Randonnée

 

Etant donné que « partir en randonnée » finit rarement en randonner (verbe néanmoins officiel), on conclut que le randonneur n’est pas généreux, si ce n’est dans l’effort.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

De son petit nom rando, la randonnée peut s’avérer mortelle :

Mortelle randonnée.

Auquel cas on évitera d’utiliser le diminutif.

D’ailleurs elle a tout d’une grande, comme en témoignent les quelque 60 000 km de chemins de grande randonnée que compte le pays. S’il y en a parmi vous qui s’encouragent à coups de « 1 km à pied, ça use, ça use », vous pouvez commencer à chanter. On s’étonne même que le mot-valise « grandonnée » ne se soit pas encore invité au pique-nique.

 

Si une randonnée se mesure à sa durée, sa distance et sa difficulté (et accessoirement, au nombre d’épines dans le pied du dernier de la bande), qu’est-ce que cette histoire de « grandeur » vient faire là-dedans ?

Un reliquat de l’ancienne locution « de/a (grant) randon », « avec rapidité, impétuosité » :

Li sanc li saut à grant randon
Par mi le nez à grant foison.

La randonnée, faut pas traîner en route, c’est bien connu.

Le verbe randir (« galoper, courir avec impétuosité ») sort lui-même du rant, héritage du bas francique rand, « course ». Comparez au teuton rennen et à l’angliche run de même sens.

Restons en terre angloise. L’adjectif random, qui s’en remet « au hasard », n’est qu’un honteux copier-coller de ce vieux randon. Car qui dit « courir vite » dit « sans réfléchir », c’est bien connu.

 

Pour revenir au point de départ, suivez la balise indo-européenne rei-, « courir, couler ». D’ailleurs, Rhin, Rialto et Rio Grande ont tous sans exception les deux pieds dans la flotte, c’est bien connu.

Conclusion : la randonnée, faut pas hésiter à s’hydrater, c’est bien connu.

Merci de votre attention.

 

Emplettes

 

« Faire ses courses » se fait par définition au pas de course. « Faire du shopping » consiste à écumer les échoppes. Quant à « faire des emplettes », on y emplit son cabas. Il doit s’agir d’un hasard total.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Et ne nous laissons pas distraire par Verlaine, qui utilise empletter pour aller plus vite. Historiquement, l’emplette naît emploite, « usage, application, résultat ou bénéfice possible » à l’orée du XIIIe siècle. Il faut encore poireauter deux cents ans pour qu’elle prenne le sens d’« achat », qui lui va comme un gant.

 

Y’en a qui se moquent.

« Faire des emploites » ? Plutôt mourir ; heureusement qu’on n’y vit plus, au XIIIe siècle. C’est oublier un peu fissa qu’emploi s’emploie toujours, lui.

Visez un peu par là.

 

Emploite est, après mûrissement, le fruit du bas latin implicta, de même sens. Neutre pluriel formé sur le participe passé implicatus (ou implicitus, c’était implicite) du verbe implicare, qu’on ne présente plus.

 

Quant à emplir, il s’occupe de « rendre plein » depuis le latin des rues implire, inspiré d’implere. Y vous plairait sûrement de savoir que plenus a ensemencé le tout, et qu’il s’est aussi planqué dans replet, complet et suppléer (« remplacer, combler »). Sans oublier – accrochez-vous au siège – la politique, cet art de gouverner la « cité » polis et la plèbe qui s’y masse, toujours avide de se faire manipuler (« prendre à pleines mains »).

Inutile de dire que l’indo-européen pel- (« verser, emplir ») donne encore pléthore de dérivés, dont poly-, pluriel, full (GB), voll (D) et plus si affinités.

 

Emploi et emplir, bien qu’issus de deux familles différentes, vivent au moins leur amour dans « le plein emploi », qui permet toutes les emplettes qu’on veut.

Merci de votre attention.

