De s’en battre les khoûilles elles devraient arrêter

 

Non contentes de régresser au stade de meufs, certaines filles du sexe féminin vont jusqu’à clamer :

je m’en bats les khoûilles

aux khongénères qui les leur pètent.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Déjà peu amène dans la bouche de qui en est pourvu, « je m’en bats les khoûilles » est d’une laideur peu commune chez la locutrice en mal d’imagination. Elle n’a pourtant que l’embarras du choix pour faire fi des arguments d’en face :

ça n’a aucune importance, rien à foutre

ou, dans la gamme de voyage :

peu me chaut, je n’en ai cure.

 

En plus, c’est absurde. Serait-elle jalouse de la robinetterie de monsieur ? On ne peut pas le croire. Imaginez ce dernier affirmant qu’il s’en « bat le soutif ». Ou « les escalopes ». Il n’en fera jamais rien, ayant déjà bien assez à battre de deux glaouis – voire d’une meuf.

 

Parce que généralement, c’est au cours d’une dispute qu’on en vient à « s’en battre les khoûilles ». Avec une animosité qui contredit l’indifférence affichée, surtout précédée d’un « vas-y » ou d’un « t’sais quoi » – voire les deux.

Mais la formule est surtout révélatrice d’une tendance à tout faire comme les mecs. Que les intéressés encouragent parfois sans le vouloir. En se disant par exemple attirés par les « voix de fumeuses ». On peut à la rigueur trouver à l’organe voilé d’un vieux cancéreux une certaine sagesse. Mais comment ne pas souffrir pour celle dont les cordes vocales ne vibrent plus qu’à mi-grave ? Elle ne s’en bat certainement pas les khoûilles, dans l’intimité.

 

Et puis, c’est une histoire de rythme. « Je m’en bats les coucougnettes » n’aura jamais le péremptoire de son équivalent à « khoûilles ». Avec sa succession idéale de an, a, é et ou, « je m’en bats les khoûilles » clôt la discussion.
Remballez tout.

Merci de votre attention.

 

Câlin

 

Si câlin marche dans les pas de câliner comme caresse dans ceux de caresser, il n’en va pas de même pour picoti-picota.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On n’imagine pas câlin sans son langoureux circonflexe. Pourtant, jusqu’à la Révolution, seul calin avait droit de cité. Si peu sensuel qu’avant 1593, il désignait encore un « gueux » ou un « mendiant ». On ne le connaît « cajoleur » que depuis 1833.

 

Ainsi qu’on l’annonçait en préambule mais vous n’écoutiez pas, tout ça, c’est à cause de câliner, « être inactif, indolent » jusqu’au XVIIIe siècle. On peut aussi entendre le verbe au sens de « faire le câlin devant quelqu’un pour en obtenir un avantage ».
Aujourd’hui encore, ne nous voilons pas la face, rares sont les câlins désintéressés : si la réciprocité n’est pas au rendez-vous, laissez tomber.

 

Immobilité, corollaire du câlin. Un concept né avec le normand caline, « chaleur étouffante », variante de la chaline qui s’abattait sur nos coteaux du XIIe au XIVe siècle. Vu d’ici, caline évoque davantage la douceur des températures qu’une 2003e canicule.
C’est du réchauffé, tout découle évidemment du latin calere, « être chaud ».
De « chaleur » à « paresse », il n’y a qu’un pas vers l’ombre, où « se reposent » les animaux qui calinent.

 

Z’allez rire, chômer a suivi la même pente. Bas latin caumare, « se reposer pendant la chaleur », bâti sur cauma, « chaleur du soleil de midi », elle-même pompée sur le grec kaûma, grand-père de calme. Contre toute attente, l’arrière-grand-père kaiein ne signifie pas « cailler » mais « brûler ». D’où cautériser, caustique et, moins drôle, holocauste.

 

Et comme l’étymo est circulaire, tout câlin digne de ce nom produit une certaine chaleur.

Merci de votre attention.

 

Envoyé de

 

Si au bas d’un courriel figure la mention : « envoyé de mon [bidule] », pas besoin d’aller le crier sur les toits, le bidule s’en charge tout seul.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Que vous le vouliez ou non, un bidule aura toujours le dernier mot sur vous. On n’arrête pas l’autosatisfaction le progrès.

Pour quelle valeur ajoutée ? Aucune. Le courriel aurait été strictement identique « envoyé de » n’importe quel autre bidule.

L’info doit pourtant revêtir une importance quelconque. Mais pour qui ? Pas pour l’expéditeur, forcément au courant. Le destinataire alors ? Et que peut bien lui chaloir de connaître le modèle du joujou à l’autre bout ?

En d’autres temps, quand votre correspondant appelait d’une cabine, lui serait-il venu à l’idée de préciser laquelle ? La référence du stylo, le nom du pigeon voyageur, lorsqu’il vous écrivait ?

envoye-2

Gluante comme le plus gluant des mopsrolls*, la pub s’insinue décidément partout : au dos des tickets de caisse, de ciné, en surimpression sur la pelouse des stades, avant et après un programme télé, y compris à l’heure où elle est censée faire dodo… Guettez guettez : un, deux voire trois sponsors violent systématiquement le couvre-feu. Souvent sans rapport aucun avec la choucroute ni même avec une marque :

avec le film [Truc-muche].

