« Bon courage »

 

L’existence n’est qu’un immense Fort Boyard. Sans ça, on ne se souhaiterait pas « bon courage » au moment de prendre congé. La formule devient si envahissante qu’elle éliminera bientôt « bonne journée ». De cette dernière ou de la fosse aux lions, on ne sait laquelle requiert le plus de courage.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A l’inverse de « bonne journée », qu’on ne peut remplacer par « journée », « bon courage » signifie rien moins que « courage ».

Pour avoir déjà trituré le mot, on sait que, plus que de tripes ou de khoûilles, le courageux doit faire preuve de cœur.
C’est dire si la notion est dévoyée dans notre expression du jour.

 

En la prenant au pied de la lettre (et on ne sache pas qu’il faille la prendre autrement), l’on sous-entend donc un péril à affronter. On voudrait vous rappeler votre sort peu enviable qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Bon courage.

Pourquoi pas

bonne chance

ou

sincères condoléances ?

 

« Bon courage » permet de montrer toute sa compassion face à l’adversité. Mais c’est surtout le signe d’une résignation partagée. On n’y coupera pas, serrons-nous bien les coudes.

Que répondre à ça ?

Merci,

pour ne pas paraître malpoli.

Et même :

vous aussi,

la vie n’étant une partie de rigolade pour personne allez.

 

Au prochain « bon courage », un peu de courage : envoyez bouler l’interlocuteur.

Merci de votre attention.

 

Passion

 

Parlons peu, parlons bien, parlons passion. Il suffit de comparer passion à compassion pour s’apercevoir que le passionné pâtit plus de sa passion qu’autre chose.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Qu’on se prenne de passion pour quelqu’un ou pour les timbres du Bélize, on n’en a jamais assez. D’où tac, frustration (qui mène le monde). D’où auuuugh, souffrance (qui nous perclut au point de nous rendre passifs).

Précisément, com-patir, c’est « souffrir avec ». Jusqu’à devenir compatibles, éventuellement. On s’étonne après ça que les passions soient destructrices. Et pourquoi retrouve-t-on ces s fossilisés en circonflexe dans pâtir et pas dans compatir ? Pour mieux brouiller les pistes, évidemment. Les Grecs, toujours plus malins que tout le monde, contournent le problème en faisant preuve d’empathie.

On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, no pain, no gain et autres dictons rabat-joie : toute passion n’est pas nécessairement une partie de plaisir. Parfois même, elle tient du chemin de croix : la Passion du Christ. Dieu merci, ça n’a pas existé.

 

En latin, passio naît de passus, participe de pati, « endurer, éprouver », cousin de paene (« peine », v. peinard) mais surtout fier paternel de patientia.
C’est vrai, dans la salle d’attente, le patient poireautant par paquets de trois quarts d’heure « souffre » comme jamais. L’expression « prendre son mal en patience » est taillée sur mesure, que dis-je ? cousue sur lui, ce qui n’arrange pas son cas. D’ailleurs, l’impatient ne « souffre » pas, en toute logique – ce que son comportement dément catégoriquement *.

Audiard :

Ça fait plaisir de te revoir, le Mexicain commençait à avoir des impatiences.

 

Songez enfin à la patience qu’il faut pour extraire la pulpe des fruits de la passion.
Meuh que c’est passionnant, l’étymo.

Merci de votre attention.

 

* v. celui dans votre dos à la Poste.

 

Soyons précis

 

Il semble que sous couvert d’expressions zimagées, nous multipliions les approximations en oubliant la fière devise au fronton* de ce blog : « une erreur répétée n’a jamais fait une vérité ».
* frontispice ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

J’en veux pour preuve le désolant :

avoir un balai dans le cul.

Locution figée qui désigne des personnes dont la raideur est du même tonneau. Pourtant, a-t-on jamais vu dépasser de leur arrière-train la partie brosse ? Est-ce à dire que l’ustensile s’insère dans sa totalité ? On ne peut l’imaginer, même en cas d’orifice particulièrement dilaté. L’hypothèse est donc irrecevable, à moins d’avoir en réalité un simple

manche à balai dans le cul.

Imprécision, mère de malentendus.

 

Autre source de perplexité pour qui prend la peine de s’y arrêter,

avoir un poil dans la main

ou, pire encore,

un baobab dans la main.

Voyez où le bât blesse. Si cette terrible tare s’était avérée en un seul point de la planète, la communauté scientifique aurait accouru comme un seul homme et les photos de l’excroissance s’étaleraient partout. Par cette expression toute faite, on désigne clairement les individus soi-disant malformés comme des têtes de turc – quand bien même ils ne sont pas turcs. Par fainéantise sans doute.

 

Avoir le cœur sur la main

ne s’embarrasse pas plus de vraisemblance. L’opération implique pourtant un thorax assez mutilé pour y plonger une main ou pour qu’à l’inverse l’organe pendouille au-dehors, retenu tant bien que mal par la paume du pauvre bougre fauché par le shrapnel.
Dans tous les cas, on ajoute généreusement à l’aberration anatomique celle du langage. C’est du propre.

 

Et s’il vous arrive régulièrement d’

en avoir ras le bol,

qu’est-ce qui vous empêche de changer de bol ? Ou de casquette, de pif, de baigneur selon la circonstance ?

 

Quant à savoir s’il faut se mettre

en chien de fusil

ou

en chiens de faïence

laissons là ces divagations, non sans y jeter l’œil torve qu’elles méritent.

Merci de votre attention.

 

Encourager

 

Alleeeeeeeeeeeeeeeeeeeeez,
Po-po-po-po-po-po-po-po-o-o-oooooooooo ! (Olé),
Si t’es fier d’êt’ parisien, tape dans tes mains.

Hurlés des tribunes ou du canapé, on peut affirmer sans trop se gourer que ces cris du cœur nous traversent le gosier sans transiter aucunement par le cerveau. Normal : c’est dans le précieux organe qu’encourager prend sa source, vers laquelle nous remonterons pas plus tard que tout de suite.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Supporters, supportrices, encourager revient à « donner du courage », vous en conviendrez. En posant l’équation différemment, vos chouchous, vous leur mettez donc du baume au cœur.
Ah.
Courage et cœur seraient-ils pas liés comme les deux doigts de la main ? Oui mais ça dépend lesquels. Parce que l’index et l’auriculaire déjà, ils se croiseront pas beaucoup, j’aime autant vous le dire. Le majeur et l’auriculaire, encore pire, alors là, aucune chance. Evidemment, vous voilà en train de soumettre ce qui précède à l’épreuve des faits (la confiance règne). A grimacer comme des malades, vous risquez juste un croisement des ligaments, qui éloigne les sportifs de la compète et nous éloigne doublement du sujet.
Incorrigibles que vous êtes.

 

Reconcentrons-nous. Lors de sa première occurrence en 1050, courage désigne rien moins que le « cœur en tant que siège des sentiments ». A peine cinquante berges plus tard, le courage est un « état d’esprit » amenant ardemment au « désir de faire quelque chose ». On n’est courageux que face à l’adversité, sinon y’a pas besoin.

Le mot a tant d’allure que les Grands-Bretons, délaissant leur heart et n’écoutant que leur cœur, se sont resservis et du nom et du verbe.

Quant à encourager justement, il s’est d’abord dit et écrit encuragier. Si si ! Vous laissez pas abuser par la proximité phonétique avec enculé, de nature au contraire à décourager ceux que vous ne portez pas dans votre cœur.

Intellect, toujours exclu du lot, ça va de soi.

Merci de votre attention.