Film d’auteur

 

D’un bon comédien, on dit qu’il « fait » le film. Au point de le placer, par la grâce de de, derrière la caméra :

un film de Brigitte Bardot,

même quand manifestement le derrière est devant.

Et le réalisateur ? Le grand oublié, avec avec.
brigitte-bardot2

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Voilà un réflexe vieux comme le cinoche, notamment au pluriel :

les films de Fernandel.

Et propre au 7e art. Dans tous les autres, pas d’équivoque possible :

une sculpture de Rodin,
un poème d’Apollinaire,
un disque de x ou y (on ne sait jamais lequel mettre)

sont bien le fait de l’artiste.

Au pire :

un portrait de la Joconde, par Léonard.

Dès que le sujet bouge à 24 images par seconde, celui qui le filme n’a plus qu’à s’écraser, dans un anonymat dont seules le sauvent ses cochonneries avec l’égérie.

 

Les petites ficelles n’intéressent pas le grand public. Ça tombe bien, plus l’œuvre est réussie, moins on les voit. Doit-on pour autant sacrifier l’autel sur l’auteur de l’émotion (ou l’inverse) ?

Idem pour l’art culinaire. « Un plat de nouilles », certes. Mais qui l’a cuisiné ? Elles ne sont pas arrivées al dente par hasard, ces nouilles.

 

Dans le doute, remplacez par « signé ». Attention, contrairement aux nouilles, ne le mettez pas à toutes les sauces. Ainsi est-on dorénavant sommé de s’extasier devant n’importe quel but « signé » Duschmoll.
Dans le cas de Maradona, on parlera plutôt de « la main de Dieu ».

 

Toute ressemblance entre un footeux, Brigitte Bardot et un plat de nouilles serait purement fortuite.

Merci de votre attention.

 

Jurons un peu

 

Stade ultime de la déliquescence des mœurs : on n’est plus foutu de s’insulter.
Rassurez-vous, on se déversera toujours des tombereaux de fiel à la fiole – du moins tant que la bagnole existe. N’empêche, l’invective en tant qu’art se perd.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Rien qu’à l’échelle d’une vie, que de noms d’oiseaux envolés au gré des vents sans jamais réapparaître ! Pour un connard certes libérateur, combien de roulures, de couilles molles, de triples buses, de pedzouilles et de gougnafiers magnifiques tombés dans l’oubli ?

Sans viser nécessairement la perfection littéraire d’un Mallarmé et son

aboli bibelot d’inanité sonore

ou le flot oulipien du capitaine Haddock, impossible à mettre en pratique :

haddock

… élevons-nous au-dessus de la mêlée, putain de vérole ! Crachons vraiment ce que nous avons sur le cœur ! Traduisons, comme la langue nous y autorise, les mille nuances d’une brusque vexation, d’un ressentiment passager, d’une aigreur recuite !

Mais que grossièreté ne rime pas avec vulgarité, que diable. Imaginez qu’il faille relever dans nos discours les occurrences du mot merde. L’éternité n’y suffirait pas. Même avec « va chier », on serait pas près de la retraite.

Je vous vois venir. Cette pouffiasse, ce gros plouc ne méritent pas en plus qu’on se triture le citron ! Détrompez-vous. Plus votre lexique ordurier sera étendu, plus votre vis-à-vis mesurera dans quel mépris à nul autre pareil vous le tenez.

 

Laissez-moi vous rapporter un néologisme uniquement prisé des autochtones boutonneux du bled qui me vit croître et encore, dans sa partie septentrionale et pour quelques lunes seulement. Cette répartie consistait à contrer une insulte par :

Nasta

voire

Nanasta

sans autre forme de procès.
Plus vite cette contraction de « Non c’est toi » (version éphémère de « c’est çui qui l’dit qui est ») fusait, plus le locuteur en retirait de gloire.

La même époque décidément peu inspirée connut la vogue des « Ta mère », au nombre (limité) desquels :

Ta mère en slip au Monoprix ;
Ta mère, elle suce des ours.

Ultime quoique consternant sursaut d’originalité car depuis lors, le taquet de l’injure semble se situer à sale bâtard. Difficile de tomber plus bas.

 

Seul remède : ne pas se contenter du tout-venant, racler le fond de sa pensée !
Ainsi naîtront les perles telles que « va te faire bouillir », chère au champion du monde de 98 Emmanuel Petit.
Ou ce lâcher de clebs d’anthologie :

Vulgaire ? La classe absolue, oui !

Merci de votre attention.

 

Look

Hello les amis ! Tadâm ! Pas piqué des hannetons hein, le nouveau look ! Cestuy blog fait peau neuve, sautons à pieds joints sur l’occasion pour ausculter ce look accapareur. Pas ce qui présentement illumine votre écran, celui que les pubards convoquent à tout-va.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il suffit de flâner dans les allées de la Grosse Distribution pour s’en convaincre : stylo, montre, pyjama, bouton de porte, il n’est pas jusqu’à la cuvette de chiottes qui n’échappe à la déclinaison des looks. ‘Tention, jusqu’au siècle dernier (le mésozoïque), look ne se disait que d’êtres de chair et de sang :

Une fille au look d’enfer.