Sans doute parce que le chef-d’œuvre en question comporte du placement de produit et renvoie l’ascenseur bien gentiment au susnommé. Dans le genre mopsroll qui se mord la queue, hein.

 

« Envoyé de » est aussi là pour faire croire que le message importe moins que son point de départ. Numérique, s’entend. Parce que géographiquement, les bidules nous suivent partout.
Jusque dans notre signature.

Merci de votre attention.

 

* c’est comme une pub, en moins visqueux.

Comment dire ?

 

Les journalistes d’investigation à qui on ne la fait pas – comment dire ? – font parfois semblant d’hésiter dans leur commentaire :

une explication – comment dire ? – plutôt embarrassée.

Le procédé, à la longue, est – comment dire ? – un rien gonflant.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le journaleux, lui, est – comment dire ? – tout fiérot de se mettre ainsi en scène. Ça lui permet – comment dire ? – de se ménager un suspense pour mieux coller au ton de la confidence, où chaque mot est pesé pour faire sentir que – comment dire ? – c’est du lourd. Sans compter l’occasion, une fois n’est pas coutume, de laisser sa neutralité au placard.

 

Mais (il faut bien que quelqu’un lui dise) « comment dire ? » établit – comment dire ? – une fausse connivence. Le journaleux sait très bien « comment dire » puisque la suite de sa phrase est déjà écrite. Peu nous chaut de savoir combien de fois il aura tourné sa langue dans sa bouche avant de cracher sa pastille.
Sous couvert de « nous on sait, et on ne vous prend pas pour des billes », c’est – comment dire ? – le contraire qui se passe.

 

Ce petit effet est aussi censé – comment dire ? – appuyer le propos. Là encore, c’est – comment dire ? – raté. Si le journaleux conclut sa formule par un mot édulcoré, il ne dit pas tout à fait ce qu’il pense.
Si bien qu’en réalité, « comment dire » est un excellent moyen de ne pas le dire, sans le dire.

 

On avait déjà l’habitude d’arrondir les angles avec « disons ». Même degré de diplomatie dans « pourrait-on dire », bientôt suivi d’« on va dire » (qui ne veut rien dire s’il n’est pas antéposé).

« Comment dire ? » passe à la vitesse supérieure ; on pourrait presque ajouter « pour ne froisser personne tout en montrant qu’on n’en pense pas moins ». Mais ça, – comment dire ? – on ne peut pas le dire.

 

Détenteurs de carte de presse, à quoi sert-ce de découvrir des pots aux roses si c’est pour tout gâcher par des « comment dire » ?

Merci de votre attention.

 

Fulgurance #103

La supériorité de l’homme sur le bernard-l’hermite, c’est qu’il la connaît.
La supériorité du bernard-l’hermite sur l’homme, c’est qu’il s’en fout.

Nonchalance

 

Comme état d’esprit, la nonchalance est une plaie. Ses accès, en revanche, sont tout un art. Une terrasse de café suffit d’ailleurs à distinguer les vrais nonchalants des habitués. Les premiers, rttant sporadiquement, savourent encore ce moment de farniente.

Mais revenons à nos moutons, perroquets.

C’est exactement le distinguo à l’œuvre entre se laisser aller (accès de nonchalance) et laisser-aller (nonchalance avec métastases). Dans le deuxième cas, les symptômes vont de l’indolence au je-m’en-foutisme.

« S’en foutre », voilà au grand jour la matrice étymologique de nonchalance.

 

Dépourvu de collier grâce auquel on pourrait retrouver son maître, le mot ne se décline en effet – à votre connaissance – qu’en épithète et adverbe (« nonchalamment chaloupé »).
C’est parce que vous ne cherchez que dans le vocabulaire maternel.

Téléportez-vous aux XVIe et XVIIe siècles et chaloir vous sautera au cou. C’est qu’il est content de vous voir à force d’être inusité, sauf dans l’expression de grand seigneur « peu me chaut », indiquant que vous vous en moquez éperdument, que ça vous est strictement égal, que vous vous en contrefoutez mais à un point, que ça vous en touche une sans faire bouger l’autre, en somme.

(Peuple, militons pour la réintroduction de chaloir et de nonchaloir, et vite).

 

Il faut remonter aux confins du françois (IXe siècle !) pour l’apercevoir à la forme impersonnelle (attention, c’est un peu fort en bouche) : chielt (« il importe »), devenu chalt puis chaut.

Au commencement était le latin calere, « être » ou « avoir… chaud ». D’où « s’inquiéter » pour une chose importante.

C’est vrai ça, on n’a pas de verbe, nous, pour dire « il fait chaud » !
Ni « froid » d’ailleurs, à moins de tomber fissa dans les superlatifs : « il gèle, il meule… ». Ce qui apparemment ne fait ni chaud ni froid à la langue nonchalante.