 

Allo maman bobonne

 

Point n’est besoin d’avoir fait sociologie des grandes surfaces pour observer que, dans le doute face à sa liste de courses, seul l’homme du sexe masculin appellera bobonne à la rescousse, à la maison ou wherever she is.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dans un rayon, agrippé au caddie, l’homme blêmit. Râh putain ils l’ont pas, maugrée-t-il en son for intérieur. Que prendre à la place ?
Lorsqu’il a fini de s’interroger en son for intérieur et que le fruit de sa réflexion (qui peut aller de trois secondes à plusieurs minutes de solitude existentielle) débouche sur peanuts : portable.

Ce fait civilisationnel laisse supposer que ladite liste a été établie par bobonne. Et que bobonne est joignable, sans quoi les affres de monsieur peuvent se prolonger jusqu’après la fermeture.

Plutôt que d’essuyer un savon sitôt ses pénates regagnées parce que je te l’avais dit qu’il fallait pas prendre ça, l’homme du sexe masculin préfère, sans souci du qu’en-dira-t-on, sortir l’artillerie lourde. Déguisée en oreillette parfois.

 

Mais l’homme tient sa victoire. Une référence de la liste vient à souffrir d’imprécision ? L’occasion est trop belle de faire remarquer à bobonne sa connaissance lacunaire de l’approvisionnement de l’échoppe. Jusqu’où va se nicher le reproche.

Oh mais on est prêt à parier que certains spécimens (les moins orgueilleux) prennent une photo de ça et de ça qu’ils s’empressent d’envoyer, toujours via la magie des ondes, à la porteuse de culotte. Qui tranchera, dans un bon jour : prends les deux, on verra bien.

 

Comment faisait-on avant ? On était obligé de se faire confiance – ou de se briefer deux fois plus.
Conclusion : non seulement la joignabilité pousse à la consommation mais elle tue l’amour dans les mêmes proportions.

Merci de votre attention.

 

A vos marques, prêts, feu, partez

 

Avant de mesurer votre pointe de vitesse jusqu’au mur ou au poteau là-bas, sachez, pauvres fous, que l’énoncé « A vos marques, prêts, feu, partez » vous disqualifie pire qu’un faux départ.

Mais revenons à nos moutons, moutards.

♦  Déjà, le vouvoiement prête à rire. La plupart du temps en effet, le copain court tout seul pendant que vous tenez le chronomètre. Comme on vous voit toujours fourrés ensemble, tout porte à croire qu’une certaine familiarité vous lie, favorable au tutoiement plutôt qu’à ce « partez » qui ne rime à rien. On soupçonne ici un usage figé de la 2e personne du pluriel.
Admirez le type d’aberrations grammaticales nées de vos inconséquences :

Allez tais-toi va

 

♦  Puisqu’on en est à accorder en genre et en nombre, si le sprint se déroule entre filles, pourquoi « prêts » reste-t-il invariable ? Les garçons du sexe masculin courent notoirement plus vite, c’est physiologiquement établi mais quand même, ‘peu de respect.

 

♦  Ensuite, n’oubliez pas que tout ceci est informel. Si « à vos marques » invite les athlètes à rejoindre leur poste sur la piste, l’appel s’avérera totalement superflu en pleine rue et en l’absence de tout starting-block homologué. De toute manière, la demi-portion qui s’apprête à s’élancer est déjà en position : à quoi bon forcer le trait ?

 

♦  Quant à l’ultime sommation, sauf à disposer d’un pistolet pour donner le départ, par pitié, pas de « feu » qui tienne. Même chez les professionnels, la détonation ne provient plus d’une arme mais se déclenche électroniquement.
En sus d’être obsolète, l’injonction est redondante. Si à « prêt », le petit camarade a déjà levé le genou, qu’est-il censé faire à « feu », je vous le demande ? Se crisper un peu plus et perdre ses moyens, c’est ça que vous voulez ?

A l’introduction d’une mêlée au rugby, l’arbitre déclame d’ailleurs un quatrain similaire : « crouch, touch, pause, engage ! » (devenu depuis « crouch, touch, set ! », ce qui au passage perd terriblement de son charme). Habile dramaturgie dont le seul intérêt est là encore l’épilogue – le signal pour lâcher les clebs.

 

Lardons, de grâce, mettez-vous en train dans les règles de l’art et uniquement au son de

Prêt(e)(s), vraiment prêt(e)(s), vraiment vraiment prêt(e)(s), pars (partez).

Merci de votre attention.