Le play-back

 

Si vous lisiez ce billet en play-back, vous y prendriez moins de plaisir puisque ce serait pour de faux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A chaque passage télé, même foutage de gueule : l’artiste chante en play-back en tâchant de faire croire (avec toute la conviction de la main qui ne tient pas le micro) que la performance est en direct.
Mascarade particulièrement flagrante lors d’un fondu (ou fade-out, comme disent les Angliches). Quand le son diminue, il faudrait déjà la mettre en sourdine comme un seul homme jusqu’au silence complet, dans la vraie vie. Au lieu de quoi les zigomars continuent de zigoter devant la caméra.
Simuler l’orgasme à côté mériterait une auréole, et pas le genre d’auréoles auquel on pense de prime abord.

 

La ruse a beau être éventée depuis l’invention de la bande-son, on ne s’en offusque plus. Est-ce à dire que le play-back permet de gagner du temps ? Pas pour les roadies en tout cas, contraints de déplacer l’intégralité du barda pour des nèfles à seule fin d’entretenir l’illusion (excepté les câbles dont, vous ferez gaffe, la moitié n’est pas branchée. Et pour cause).

Certes, la chanson sonne comme sur le disque puisque c’est le disque. Mais songez à l’effort de concentration pour rendre naturel le mouvement des lèvres (ou lip-syncing, comme disent les Angliches). Essayez devant votre glace. L’exécution de la ritournelle à pleine voix ne serait-elle pas plus reposante ?

 

Et d’ailleurs, que n’en fait-on autant sur les planches ? Envoyer la purée des coulisses éviterait les affres du trou de mémoire au moment d’attaquer la tirade de Cyrano ou le monologue d’Hamlet.

 

Le play-back est au spectacle vivant ce que le micro-ondes est à la cuisine : du prêt-à-consommer.

Merci de votre attention.

 

C’est du chantage

 

A force de s’élever contre cette pratique – parfaitement puante du reste -, il ne viendrait à l’idée de personne d’en faire autant avec le mot. Pourtant, à côté de chant, chantage fait pièce rapportée, non ? Leur coexistence n’a pas lieu d’être. Et dire qu’on était passé à côté de l’évidence durant toutes ces années (ou toutes ces années durant, ce qui a le don de mettre l’accent sur « durée » et sur « années » en voilà une langue qu’elle est bien foutue).

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si les maîtres chanteurs font chanter leur monde, ne devrait-on pas les considérer comme des spécialistes du chant plutôt que du chantage ?
Désolé de mettre les pieds dans le plat mais de temps en temps, il faut ce qu’il faut.

D’ailleurs, pour mieux mesurer l’imposture de chantage, substituez-le à son grand frère :

se lever au chantage du coq,
répéter son tour de chantage,

sans oublier le fameux

chantage des partisans.

Seuls

un chantage d’amour

ou

céder au chantage des sirènes

parviennent encore à semer le trouble.

 

Minute, dites-vous.
Saboter → sabotage, monter → montage. Pourquoi pas chanter → chantage ? C’est chant l’intrus, avec ses cheveux trop courts !

Ce à quoi on opposera le cas du maître chanteur, toujours lui. Parler de chantage au sujet d’un gars qui ne chante pas mais passe son temps à faire chanter les autres est une entourloupe.
« Maître chantageur » éventuellement, pour bien distinguer ?

Non, cette histoire de chantage, c’est du fout de gueule.

Merci de votre attention.

 

Quel… quel texte !

 

Songeons-y deux secondes, il faut un drôle de cran pour monter sur une scène. Le plus minable zintermittent vous le confirmera, s’exposer tout nu au jugement de vos semblables comporte quelques risques si la confiance et/ou le talent vous manquent.
C’est pourquoi on éprouve une peine sincère pour les ceusses qui écrivent comme un pied – le bon gros 47 bien velu – et qui, rencontrant malgré tout le succès (qui comme on sait ne veut pas dire « charrette »), estiment que leur jus de chaussette tient la route, quand ce n’est pas la dragée haute, à Totor, Zola et consorts (qui ça ?).

Pas question d’entonner l’air du « c’était mieux avant », on pourrait vous trouver des proses du temps jadis et même de naguère à pisser de honte. En voici une, vite fait :

Je te mangerais tout cru si tu n’me reviens paaas.

Sans le moindre indice, c’est, vous l’aurez capté, du côté de la chanson en général, française en particulier, qu’il faut tendre l’oreille. Et pour peu que vous daigniez jeter ladite à n’importe quelle radio généraliste, vous reconnaîtrez fissa les spécimens ci-dessous, qui n’ont de toute façon pas besoin de cette publicité (ni de contre-publicité d’ailleurs).

Deux exemples, très courts (mais très navrants) où la témérité de la « plume » le dispute à l’inconscience. Z’êtes prêts ? ‘tention ? On ne change pas une virgule :

Approche
Il y a cette question qui ne me lâche pas :
Où vont les canards quand il fait trop froid ?

Hein ! Voilà qui recule les limites de l’impossible. Précisons que l’aplomb de l’« auteur » se double ici d’un air pénétré qui tient du miracle. Essayez devant une glace, vous m’en direz des nouvelles.

 

Autre cas gratiné, cette ritournelle particulièrement crampon d’un fameux couple à lunettes noires et boubous (qui, c’est heureux, a fini par lasser). On y apprend tout heureux que « le dimanche à Bamako, c’est le jou’ de mariage » et que, coup de bol :

le marié et la mariée sont aussi au rendez-vous.

Vous êtes consterné(e) ? vous êtes la consternation faite homme (femme) ? Dans mes bras. (Et passons sur le hiatus, à ce stade on n’est pas bégueule).

Faites gaffe mes petits pères, à trop se laisser happer machinalement par la musique, on en vient à baisser la garde et à passer au travers ! Si vous aussi êtes victimes de tels viols à l’intelligence, n’hésitez pas, votre témoignage sera précieux.

 

Allez, pas d’inquiétude, m’en vais vous la sauver votre journée. Histoire de remonter au pinacle, deux petits vers qui valent leur pesant de briques roses :

La danse est une cage
Où l’on apprend l’oiseau

De nouveau d’équerre ? Là ! Faut pas être spécialement épris de transcendance pour apprécier le dénivelé, si ? Respect éternel, Clôde.

Merci de votre attention.