Bref, chaleur, que calor et tout ce qui s’ensuit. Chaland compris, lequel, avant d’être un client fidèle, « comptait » beaucoup pour vous en tant qu’« ami ».

 

Pas d’attaches, nonchalance ? Foutaises.

Merci de votre attention.

nonchalance2

Par quelle formule prendre congé pour la 15e fois ?

 

Pendant que vous rêvez d’alpaguer une tête amie, un boulet surgit et vous prend dans ses rets. Et de dérouler, digresser, tenir le crachoir en assurant lui-même ses relances : le monstre vous pompe l’air et votre temps comme si vous l’y aviez expressément autorisé. Peu lui chaut d’ailleurs que vous coupiez court, le rembarriez ou usiez de monosyllabes. Un épouvantail ou une tranche de foie de veau auraient tout autant de répondant à ses yeux. Pourquoi vous dans ce cas ?

Parce que vous vous répandez en « d’accord », « pas de problème », « on fait comme ça » et autres « ça roule », tiens ! Pas étonnant que l’autre en redemande : vous simulez quasiment l’orgasme.

Ce faisant, votre stock de formules de congé s’épuise à vue d’œil. Quand enfin le boulet relâche son étreinte, il ne vous reste plus une seule cartouche.

 

A bout de forces, tout en recouvrant vos esprits, vous maudissez l’engeance importune. Gardez plutôt votre souffle pour la prochaine embuscade. C’est à chaud que vous viendront les meilleures parades.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en proie civilisée.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Intarissable est le boulet. Tant que sa propre prose ne l’incommodera pas, vous n’aurez aucune chance. Répétez donc tout ce qu’il dit. Pas une phrase en dessous de quinze bornes de long, excellent pour la mémoire.

 

♦  Hors de question de vous répéter, contrairement au boulet. Mais celui-ci goûte-t-il seulement les subtilités de la paraphrase ? Au diable vos scrupules grammaticaux. Choisissez une formule d’assentiment au hasard et tenez-vous-y. Au 14e « OK » hoqueté, il finira bien par rendre les armes.

 

♦  Misez toute votre dissuasion sur « à d’autres » avec des boulets d’entraînement : ex infatigable, institut de sondage, conseiller souhaitant faire le point avec vous, témoin de Jéhovah…

 

♦  Si le boulet vous persécute au téléphone, annoncez-lui qu’il y a erreur sur la personne. Si malgré vos refus surmimés, un faux frère vous passe la communication, prétextez que vous traversez, au choix :

  1. un tunnel
  2. une passe difficile
  3. une crise d’hémorroïdes

et qu’une autre fois, peut-être.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

certains-nous-manquent-moins

Prendre

 

Trépaner, chaloir, abâtardir, prendre… Avouez que l’adrénaline vous a saisi les tempes lorsqu’est apparu le visage familier de papa au milieu de tous ces inconnus.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Essayez de passer une journée sans dire prendre. A un moment ou à un autre, on vous prendra en défaut. Lister les locutions ayant pris corps sur prendre prendrait d’ailleurs des plombes. Citons, de manière totalement subjective :

tel est pris qui croyait prendre,
en prendre ombrage,
prendre un enfant par la main,
faire blondir l’oignon,

dont prendre ne fait pas partie mais qui met quand même bien en joie.

Aussi loin que l’on remonte dans notre langue, le verbe est toujours en embuscade. Jugez plutôt : « prendre plait » (« conclure un accord »), page 2 des Serments de Strasbourg, 14 février 842. Soit, excusez du peu, le plus ancien texte français conservé.

 

Si l’on zieute vers nos voisins immédiats, rien pourtant dans le nehmen teuton ou le take anglais ne rappelle notre chouchou guttural. Seul prendere (italien) lui ressemble à s’y méprendre.

Et pour cause, prendere (latin) est un raccourci pour prehendere, qu’on ne présente plus. Les copains, malgré son déguisement, nous avons appréhendé le coupable.
En le cuisinant un peu, il finit par nous livrer prae- (préfixe) et -hendere, radical hérité de l’indo-européen ghend-, « saisir, prendre ». Lequel a donné à l’anglais get (passe-partout comme prendre) ainsi que hand sans doute (bien que personne n’en mette sa main au feu).

 

Prendre trempe encore dans comprendre, dont le substantif fait compréhension puisqu’il revient littéralement à cum prehendere : « saisir ensemble, embrasser » [une situation].
Et, se conjuguant tout pareil, apprendre/apprehendere (« saisir » [par l’esprit]) et surprendre, dérivé de l’ancien français sorprendre (« prendre au dépourvu »). Sans oublier entreprendre et s’éprendre, dans l’ordre que vous voudrez.

 

Impossible enfin de prendre un é pour un er en remplaçant par prendre. Au cas où vous auriez malgré tout l’esprit assez vicelard pour torturer vos terminaisons, allé vous faire pendu ailleurs.

Merci de votre attention.