Ensevelir

 

Jamais personne ne se penche sur le berceau d’ensevelir. Peut-on passer à côté d’un verbe aussi majestueux toute sa vie jusqu’à ce qu’on nous ensevelisse ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si la charge sémantique du drôle peut impressionner, ensevelir signifie surtout « enterrer » pour cacher. Une appréhension soudaine vous taraude : « enterrer », c’est toujours pour cacher, eh. Sans ça, les clebs du coin se feraient gauler leur os à tout bout de champ, sans parler des cadavres qui joncheraient les rues. Car dès qu’on n’enterre pas, ça jonche, automatiquement.
(Cette digression pour le seul plaisir de caser joncher, autre vocable altier s’il en est).

Mais rerevenons à nos moutons, moutons, moutons, moutons.

A ce stade, on subodore qu’en-sevelir, c’est peu ou prou recouvrir d’un « sevel » dont la sonorité même évoque le « linceul » prévu à cet effet.

D’ailleurs on repère notre homme vers 1130-40 sous la forme sevelir. Avec les précautions d’usage, nous le déterrâmes du latin sepelire (« inhumer, faire disparaître ») en changeant le p en v comme pour cheveu, avril, ouvrir et – on n’en sort pas – couvrir.

 

Pt-pt, on progresse. Sepelire → sépulture ?
Bingo : sepultus, participe passé, nous ramène tout droit au cimetière.
Et justement, en observant koimêtêrion (« dortoir » chez les Grecs antiques), d’aucuns jugent que « dormir » serait le sens premier de sepelire, le faisant découler ni plus ni moins de sopire (soporifique, assoupi…).

 

Ainsi, ensevelir revient littéralement à plonger dans le sommeil.
Aux ceusses qui s’en acquittent, et pour ne pas faire de jaloux, témoignons la même gratitude qu’aux employés du crématorium grâce auxquels nous retournons en poussière.

Merci de votre attention.

 

« Regrets éternels »

 

Tête baissée, nous fleurissons de « regrets éternels » un proche venant de canner. Ceux qui passent devant sa sépulture peuvent ainsi mesurer notre peine. Sauf que ho, hé, c’est quand même vachement exagéré, non ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si inconsolable soit-on, ces regrets prennent fin de facto le jour de notre propre mort. Après quoi ils se dispersent en cendres ou en asticots, c’est selon. L’on ne voit pas bien comment ils pourraient survivre à leur propriétaire.

A moins d’être croyant, dites-vous. ‘Scusez, ça marche pas des masses non plus. Soit on rejoint le cher disparu dans l’au-delà – d’un côté ou de l’autre du purgatoire – et les embrassades mettent un terme automatique auxdits regrets. Soit, du paradis, on regarde rôtir l’autre en enfer en pensant « ninx ninx, c’est bien fait ». Soit, à l’inverse, une fois chez Lucifer, nous ne pleurnichons plus que sur nous-mêmes.
Dans tous les cas, l’éternité du chagrin est un mensonge fait aux vivants et aux morts. En voilà des façons de respecter leur mémoire pour les siècles des siècles et tutti quanti spiritu sancti.

 

Aussi, sur la couronne mortuaire, un peu d’humilité, que diable. En lieu et place de l’abusif poncif, proposons par exemple :

Regrets pour la vie

ou

Regrets pour un temps qu’on espère le plus long possible

au risque d’un paradoxe insoluble vu que dans un moment pareil on n’a aucune intention de clamser de sitôt, ce qui augmente d’autant la longévité des regrets. Nous pourrissent décidément bien la vie, ceux-là.

De même, on évitera :

Nous te regretterons, salopard

en raison du contresens possible au féminin.

A tout prendre, optons pour :

Y’en a pas deux comme toi.

Ce que les regrets y perdent en solennité, ils le gagnent en tendresse et, pour le coup, en sincérité.

Merci de votre attention.