A qui tenir la porte ?

 

A tout le monde, serait-on tenté de dire. De prime abord seulement. Car tenir la porte à son prochain est une inclination tout sauf naturelle.

Avouez que, tel le videur, vous opérez un tri (inconscient ?) parmi vos suivants. Dans le meilleur des cas, l’intimité partagée du seuil constituera l’occase inespérée de frôler une charmante personne ; peu s’en faudrait qu’une idylle ne se noue.
Mais ne visez pas trop haut tout de même, surtout à l’entrée d’un hôtel : cette bégum aux yeux de faon, ce veuf richissime vous prendraient pour le ou la portier/ère de service. Et vous seriez drôlement niqué(e).

Quant au non-voyant qui vous file le train, il ne se le magnera pas davantage si vous lui ouvrez grand la porte. Ingratitude légendaire des aveugles.

 

Dévisager celui qui vous emboîte le pas est une chose. Mais avant de lui faciliter ou non l’accès, de nombreux facteurs entrent en ligne de compte.
Par exemple, à quelle distance commenceriez-vous à poireauter ? Obligeriez-vous l’autre à se hâter, quitte à le mettre dans l’embarras ? Et comment évaluer à coup sûr sa vitesse de déplacement, si tant est qu’elle soit constante ? Sans compter la lourdeur de l’huis, cadet des soucis de ceux qui contre toute attente s’engagent dans une autre direction sans même vous calculer.

porte

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en suivi civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Pour vous éviter tout dilemme, refermez systématiquement derrière vous d’un coup sec. Les suivants se cogneront le blair mais ils n’avaient qu’à pas lambiner devant les éclairs au café en vitrine, d’abord.

 

♦  Vous venez d’ignorer votre prochain ; celui-ci sort de ses gonds. Faites-en autant avec la porte, vous n’aurez plus à la lui tenir, au moins.

 

♦  Attendez que le suivant arrive à votre hauteur et laissez-le ouvrir à votre place, en prétextant que vous ne savez jamais s’il faut tirer ou pousser. Pas toujours les mêmes qui bossent.

 

♦  A la sortie du cinéma, tendez bien l’oreille. Au-delà d’une khônnerie par phrase prononcée sur le film, que personne ne compte sur vous pour la porte battante.

 

♦  Privilégiez les portes tambour, et entrez au tout dernier moment afin que la cloison salvatrice vous préserve des envahisseurs. Qui de surcroît sentent sous les bras.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Raccompagner

 

C’est pas pour chipoter mais le plus souvent, lorsqu’on se propose, dans un accès de galanterie ou d’obséquiosité (tout ça pour caser obséquiosité), de raccompagner la personne, on ne fait en réalité que l’accompagner d’où elle est venue. Plus ou moins obséquieusement.

Mais venons à nos moutons, moutons.

Si si si si. Votre hôte sonne à la porte. Après les effusions de rigueur, vous cheminez automatiquement de concert jusqu’au salon où l’attend l’apéro dûment apprêté. Au moment de prendre congé, même trajet en sens inverse : vous le raccompagnez sur le pas de la porte, nous sommes d’accord.
C’est là que ça se corse. La soirée a été sublime au point que vous tenez à la prolonger en sa compagnie jusqu’au parking. Or, le trajet chambranle-bagnole n’ouvre en aucun cas droit à un raccompagnement de votre part puisqu’il n’a pas eu lieu à l’aller.

Ou alors tout est permis et on décide qu’« accompagner quelqu’un sur le chemin du retour » équivaut à le raccompagner purement et simplement alors là évidemment dans ces conditions on peut même plus discuter.

raccompagner2

C’est à croire que l’être humain ne peut pas s’empêcher d’en rajouter. Là où ajouter suffit, le dico est formel :

Rajouter exprime, avec ou sans nuance augm., le même procès que la forme simple ajouter.

 

Amener/ramener, même combat :

J’ai ramené des pistaches pour l’apéro.

Non, trois fois non : on n’arrive jamais à s’arrêter, avec ces khôchonneries. Résultat : plus personne n’a faim.
Quant à la patrie, aurait-elle été aussi reconnaissante si Malraux avait vibré d’un

Rentre ici, Jean Moulin ?

 

On préfère ne pas s’étendre sur l’antonyme de raccrocher, vous risqueriez de décrocher.

Merci de votre attention.

 

Comment éviter que la police de New York ne défonce votre porte ?

 

Malgré l’écriteau « entrez sans frapper », votre éducation vous donne encore des scrupules à entrer sans frapper. C’est pourquoi vous trouvez on ne peut plus grossier cette manière, pour ne pas dire manie, qu’ont les flics new-yorkais de faire valdinguer la porte du suspect (qui ne s’était pas spécialement barricadé) d’un seul coup de tatane. Ce qui, d’un autre côté, force l’admiration car vous-même n’en viendriez à bout qu’avec vingt-sept comparses dopés munis d’un bélier dernier cri.

C’est plus fort qu’eux, une sommation (mal doublée qui plus est) et ils prennent leur élan. Pas le temps d’arguer que ouiii on arrive, y’a pas le feu, voilà voilà, just a minute boys ; on n’est plus chez soi. Il est vrai que de ce côté-ci de l’Atlantique, l’humeur serait plutôt au pied de grue et aux coups de sonnette insistants. On ne crochèterait votre serrure qu’en tout dernier recours. Le NYPD aurait-il des actions dans l’industrie portière ?
A tout le moins, mettons ces velléités rentre-dedans sur le compte d’un vieux fond d’atavisme, mêlé de l’arrogance des pionniers. Foncer, péter sans réfléchir, c’est la contrée qui veut ça.
Et tant pis pour votre embrasure – ou ce qu’il en reste.

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en locataire civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Pour éviter la casse à coup sûr, laissez cette porte ouverte 24h/24. A vos risques et périls toutefois lorsqu’il s’agira d’aller à la poste ou au pain, sans parler des départs en vacances.

 

♦  Tout cop digne de ce nom se fera un plaisir de vous pulvériser l’entrée que vous ayez ou non quelque chose à vous reprocher. Réservez donc vos protestations pour l’interrogatoire de tout à l’heure. Dans l’immédiat, remplissez avec vos assaillants une déclaration de sinistre, aux frais du propriétaire comme il se doit. Toujours ça de pris.
Profitez-en pour dénoncer les bouses de son clébard sur vos plates-bandes. S’il y a une justice, ils iront vérifier dans la foulée la solidité de sa porte.

Obama Kicks Door Open

♦  Envoyez aux fédéraux des photos de vos mains, paumes bien ouvertes, doigts écartés, avec vos nom et adresse. Ils seront servis, eux qui piaffent toujours d’impatience à la perspective de « voir vos mains ». Vous leur épargnerez ainsi le déplacement et votre chambranle ne sera même pas éraflé.

 

♦  Optez pour un blockhaus ou, au contraire, la vie au grand air. La flicaille sera bien attrapée lorsqu’elle tombera sur votre cabane ouverte aux quatre vents en plein Central Park.

 

♦  Apposez un écriteau « je reviens dans cinq minutes ».

 

♦  Apposez un écriteau « entrez sans frapper ». On ne sait jamais.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.