on peut pas vous faire confiance) sur le provençal bastengo, femelle de bastenc, « cordage de sparterie », lui-même tiré du verbe provençal basti, « bâtir », plus particulièrement en « tissant », comme le suggère son aïeul bastir de même sens.
Il est vrai que des formes bâties sur bâtir, on en croise pour ainsi dire à chaque bastide dans la région. Mais même au-delà. Prenez la Bastille, par exemple. On peut pousser jusqu’à Bastia comme ça. A condition de n’emmouscailler personne, dites.

 

Rappelons que du temps où nous n’avions pas encore attaqué les maillages plus costauds du genre bastion ou bâtiment, bastir équivalait à « coudre à grands points ». Il faut en blâmer le bas francique bastjan, « nouer avec des morceaux d’écorce » ou de basta, « fil de chanvre ».
A l’heure où vous lisez cette phrase, l’« écorce » des Pays-Bas se dit encore bast. Sans causer de Bast, le « raphia » teuton.

 

Basta cosi.

Merci de votre attention.

 

Zoner

 

Zoner figure probablement bon dernier de sa page. Vous qui lisez ces lignes, il a donc fallu que vous zonassiez jusque-là. C’est ce qui s’appelle – malgré le sens du verbe – avoir de la suite dans les idées.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Traîner sans but précis, par désoeuvrement,

signe d’une

existence précaire,

zoner, c’est se comporter en zonard. Voire en khônnard pour les plus atteints.

Voilà taillée à l’« habitant de la zone » une réputation de loser qu’il s’agit de déblayer.

 

D’autant que c’est à cause des militaires, tout ça. Dont la zone, historiquement,

s’étendait au voisinage immédiat des anciennes fortifications de Paris, occupé illégalement par des constructions légères et misérables.

Lesquelles prirent le même nom, par contiguïté, comme la première épouse venue.

 

Zone est intéressante à plus d’un titre. Pour celui qui zozote notamment, s’il lui faut désigner la couleur jaune, ainsi qu’au scrabble où elle permet des remontées faramineuses dans la zone mot compte triple.

Prisée de nos géographes dès 1119, zônê/zona n’est autre que la « ceinture » gréco-latine, déverbal du grec zonnynai, « ceindre ». Là-dessous se cache l’indo-européen ios-, on vous le donne en mille : « ceindre ».
Délimitez n’importe quelle zone sur la carte, effectivement, vous serez arrivé à « ceinturation ». Comme quoi c’est drôlement bien foutu.

 

Dérivés latins éminemment sympathiques : zonatim, « autour » et zonula, « petite ceinture ».
Moins plaisant, le zona, résurgence de la varicelle bien connue des dermatos pour s’en prendre aux nerfs sensitifs. En particulier autour de la ceinture. Comme quoi c’est drôlement bien foutu.

Merci de votre attention.

 

Comment en finir avec les accidents de la route plutôt que dedans ?

 

Mes moutons, vous en conviendrez : si la baisse du nombre d’accidents se poursuit, ceux-ci seront bientôt réduits à néant. Pourquoi ne pas précipiter ce jour heureux ? Mettons-y un bon coup pour que l’horreur cesse complètement.

Ne serait-ce que pour les raisons suivantes :

– ça épargnera du boulot aux pompiers venus vous désincarcérer en plein yam’s toutes affaires cessantes.
– vous contribuerez au reboisement de forêts entières initialement destinées à la fabrication de millions de constats s’empilant bêtement dans le fond de la boîte à gants.
– le terme accidentogène n’aura plus lieu de retentir.
– surtout, plus personne ne subira les spots laborieux de la prévention routière. Hein que ça vaut le coup ?

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La simplicité avec laquelle se règlerait le problème est confondante.

Même dans le cas où vous fonceriez délibérément dans le décor, pourrait-on stricto sensu parler d’« accident » ? Voyez qu’on tend de manière asymptotique vers le zéro.
Et si on vous avait dit ce matin que vous croiseriez la route d’une « asymptote », vous auriez aussitôt replongé dans votre code, histoire de vous rafraîchir la mémoire.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en conducteur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  73 % des accidents ont lieu sur le trajet de la maison. Déménagez !

 

♦  Inutile de vous le répéter, l’enfer, c’est les autres. N’empruntez que des routes de pub (l’équivalent du modèle d’exposition pour les commerçants). Coûte un peu cher à la location mais vous diviserez le risque d’accident par 948063425134782.

 

♦  Organisez le carambolage du siècle à l’échelle planétaire, dont vous aurez pris soin d’être le seul survivant. Tout le monde ayant embouti tout le monde, ambulances et flicaille comprises, à vous les priorités grillées en toute insouciance. Revers de la médaille, vous n’aurez plus l’immense plaisir de doubler le khônnard de devant, ah oui.

 

♦  Les accidents survenant en voiture, il suffirait, si l’on vous suit, de supprimer tous les véhicules à moteur. Laissez là vos syllogismes. Et comment regagneriez-vous vos pénates ? Certainement pas en espadrilles ni sur une selle quelconque. Non, pour éradiquer les accidents de la route, pas trente-six solutions : supprimer la route.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Succinct

 

Soyons brefs : le jour où succinct apparut dans le paysage, peu s’en fallut que l’on ne s’en inondât de joie. Mais comment faisait-on avant ?, s’écria-t-on du haut de nos trois pommes. On se rabattait sur du bateau : court, rapide, concis et autres ramassé ; les synonymes ne manquent pas dans la langue d’un peuple qui se hâte.
D’ailleurs, quoi qu’on pense, quoi qu’on dise, la dernière goutte, c’est toujours pour la chemise. PRESSÉS, on vous dit.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Vous conviendrez qu’à côté de succinct, les confrères font figure d’ersatz. Son charme, que dis-je ? son sex-appeal nous éblouit au point qu’on s’autorise des pléonasmes à tour de bras :

Un résumé succinct

L’attrait de l’épithète réside pour sûr dans sa terminaison, figée dans la vieille vieille vieille société. Ce –inct, dont on ne côtoie plus guère que les cousins distinct, suspect et la defuncte version de défunt, semble avoir réchappé de toutes les simplifications depuis cinq bons siècles.

Pour pas changer, c’est encore les Romains qu’ont tout goupillé. Au moment de se retrousser les manches et le falzar à l’assaut du chantier de l’aqueduc, sortit du chapeau le verbe succingere : de sub (sous) et cinctum ou cinctura (ceinture ou tunique maintenue par ladite). Pour les vannes en-dessous de la ceinture, on vous arrête tout de suite : cette partie de l’accoutrement, primordiale, valut au soldat macaroni le nom de cinctus. De là à conclure, avec des SPQR dans les yeux, que le monde entier est un cinctus, il n’y a qu’un pas que le bon goût nous interdit de franchir. Z’êtes déchaînés aujourd’hui.

Toujours est-il que le participe passé succinctus prit le sens de « retroussé, serré, court vêtu ». Devenu adjectif, il n’eut qu’à nous offrir succinct pour boucler la boucle (et ha ha ha).

‘Rci d’votre attention.