« Être en retraite »

 

De plus en plus, l’expression qui nous vient au sujet d’un retraité tout juste disparu du paysage est celle-ci :

il est en retraite.

Sa variante « partir en retraite » ne part pas moins en sucette.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Digne successeur d’« être en panique » déjà laminé dans ces colonnes, « être en retraite » supplante donc à fréquence exponentielle « être à la retraite » (ça sonne mieux tout d’un coup, trouvez pas ?).

Et bougoi ?

 

Zhypothèse 1 :
Nous nous laissons abuser par le lointain écho de « battre en retraite », exclusivement réservée aux fantassins qui n’en mènent pas large.

Zhypothèse 2 :
Pas moins trompeur, « être en retrait ». Sournois, çiloui-là. Surtout qu’« en retraite » se disait jadis à sa place… Or, c’est bien connu, se mettre en retrait (de la vie politique notamment) ne veut pas dire charrette. Sortir de sa retraite pour imposer à nouveau sa trombine au peuple est même monnaie courante.

Zhy3pothèse :
Nouveau départ pour certains, terreur existentielle pour les autres, dire « la retraite », c’est la voir se dresser devant nous, inéluctable. Alors qu’avec une simple préposition, exit l’article défini. Et hop : diluée, la menace !

 

Petit truc pour bannir définitivement « en retraite » de l’espace sonore : représentez-vous les baby-boomers « à la plage », « à la fraîche », « à la masse ». Remplacez maintenant par « en plage », « en fraîche » : avouez que vous vous empourprez. Et pourquoi pas « en masse » pendant que vous y êtes ?

Merci de votre attention.

 

« En berne »

 

Parmi les expressions toutes faites méritant tarte dans la gueule figure sans conteste « en berne ». Notez que seuls les journaleux et les zéconomistes qui leur font face la prononcent. Hors plateau, au-dessus de l’évier ou d’un gratin de coquillettes, tout ce petit monde reparle normalement, sans que jamais ne lui vienne cette formule à la khôn.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Croissance en berne,
exportations en berne

voire, allons-y gaiement,

moral en berne,

la métaphore, fournie avec le Smith & Wesson, est censée décrire une stagnation. Elle se veut plus soutenue qu’« en panne » ou « au point mort », autres « trouvailles » tirées du lexique médiatique (sans limites) de la montée et de la descente.

 

Berné par ces occurrences au figuré, on en perdrait presque de vue l’analogie avec ce bon vieux drapeau en berne, hissé à mi-hauteur en signe de deuil (mais pas replié, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ‘tention).
L’heure du recueillement a sonné : croissance, exportations et patate ne reviendront plus.
A l’énoncé d’« en berne », l’abattement est instantané. Pire, on n’en voit pas la fin. Imaginez un innocent en cellule attendant la révision de son procès ou une bistouquette rabougrie dans l’espoir d’un prochain garde-à-vous. L’effet est aussi désastreux.

 

Si les déclinologues de tout poil ne parviennent pas à entamer votre optimisme à coups de « banqueroute » ou d’« Etat en faillite », « en berne » rappellera à qui veut l’entendre qu’il n’y a pas de quoi pavoiser.

Merci de votre attention.