Bifurquer

 

Aussi sec que l’action elle-même, on pense à « tourner ». Un peu hâtivement car, nous l’allons voir, avec bifurquer, rien n’est simple.

Mais revenons à nos moutons, moutons.
De toute façon, c’était pas par là.

A priori, bifurquer annonce clairement la couleur : une route qui se divise en deux, à la manière d’une fourche. Première remarque : il n’y a que la route qui ait le droit de bifurquer. Essayez vous-même, vous irez au-devant de graves ennuis, notamment au niveau de l’aine. Deuxième hic : en prenant bifurquer au pied de la lettre, on se retrouve avec deux fourches.

N’y allons pas par quatre chemins : on devrait dire « furquer ».

Et encore. Après bifurcation, on poursuit sa route, sur une seule dent de la fourche. C’est dire si notre langue fourche sur ce coup-là.

 

Le verbe apparaît fin XVIe sous les traits de « se bifurcher ». Puis sous sa forme définitive, quoique toujours pronominale, au XVIIIe siècle. Un décalque éhonté du latin bifurcus, roulement de tambour : « en forme de fourche ».

Cette dernière (dont on oublie la parenté avec fourchette et pourtant et pourtant), a donné furche en vieux françois, forque en vieux ch’ti et, par contiguïté, fork en anglais, soit très exactement l’« embranchement » du cru.

 

Hélas, la furca latine est d’origine obscure. Au forceps, certains la font éclore de forceps et l’apparentent au verbe ferre, « porter » (→ préférer, fertile). « Ce n’est pas toi qui viens à la fourchette, c’est la fourchette qui vient à toi », on se tue à vous le dire.

A moins que ladite fourche soit celle du « chêne » quercus ? Racine indo-européenne perkus, dont le bourgeon anglais cork (« liège ») a le mérite de finir comme fork.

 

Anyway, en verlan, « je bifurque » fait « je furquebi », ce qui n’est pas peu dire.
La prochaine fois, nous nous attarderons sur bivouac.

Merci de votre attention.

 

Corroborer

 

Certains tiennent corroborer pour un synonyme chicos de confirmer. Les vivisecteurs du dimanche, eux, y repéreront –roborer. Même radical que dans roboratif ? Ça mérite confirmation.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme il n’est pas plus tarte adjectif que roboratif, censé nous réconcilier avec l’art tandis qu’il nous fâche avec la langue, on perd de vue sa fonction « revigorante ». De même, cor-roborer = « fortifier, tonifier », selon l’acception médicale jadis en vigueur.

 

A y regarder de plus près, c’est la racine du chêne latin robur qu’on vient de déterrer là. D’où le méconnu rouvre (ce « chêne à feuilles caduques », les habitants de Rouvray seront ravris) et le familier robuste. Quant au verbe du jour, pas étonnant qu’il équivale à « renforcer » au sens propre depuis 1389.

 

Et c’est loin d’être fini.

Pourquoi les Latins – tout sauf des glands – nommaient-ils leur arbre robur ? Parce que son bois tirait sur le ruber, tiens. Pas de quoi attraper la rubéole, ni titrer à l’« ocre rouge » pour en faire une rubrique.

Un rubis, cette étymo.

 

Par ailleurs, il se trouve que le rouge est la seule couleur dont l’aïeul indo-européen reudh- rougeoie dans toutes les langues.
Roboratif, non ?

Merci de votre attention.