Ciao

 

Ciao ciao ciaoooooo !

s’époumone le Nagui au moment de prendre congé.

S’il connaissait son étymo, il s’épargnerait cette peine.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ciao a le mérite de la clarté, où qu’il se prononce. Seul tschüss lui fait de l’ombre outre-Rhin. Ici, on ne se dit ciao que depuis 1950, hésitant quelquefois entre VF (chao, Tchao Pantin) et VO, celle du Nord de l’Italie. Et encore, le piémontais l’écrit ciau et le génois sciao.

 

Justement, zieutons un peu cette orthographe.

Figurez-vous que sans le vieux vénitien scia(v)o (« esclave »), pas de ciao qui tienne. Nous serions obligés de nous dire « au revoir » en feignant d’oublier que la formule complète est : « au [plaisir de vous] revoir ». Déguisé en ciao, sciavo résume lui aussi « [je suis votre] esclave ». Ce qui n’est pas pire qu’« à votre service » ou que « serviteur », dans les provinces les plus reculées. Partout ailleurs, on se lance des ciao à la gueule sans même s’en rendre compte.

 

Comme ses homologues slave en angliche ou esclavo en spanish, sciavo remonte au latin médiéval sclavus, enchaîné au grec sklabos, tirant lui-même son nom – z’allez rire – du slave Slav, probablement dérivé de slovo, « mot, discours ». Il se pourrait que l’indo-européen kleu- (« entendre ») irrigue le tout, comme en témoignent outre-Manche listen et loud.

Ne restait plus aux Slaves qu’à servir d’esclaves après invasions.

 

Les blases locaux regorgent d’ailleurs de -slav : Jaroslav, « réputé pour sa fureur », Miroslav, « gloire tranquille ».
Citons zaussi, une fois n’est pas coutume : citoslovce, « onomatopée », doslova, « mot-à-mot », proslov, « discours, allocution », sloveso, « verbe », slovnik, « dictionnaire » et vyslovovat, « articuler ».

Sur ce, assez causé.

Merci de votre attention, ciao.

 

In the baba

 

Tout bien considéré, cet individu que vous estimiez naguère est en fait un « enculé ». Si ça peut vous consoler, dites-vous que l’injure n’a pas lieu d’être.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Terme injurieux : « Espèce d’enculé ».

Nul besoin de dictionnaire pour nous rappeler ce qu’est un enculé. L’Italien, qui a le vaffanculo ! facile, prend encore des gants : son enculé n’est qu’en devenir.

Mais à la réflexion, l’enculé n’est-il pas victime de son sort ? Dans l’histoire, s’il fallait vouer quelqu’un aux gémonies, ce serait plutôt l’enculeur. On connaît des mouches que cette perspective séduirait.

 

D’ailleurs, on ne dit jamais « une enculée ». Au féminin, la connotation sexuelle reprend ses droits aussi sec.

Bien la preuve que se laisser aller à traiter une pourriture d’« enculé » est une forme d’homophobie refoulée. Tout comme « gros pédé », « grosse folle » ou « grosse tata », qui ne visent pourtant ni les gros, ni les fous, ni la famille particulièrement. Allez comprendre.

« Enculé » constitue-t-il alors une discrimination envers les homos ? N’employons pas, mes moutons, des mots en vogue sans en penser un seul. La communauté gay ne se sentira pas offensée, pour la bonne raison que cela suppose qu’il y ait une « communauté hétéro ». Ce qui, entre nous, est à pisser dans la culotte de son voisinenculé notoire, pour le coup.

 

La charge péjorative d’« enculé » se dégonfle donc telle une verge post coïtum.
A cet égard, la trajectoire de son compère enfoiré est intéressante. D’invective suprême, l’adjectif est devenu, quand je pense à toi je pense à moi, la tendresse incarnée. « Enculé » empruntera-t-il le même chemin ? C’est peu probable.

 

Hors de l’alcôve, on ne le sait que trop, se faire enculer est rarement volontaire. Frais supplémentaires, publicité mensongère, duperies en tous genres : nous sommes tous — profondément — des enculés.

Merci de votre attention.

 

Stop

 

Stop, imprégnez-vous de la beauté brute de ces quatre lettres.
Comment y rester insensible ?

  • D’abord signal d’arrêt, en particulier sur nos routes, le mot devient par métonymie l’arrêt lui-même. On « marque le stop », quelque dégagé que soit l’horizon, ou il vous en coûtera, pauvres fous, le nombre de vos roues en points, pas moins.
    « Feux stop » allumés = poulets bien attrapés.
  • Bitume toujours, « faire du stop » revient littéralement à stopper les voitures de bonne volonté (et non de bonne qualité nécessairement, cf. Michel Colucci : « tout en plastique, la sienne »).
  • Stop sépare enfin les phrases d’un télégramme, comme seule l’antépénultième génération s’en souviendra si Alzheimer lui fout la paix.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est à l’évidence dans la langue et à l’époque de Shakespeare que se plante le décor : stop y signifie « obstruction, arrêt » et désigne déjà par ailleurs une marque de ponctuation. D’où a-t-il débaroulé ? Du vieux verbe anglais stoppian, probablement chipé au bas latin stuppare, qui a donné notre étouper (« boucher avec de l’étoupe [fibre grossière] »). De calfeutrer à empêcher l’air de passer en l’arrêtant, pas le moindre interstice sémantique, nous sommes d’accord.

Maintenant figé en étouper, l’ancien françois estoper s’est altéré en estofer (attesté en 1230). Pourquoi croyez-vous que le lapin à l’étouffée cuit avec son couvercle, mm ? Voilà qui vous en bouche un coin, avouez.

Par suite, si stop équivaut à boucher, Destop débouche. La logique le dispute à la causticité.

 

Des latinistes obsessionnels, habitués sans doute à tomber en arrêt devant leurs congénères femelles, rapprochent volontiers to stop du transparent stupere. Stupeur et tout le tremblement ! Louis Jordan lui-même, ci-devant tonton du rock’n’roll, avait en son temps cette image qui tue :

One look at her and the traffic stops.

 

Merci de votre attention stop