Mise à l’épreuve

 

Tendez l’oreille : sans raison particulière, certains orateurs n’hésitent plus à s’asseoir sur la conjugaison du verbe mettre dans une locution.

Au hasard :

les mesures qui ont été mis en place.

Tout zig normalement constitué ne saurait plus où se mettre.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Naguère encore, nous profitions de l’aubaine pour faire la liaison toutes babines retroussées :

les mesures mises en place = [zz].

Dorénavant, c’est comme si le groupe verbal était considéré comme un tout invariable. Sans doute – mal du siècle – parce que ça va plus vite. Que la chose soit au singulier ou au pluriel, au masculin ou au féminin, c’est égal : elle est « mienplace », point.

 

A trop considérer notre patois comme une entité extérieure à nous, trop compliquée pour en assimiler les codes (alors même que nous le parlons du lever au coucher du soleil), pas étonnant qu’on en arrive à des aberrations pareilles, les poteaux. Voyons les choses en face : les règles élémentaires sont miàsac dans l’indifférence générale.

 

Catastrophe nationale plus grande que la misère, le climat et l’accent grand-breton réunis, l’accord des participes passés vient d’entrer dans une nouvelle ère : la terminaison unique. On se souviendra que c’est tombé sur mettre.

Alors que hein, au risque de se répéter, il suffirait de remplacer par prendre pour toucher du doigt l’absurdité à chaque fois :

les mesures qui ont été prises

et donc

mises.

 

Si les troubles persistent, faites-vous amputer la langue sans anesthésie. Ça vous remettra les idées en place.

Merci de votre attention.

 

Savoir s’avoir

 

Tandis qu’être se voit accorder tout ce qu’il veut en genre et en nombre, avoir n’a qu’un COD qui le précède pour seule pitance. S’il n’y avait que ça ! Avec sa conjugaison pronominale inusitée, avoir se fait avoir sur toute la ligne.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Jamais de pronom réfléchi avec avoir. Zieutez bien, « nous nous avons » et autres monstres brillent par leur absence dans toute la littérature. Il est vrai qu’il faut se lever tôt pour caser « je m’ai » dans la conversation. Idem pour sa suite logique « je m’ai gouré ». Seul

heureusement que je l’ai

a droit de cité. Heureusement qu’on l’a, çiloui-là.

 

Le malaise culmine au moment de « s’avoir au téléphone ».

La dernière fois qu’ils se sont eus au téléphone,

ont-ils parlé de

la prochaine fois qu’ils s’auraient ?

Ça se saurait. Nos oreilles refusent de l’entendre. Parce qu’on n’a pas l’habitude ou à cause de l’homophonie avec savoir ?

 

Même employé comme auxiliaire, avoir se fait jarreter sans ménagement :

je l’ai eu au bout du fil

mais

nous nous sommes eus.

De même,

il a descendu une bouteille à lui tout seul

devient

la bouteille qu’il s’est descendue.

S’il a une bonne descente, que ne se l’at-il sifflée ?

 

Bienheureuses les autres langues exprimant la réciprocité à coups d’each other. Mais à supposer qu’on précise « l’un l’autre » ou « mutuellement », ça ne résout que pouic à notre affaire :

heureusement qu’on s’a l’un l’autre.

Vous parlez d’un duo de choc.

Merci de votre attention.

 

La condition du futur

 

Depuis environ Cro-Magnon, futur et conditionnel sont des concepts bien clairs dans nos têtes. On a beau ne pas les confondre intellectuellement, dès qu’on les couche sur papier, ça redevient du pifomètre, comme si 1 et 1 faisaient alternativement 2 ou 11. C’est dire à quel point l’orthographe est en option dans ce pays de débiles.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Futur = ce qui arrivera (c’est sûr).
Conditionnel = ce qui arriverait si (c’est pas sûr).

Les trouble-fête rétorqueront que le futur ne se peut prévoir, et que rien n’est sûr ici-bas et que c’est d’ailleurs tout ce qui fait le sel de la vie. Une attaque de drones dans les glaouis suffira (sûr) à les écarter de la piste.

Comme on ne parle que de soi dans ce pays de blaireaux, l’infamie n’éclate heureusement qu’à la première personne. C’est la conjugaison qui veut ça :

j’aimerai/j’aimerais.

Rien ne les distingue à l’oreille. Mais décalez-vous d’un cran :

tu aimeras/tu aimerais

et ainsi de suite.

Ou alors, complétez par bien :

j’irai/j’irais bien.

Impossible de se planter. D’ailleurs ça ira bien. Qu’il faille en passer par ces petits trucs pour ne plus commettre ces erreurs grossières, c’est à vous dégoûter de ce pays d’incapables.

 

Ayant recouvré leur virilité sur ces entrefaites, les chipoteurs argueront que le doute est parfois légitime :

j’aurai besoin de bras/j’aurais besoin de bras.

Si la grande chaîne de l’évolution vous a hypertrophié la comprenette au point de ne plus sentir le tact du conditionnel, voire du futur ici (car le pauvre a de toute évidence besoin d’aide maintenant), remplacez par le futur proche :

je vais avoir besoin de bras.

Pendant que vous gambergez, l’armoire est déjà en bas. Pays de tire-au-flanc.

Merci de votre attention.

 

Dictée

 

La dictée de Pivot, certains s’en tirent très bien avec deux fautes : une à dictée, une à Pivot.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On écrit sa dictée sous la dictée de quelqu’un qui dicte, jusque-là, ça va sans dire. Que vous croyez. Parce que dire, il va en être sacrément question.

 

Avouez que vous aussi admirez à n’en plus finir les terminaisons vintage de l’ancien français. Celles qui racontent l’histoire du mot qui les porte ont un cachet particulier :

il ne fault nul offenser, en dict, ne en faict.

Râh oui, l’orthographe d’avant, ct quand même autre chose. Aujourd’hui, que sont tous ces fiers –ct devenus (le t rebouclant vers le c, sinon ça vaut pas) ? Aspect, respect, suspect, distinct, instinct sans oublier le petit chouchou succinct : nous les avons gardés uniquement pour la déco. Pour être tout à fait exact, certains même prononcent encore exact avec un –a.

 

Tout ça pour dire que dire a beau faire, il ne se débarrasse pas comme ça de son c.
Un dicton, c’est ce que dit la sagesse populaire :

il ne fault nul offenser, en dict, ne en faict.

La diction (théâtreux à vos postes) : la manière de dire.
Un dictionnaire, rien moins qu’un répertoire de mots.
Un dictateur, celui qui ne se satisfait pas du diktat précédent und so weiter.

 

Dicter, donc, apparaît au XVe siècle, dicté par le latin classique dictare, « dire souvent, prescrire », fréquentatif de dicere, « dire » dites donc. Et si dire se disait dicere, c’est à cause de deik-, l’indo-européen pour « montrer, indiquer ». D’où quelques lunes plus tard le latin digitus auquel on doit notre doigt – autre finale remarquable s’il en est, d’autant que y’en a pas vingt.

 

Quant aux dictées de nos chères têtes blondes, aussi lamentables soient-elles, souvenez-vous qu’

il ne fault nul offenser, en dict, ne en faict.

Une lampée d’étymo en revanche, rien de tel pour piger la langue.

Merci de votre attention.