Fulgurance #89

Plus balèze que le roi, l’empereur est littéralement indétrônable et n’a donc pas sa place aux échecs.
Le palefrenier est en-dessous du roi, mais on n’allait quand même pas mettre un palefrenier.

Gros gogos

 

Pour appâter leurs ouailles, les apôtres du dernier régime procèdent usuellement à coups de montages photographiques montrant le « même » modèle avant et après le miracolo.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Vieux comme le monde : on ne voit que ce qu’on veut bien voir. Et si on regardait, de temps en temps ?
Avant, rien n’est retouché, les kilos pendouillent sans retenue, sous une lumière blafarde.
Après, le ventre est plat et raffermi. En outre, la couperose a disparu derrière un teint tout frais éclairé comme il faut cette fois. Et il suffit de quelques jours, hurle une police de caractères aussi épaisse que le repoussoir de départ.
Pas croyable, hein ? Non seulement le zig en surpoids rétrécit de moitié mais, pour peu qu’il soit albinos, il bronze littéralement. C’est bien simple : on jurerait deux personnes différentes.
On ne vous le fait pas dire.
Accoutrez le boudin (à gauche) et la taille de guêpe (à droite) d’un paletot ou d’une gaine de la même couleur : emballez c’est pesé. A l’heure du trucage numérique indétectable, les moutons les plus crédules iront se faire dépecer sur la seule foi de cette pourrave juxtaposition.
Et on s’étonne que le bonneteau fasse encore recette.

Pourquoi les charlatans pubeux n’intercalent-ils pas des clichés pris pendant, pour prouver leur bonne foi ? Avec le visage du modèle bien en vue ? Ou une marque de naissance infalsifiable ?

 

L’arnaque dépasse l’entendement, parce qu’elle crève les yeux. Mais d’autres, aussi éhontées (et guère plus élaborées), nous aveuglent à longueur d’année. Sans qu’il faille chercher bien loin : saints, signes, boules du loto sous-le-contrôle-d’un-huissier-de-justice…
Pis encore – pardon d’insister – les échantillons successifs (donc pas moins changeants que les bedaines qui nous occupent) sur lesquels s’appuient les zinstituts de sondages pour aller tailler le bout de gras en plateau et faire passer leur bifteck pour scientifique.

Merci de votre attention.

 

Fac-similé

 

Il y a comme ça des mots uniques en leur genre qui vous font dire, avec respect (et redondance) :

Tiens, lui, il est unique en son genre.

Si opossum et tomahawk figurent en bonne place dans la liste, on ne causera ce jour que de fac-similé. Avouez que sur le plan formel, cette « reproduction à l’identique d’un écrit, d’un dessin » ne se trouve pas les sabots d’un chwal.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si la partie similé nous éclaire sans chichis sur l’étroite similarité entre copie et original, fac reste un mystère pour quiconque n’en a pas usé les bancs.

Il s’agit pourtant tout khônnement de l’impératif du verbe latin facere. Autrement dit, « fac simile » = « fais la même chose ». Raison pour laquelle on rencontre la bête dénuée d’accent jusqu’en 1835 dans nos dicos.

En anglais, elle fait partie des meubles dès la seconde moitié du XVIIe siècle. Pas étonnant, quand on sait que nos voisins grands-bretons usent et abusent de similar. Nous autres tendons à considérer l’adjectif comme légèrement soutenu, oubliant que le vieux latin semol a donné tout ensemble same et similar à l’anglais ainsi que zusammen à l’allemand…

Quant à facere, nous nous le sommes fait refaire en faire. Tout en gardant sous le coude, pas fous, factuel et tous les dérivés en c : factice, façon, facteur, facture (pas trop longtemps quand même, sous le coude).

 

Enfin, on croise à l’occasion facsimilé, par exemple sous la plume de l’« accusateur » Zola.
Et figurez-vous qu’on peut très bien fac-similer ! A ne prononcer qu’à condition de se la péter davantage que la moyenne, évidemment. Pour s’en convaincre, conjuguer :

Je fac-simile,
Tu fac-similes…

Libre à vous de faire de même (ou pas).

Merci de votre attention.

 

Récalcitrant

 

Ce rythme entêtant, ce billard vocalique, ces quatre syllabes sur lesquelles on bute comme autant de murs obstinés : admirons aujourd’hui récalcitrant, illustration en mot du théorème selon lequel « les objets sont nos ennemis ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Déjà, tout est dans le préfixe. Ce vieux ré-. On le retrouve à l’orée de tif, regimber, refuser, fractaire, rechigner, rebiquer, se rebeller, se rebiffer, bref, tout ce qui nous siste mais pas pour longtemps putain de vérole de va chier de bordel de cul.

En parlant de « regimber », récalcitrant se dit d’ailleurs typiquement des chwaux ou des ânes qui ruent ou se cabrent.
Par extension, tout ce qui est « têtu » ou « indocile » aura de fortes chances – que dis-je ? le privilège – de se voir appliquer l’épithète.

Avec tout ça, on en oublierait presque le verbe, récalcitrer (plus guère usité et quel dommage car pt-pt, comment s’en lasser ?). C’est à lui, en réalité, qu’on doit l’adjectif (attesté en 1551) et le substantif (des membres d’une secte protestante furent ainsi appelés en 1721).

 

Remercions surtout le latin recalcitrare, « regimber » donc, venu appuyer calcitrare de même sens. Le tout dérivant de calx, « talon ». A priori, point ne tiltez-vous : ça n’a rien donné, ça, calx. Calx, je vous demande un peu. On dirait un acronyme, c’est dire si on n’y croit pas.

Et chaussure ?
CHAUSSSSSSSUUUUUURE !
Bon sang mais c’est bien sûr !

