Silence

 

Pendant que ses consœurs en -ence sont occupées à glousser, le silence règne en maître. Un peu comme Charlie et ses drôles de dames.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Anglais silence, italien silenzio, espagnol silencio, en voilà un qui fait l’unanimité. En musique, il permet aux trompettistes de souffler (ou de s’arrêter de souffler, selon le point de vue). On le goûte donc d’autant mieux qu’il interrompt un bruit pénible ou une logorrhée. En témoigne le fameux :

– Ta gueule, pour voir ?
– …
– Ah oui, c’est bien aussi.

 

Au tout début s’installe le radical indo-européen tkei- (« s’installer »). Son petit cousin (t)koimo- nous ramène à home mais il s’émancipe en latin dans le verbe sinere (« laisser, permettre »). Lequel ne nous a rien laissé si ce n’est position (latin ponere = po + sinere) et son participe passé situs (« placé, posé » → sis, assis, site, situer).

Sinere, sans doute avec les aléas de la route, devient silere. Au participe présent : silens. Quel rapport entre « posé » et silencieux ? Réfléchissez posément.

Moins tarabiscoté, certains voient dans silere un bête prolongement de la lettre s qui, sifflée ou chuintée, intime le silence aux pipelettes de par le monde.

 

Malgré les apparences, il y a un monde entre silere (« être tranquille ») et tacere (« se taire » → taciturne). En vous taisant, vous vous contentez de couper le son. Tandis que le silence, lui, est absolu. C’est pourquoi il nous échappe indéfiniment. Même sous l’eau, où les palpitations de votre cœur vous parviennent encore à quelques décibels.

 

Pas besoin d’en dire plus.

Merci de votre attention.

Sortez en rang. Et en silence.

 

Secret

 

N’allez pas confier vos secrets à n’importe qui. Dès l’instant où ils tombent dans l’oreille d’un pote, même trié sur le volet, ils cessent d’être secrets, ipso facto. Un secret, c’est sacré.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’héroïne en noir et blanc le prononce ainsi :

C’est uuun s’cret.

On ne s’en lasse pas.

Secret, comme le rappelle l’éblouissante introduction ci-dessus, est un cumulard comme on les aime.
Epithète d’abord, dès le milieu du XIIe siècle : « qui se tait, sur la réserve » ou « situé à l’écart des lieux fréquentés » (des « lieus segreiz »), notre homme se fait « discret » puis, n’ayons pas peur des mots, « dissimulé à la vue » au début du XVIe.

 

Y’a pas d’secret, il sort des jupes de secretus, « spécial, distinct, à l’écart, caché » (adjectif), et du frérot secretum, « lieu retiré » (substantif). En le prononçant à la romaine, l’air de famille ne saute-t-il pas aux yeux avec sécréter ? Tout juste.

Secretus, participe passé de secernere, variante de ce vieux cernere, « séparer », que l’on discerne encore à l’œil nu dans concerner et décerner.

Et ce se- ? Sans doute pour mieux marquer l’idée de « séparation », le préfixe a été scié sur secare, « scier ».
Si cette info vous scie les pattes, considérez donc votre sécateur et allez sectionner vos rosiers, ils n’attendent que ça.
Vous n’avez de jardin que secret ? C’est un monde, ça !

 

Evidemment, en rafistolant secretum en secretarium, les Zanciens nous montraient la voie du secrétariat, où s’entassent à la fois secrétaire (le meuble) et secrétaire (la pipelette). Entre nous, la personne la moins indiquée pour garder un secret.
Par conséquent, chut.

Merci de votre attention.