Câlin

 

Si câlin marche dans les pas de câliner comme caresse dans ceux de caresser, il n’en va pas de même pour picoti-picota.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On n’imagine pas câlin sans son langoureux circonflexe. Pourtant, jusqu’à la Révolution, seul calin avait droit de cité. Si peu sensuel qu’avant 1593, il désignait encore un « gueux » ou un « mendiant ». On ne le connaît « cajoleur » que depuis 1833.

 

Ainsi qu’on l’annonçait en préambule mais vous n’écoutiez pas, tout ça, c’est à cause de câliner, « être inactif, indolent » jusqu’au XVIIIe siècle. On peut aussi entendre le verbe au sens de « faire le câlin devant quelqu’un pour en obtenir un avantage ».
Aujourd’hui encore, ne nous voilons pas la face, rares sont les câlins désintéressés : si la réciprocité n’est pas au rendez-vous, laissez tomber.

 

Immobilité, corollaire du câlin. Un concept né avec le normand caline, « chaleur étouffante », variante de la chaline qui s’abattait sur nos coteaux du XIIe au XIVe siècle. Vu d’ici, caline évoque davantage la douceur des températures qu’une 2003e canicule.
C’est du réchauffé, tout découle évidemment du latin calere, « être chaud ».
De « chaleur » à « paresse », il n’y a qu’un pas vers l’ombre, où « se reposent » les animaux qui calinent.

 

Z’allez rire, chômer a suivi la même pente. Bas latin caumare, « se reposer pendant la chaleur », bâti sur cauma, « chaleur du soleil de midi », elle-même pompée sur le grec kaûma, grand-père de calme. Contre toute attente, l’arrière-grand-père kaiein ne signifie pas « cailler » mais « brûler ». D’où cautériser, caustique et, moins drôle, holocauste.

 

Et comme l’étymo est circulaire, tout câlin digne de ce nom produit une certaine chaleur.

Merci de votre attention.

 

« Préchauffer le four »

 

De même que les contes commencent toujours par « il était une fois », la plupart des recettes débutent par un sacro-saint « préchauffer le four ». Passons sur le temps de préparation dépassant allègrement celui du préchauffage susdit, ce qui stresse le cuistot et gâche du watt à tire-larigot. La véritable fumisterie réside dans l’emploi des termes. Préchauffage ? On vous ferait avaler n’importe quoi, à vous.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car qui dit préchauffage dit obligatoirement chauffage.

Or, à moins d’un antique four à pain alimenté au feu de bois, nous autres ne chauffons pas le four à proprement parler : nous nous contentons de l’allumer. En plus, un seul geste pour préchauffer et pour chauffer, c’est pratique.

fourImaginez maintenant qu’il vous prenne l’envie d’enfourner sans préchauffage. Par quelle formule commencer la recette ? « Chauffer le four » ? Vous enclencheriez plutôt la cuisson. Et si cuire = chauffer (règle de trois), précuire ne peut équivaloir à un préchauffer qui, nécessairement, le précède – sans quoi ça précuit que dalle et la tarte, c’est du caoutchouc.

D’ailleurs, quand on y réfléchit, cuire n’est pas tant chauffer le four que le plat qui y va.
Par conséquent, toute espèce de préchauffage est bonne à jeter au feu.

 

Montons d’un étage. Vous a-t-on jamais sommé de « préchauffer la plaque » en vue d’y poêler quelque chose ? Ou de préchauffer la matière grasse y afférente ? Voyez le ridicule, pour ne pas dire l’extrême gravité de la chose. « Chauffer la plaque » ou « faire chauffer l’huile », telle est la consigne ; toujours pas de préchauffage en vue.

 

Moralité : allumeeeeeeeer le feu, allumeeeeeeeer le feu, et faire danser les diableuetlesdieuuuux.
Et ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup de tartelettes.

Merci de votre attention.

 

Température ressentie

 

Jadis, la météo de papa ne délivrait que la sentence du thermomètre. Nous autres petits veinards avons désormais droit aux températures ressenties, plus volontiers d’ailleurs en cas de glagla. Aussitôt la question se pose : ressenties par qui exactement ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Que voilà un concept diantrement intéressant. Et pourquoi pas, à côté du compteur kilométrique, une seconde aiguille indiquant la vitesse ressentie ? Ça commencerait à devenir chouette aux anniversaires : une bougie concordant avec l’état civil, un gâteau en rab pour l’âge que vous auriez l’impression d’avoir.

Car enfin, cette température ressentie, où l’a-t-on relevée ? Certainement pas dans le fion du commun des mortels, à 37,2 °C qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Sans compter l’imprudence de se balader comme ça de ce temps-là, t-t-t.

 

Parce que, comme sa consoeur, ladite température est donnée à l’avance par-dessus le marché. Elle n’a pu, par définition, être ressentie par personne. Les météorologues se sont donc accordés pour établir une différence moyenne entre le nombre de degrés du dehors et celui éprouvé dans notre chair. En décidant d’un écart à tel taux d’humidité dans l’air ou au milieu de telle rafale.