Et allez ! Calceare, « mettre des chaucëures, chausser ».
Encore plus net, calcare/calquer, « fouler, presser », autrement dit « faire une empreinte ».
Sans oublier inculcare/inculquer, « tasser du pied » pour bien faire rentrer…

 

Ne voyez aucune ironie dans le fait que vous ne parveniez pas à les enfiler, ces grolles : c’est toujours au niveau du talon que ça récalcitre.

Merci de votre attention.

 

Voiture

 

Faut toujours que les choses de la vie courante se parent d’un nom savant. Fermeture Eclair pour braguette, réfrigérateur pour frigo, horodateur pour machine à sous… Sans qu’on lui ait rien demandé, le politiquement correct a ouvert les vannes en grand : « SDF » pour vagabond, « crème dessert » pour yaourt, « bâtonnets ouatés » pour coton-tiges. Imbattables, ceux-là.
A la voiture, certains préfèreront donc l’automobile qui bouge toute seule ou quasi.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Les puits de science que vous êtes savent qu’on n’a pas attendu l’automobile pour se déplacer en voiture. Simone ? C’est exact, à défaut de moteur, les carrioles avaient forcément besoin d’animaux de trait pour avancer. Entre toutes, c’était donc la « voiture à cheval » que prenaient les gens pressés. A tel point qu’on trouve encore des « chevaux-vapeur » sous nos capots, je vous ferais dire.

Moyen de transport avec des roues, voilà le concept. Contrôle du véhicule.

Bé justement, véhicule et voiture sont comme qui dirait cousin-cousine. Si en 1283 on descendait de voiture (cette « caisse ou plate-forme montée sur roues, tirée ou poussée par un être animé et servant au transport »), au début du même siècle on avait pourtant pris place dans ce qui n’était encore qu’une veiture ou veicture (du nom latin à peine customisé vectura, « transport », formé sur le participe passé de vehere, de même sens). Véhicule est en embuscade, vous aurez aussi reconnu vecteur, le filou. De même, si invectiver nos contemporains est consubstantiel à la voiture, c’est qu’on y est invectus : « transporté (par la colère) ». Ce que langue veut…

Il a fallu attendre 1769 pour que le vieux Joseph Cugnot fît enfin pétarader le bazar. Son « fardier », quoique destiné à ne trimbaler que des fardeaux (des engins de guerre en l’occurrence), signait l’acte de naissance de la voiture.

Oui Simone ? Excellente remarque : depuis les débuts du rail, c’est toujours comme ça qu’on appelle un wagon. Et on aurait tort de se priver, l’est construit sur le même radical wegh (« transporter, se mouvoir ») qui sert partout depuis sept millénaires. En latin donc (vehere, vehiculum) mais aussi en sanskrit (vahanam), dans les langues slaves (vozu, vezu, povozka), nordiques (wega, vega), ainsi qu’en vieux saxon et en vieux germanique (wagan, devenu Wagen et wagon).
Bien Simone, c’est aussi de là que viennent weg et way. Les voies de l’étymo sont d’un pénétrable…

Merci de votre attention.
Et merci à François Rollin pour le prêt de Simone.

 

Abracadabra

 

Votre main au feu qu’abracadabra n’est, pas plus qu’« am stram gram », un mot en l’air. Une telle perfection n’a pu sortir d’un chapeau quelconque juste pour faire joli.
Vos rudiments de cabale vous laissent même à penser qu’on y invoque quelque chose.

Ouste, avant toute chose, au dérivé fautif abracadabrantesque. Dû à un vers (d’absinthe) rimbaldien, le vilain s’est répandu comme une traînée de poudre suite au bon mot télévisé d’un président. Non mais c’est abracadabrant, à la fin.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Attestée dans un écrit latin du IIIe siècle, la plus célèbre des formules magiques divise le landernau quant à sa signification.

Décidément chapardeurs, les Latins auraient subtilisé α ̓ϐρακα ́δαϐρα à une escouade d’hérétiques grecs dont Abraxas était le dieu. Nous y sommes : quitte à épater le gogo, autant miser sur la puissance divine (qui équivaut au passe-passe suprême).

C’était sans compter sur le boustrophédon, les aminches.
Kézezéza, le boustrophédon ? Littéralement un bœuf qui laboure un champ. Et qué rapport avec la lasagne ? Tout doux, j’y viens. Sans doute émoustillé par la perspective d’une double ration de lasa… de foin, le consciencieux animal avance de droite à gauche et de gauche à droite. Ce qui a donné son nom à l’écriture boustrophédon, qui se lit dans un sens puis dans l’autre. Parfois même, ce sont les lettres qui s’inversent ; point ne vous raconté-je la gerbe.
Et Dieu sait que pour dégobiller des lasagnes, faut déjà s’en farcir des doses de cheval.

D’aucuns donc, boustrophédon en bandoulière, ont déchiffré abracadabra comme dans un miroir : arba-dak-arba. Comme vous aviez pas révisé votre hébreu avant de venir (et qui vous en blâmerait), vous voilà Gros-Jean comme devant. Tout doux, la traduction arrive, je vous la donne en mille : « que le quatre anéantisse le quatre ».
Voyez qu’appuyer sur les –bra d’un abracadabra bien senti relève d’une certaine logique.

Mais décomposons un peu tout ça, pt-pt.
Arba : « quatre », cryptogramme pour « Dieu », d’ac ? ;
dak : impératif du verbe hébreu « casser, anéantir » ;
arba à nouveau : « quatre [sous-entendu] éléments ». Autrement dit : « que Dieu maîtrise (en les anéantissant) les quatre éléments ».
Eh oui sinon comment tu veux qu’elle marche, la magie ?

Noitnetta ertov ed icrem.