Or, pour avoir tous côtoyé des frileux, nous savons par expérience que la température ressentie est d’une subjectivité à faire frémir. Ce mercure intérieur varie du tout au tout d’un individu à l’autre selon son métabolisme, son épiderme, ses épaisseurs, l’abribus…

 

D’ailleurs, si l’on veut savoir précisément à quoi s’en tenir (notamment côté garde-robe), quelle utilité d’avoir deux températures pour le prix d’une ?
Rendre la météo plus fun. Un chiffre impersonnel mais personnalisé. Une précision forcément imprécise. -3 °C ? Oui mais c’est comme s’il faisait –10, voyez comme l’hiver est rude.
On vit sa saison à fond, autrement dit.

 

Les températures ressenties sont censées pimenter le bulletin météo.
Attention cependant, beaucoup de vent à prévoir.

Merci de votre attention.

 

Nonchalance

 

Comme état d’esprit, la nonchalance est une plaie. Ses accès, en revanche, sont tout un art. Une terrasse de café suffit d’ailleurs à distinguer les vrais nonchalants des habitués. Les premiers, rttant sporadiquement, savourent encore ce moment de farniente.

Mais revenons à nos moutons, perroquets.

C’est exactement le distinguo à l’œuvre entre se laisser aller (accès de nonchalance) et laisser-aller (nonchalance avec métastases). Dans le deuxième cas, les symptômes vont de l’indolence au je-m’en-foutisme.

« S’en foutre », voilà au grand jour la matrice étymologique de nonchalance.

 

Dépourvu de collier grâce auquel on pourrait retrouver son maître, le mot ne se décline en effet – à votre connaissance – qu’en épithète et adverbe (« nonchalamment chaloupé »).
C’est parce que vous ne cherchez que dans le vocabulaire maternel.

Téléportez-vous aux XVIe et XVIIe siècles et chaloir vous sautera au cou. C’est qu’il est content de vous voir à force d’être inusité, sauf dans l’expression de grand seigneur « peu me chaut », indiquant que vous vous en moquez éperdument, que ça vous est strictement égal, que vous vous en contrefoutez mais à un point, que ça vous en touche une sans faire bouger l’autre, en somme.

(Peuple, militons pour la réintroduction de chaloir et de nonchaloir, et vite).

 

Il faut remonter aux confins du françois (IXe siècle !) pour l’apercevoir à la forme impersonnelle (attention, c’est un peu fort en bouche) : chielt (« il importe »), devenu chalt puis chaut.

Au commencement était le latin calere, « être » ou « avoir… chaud ». D’où « s’inquiéter » pour une chose importante.

C’est vrai ça, on n’a pas de verbe, nous, pour dire « il fait chaud » !
Ni « froid » d’ailleurs, à moins de tomber fissa dans les superlatifs : « il gèle, il meule… ». Ce qui apparemment ne fait ni chaud ni froid à la langue nonchalante.

Bref, chaleur, que calor et tout ce qui s’ensuit. Chaland compris, lequel, avant d’être un client fidèle, « comptait » beaucoup pour vous en tant qu’« ami ».

 

Pas d’attaches, nonchalance ? Foutaises.

Merci de votre attention.

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Comment se rabibocher avec sa sœur quand on ne connaît pas le sens du mot ?

 

Tout est parti d’une vétille, c’est monté dans les étages et advint ce qui devait arriver : vous vous fritâtes avec votre sœur. Non-dits, feu aux poudres, on connaît le topo.
Vous n’allez pas rester en froid pour le restant de vos jours respectifs. Etre issu des mêmes gamètes et se brouiller pour si peu, mais c’est un crime contre la nature allons allons.

Bien sûr, hors de question de vous réconcilier sur l’oreiller (surtout si vous êtes un gars du sexe masculin). Dégonflez un peu votre orgueil, refaites un pas vers l’autre, qui fera de même, vous aurez déjà parcouru un bout de chemin considérable.

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D’ailleurs tout le monde vous conseille de vous rabibocher. Seulement voilà, kèzezéza, « rabibocher » ? Vous n’avez jamais entendu ce nom-là. Malgré toute votre bonne volonté, ça ne risque pas de se produire pour après-demain.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en ignare civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Ouvrir un dictionnaire. Attention, un petit peu plus haut ou plus bas, à rabaisser, rabrouer ou huile sur le feu et tout rapprochement ultérieur sera salement compromis.

 

♦  A tout hasard, puisque la chose a l’air de soigner, gagnez la pharmacie la plus proche et demandez à ce qu’on vous rabiboche avec votre sœur. Sans ordonnance, avec un peu de chance.

 

♦  A force de louper des épisodes, vous n’aviez pas su pour la conversion au judaïsme de votre sœur. Cette histoire de Rabbi Bocher ne vous dit rien qui vaille.

 

♦  Si c’est le sens du mot sœur qui vous échappe, la science ne s’est pas encore penchée sur votre cas. Laissez-lui juste le temps.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.