Depuis que look s’est chosifié, ce n’est pas tant la belle que son saint-frusquin qui en met plein la vue. Une histoire de regard, au sujet duquel le sens anglais reste d’ailleurs ambivalent : un regardant, une regardée, look appuyé, look étudié pour. Chez nous, on ne se met plus guère du côté du premier que pour reluquer (c’est pas de l’étymo en chaîne, ça ?).

Les plus puristes d’entre vous regretteront la mise au rebut d’apparence et d’allure. Style semble suivre le même chemin, quoiqu’en prenant un détour par l’adjectif stylé, à l’origine de sentences définitives :

Trop stylé, le look.

Amis de la redondance, bonsoir.

Comme d’hab, les termes monosyllabiques des Albionnais, si pratiques à l’export, relookent la langue en moins de temps qu’il n’en faut pour happer un Shuttle. Tiens ben justement, sans verser dans la diatribe anti-mode, force est de constater que looker, relooker voire délooker fleurissent. A vous qui suivez les tendances comme votre ombre, on ne fera pas l’affront d’expliquer ce dernier néologisme : « redonner un caractère nature, faire perdre son look à quelqu’un ». Pour parvenir à une « absence de look » tout aussi travaillée, soyons pas dupes. Voilà qui rappelle le « no style » cher au grunge, cette époque lointaine où les zados du monde entier s’assuraient de bien ressembler à des clodos.

 

Mes moutons, il est temps de remettre du piment dans nos jugements de valeur. Délookons look au profit d’un lexique en voie d’extinction :

T’as vu la touche ?

ou, inopinément ouï par-dessus l’épaule de punkettes à chien noir :

Wah, regarde la ceinture !

Ouais, elle a un bon niveau.

Unforgettable.

Merci de votre attention.

 

Exsangue

 

A l’heure où l’on monte une vétille en épingle et où il est de bon ton de s’écharper pour trois fois rien, je vous propose de militer pour une cause qui en vaille la peine : la prononciation d’exsangue. L’usage, ce diktat au sourire si doux, veut que l’on glisse de la première syllabe à la suivante par un [gz], comme dans exagérer. Trouvez pas que c’est exagéré ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On a beau se gratter la tête à s’en vider de son sang, impossible de trouver une explication rationnelle au phénomène. Qu’une voyelle fasse baisser la garde au x, rien à redire. Exemple : exemple. Un orthophoniste apporterait ici sa caution médicale : c’est une histoire de mise en bouche. Même un eczéma se verra traité en douceur par un [g] (sauf [k] purulent).

Mais pour exsangue, qu’on m’explique, et qu’ça saute. Bras dessus bras dessous avec son x, ce s nuirait-il particulièrement au palais qu’on le défigure de la sorte ? A ce compte-là, faudrait aussi mettre au rencart les belles sifflantes de exsuder ou de ex-salope à la crème. Si l’intention sous-jacente était de gommer un soupçon la dureté du mot, souvenez-vous de ses synonymes : affaibli, ruiné, en un mot comme en cent, raplapla au plus haut point. Notre exsangue n’a donc rien d’un « dur », excusez-moi, en regard du poisseux exsuder ou même d’une ex-salope trop cuite.

Exigez d’exsangue l’expression exacte !
Au prochain exalté se répandant en [gz], conjurez le mauvais augure avec force [ks] retentissants.

[mɛʁsi də vɔtʁ atɑ̃sjɔ̃].

 

« A la base »

 

Si à la base cette expression était fort répandue dans la population sauvageonne, avouez qu’il ne vous semble pas saugrenu de la prononcer à votre tour, vous le fruit d’une éducation au-dessus de tout soupçon, ah la la la la. Fait notable, cet anglicisme pure juice n’a pour une fois pas perdu sa saveur dans le voyage mais dès conditionnement.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le sens de basically s’était en effet déjà délité en la perfide Albion – au grand désespoir des grammairiens du cru – pour se rapprocher de actually (notre « en fait », autre tic crochu s’il en est). Basiquement, nous autres pigeons shakespearophobes nous sommes laissés berner par ce faux ami qu’il eût mieux valu traduire par simplement ou fondamentalement. Au lieu de quoi le passage en VF a donné cet obscur « à la base », auquel on s’est empressé de donner le sens de « au départ » qu’il n’a pas au départ.

Or, arrêtez-moi si je me trompe, contrairement à départ, la base n’est pas en soi un marqueur de temps. Pensez au baseball où elle n’est qu’un repère statique. Pensez à la tarte aux myrtilles de votre grand-mère dont la base est tellement simple que c’est pas possible que la vôtre ne lui arrive jamais à la cheville.

L’usage fautif s’est donc éloigné à la fois de la notion de « plus simple appareil » (« la recette de base ») et de socle, induite par le complément du nom base, éjecté sans ménagement. A l’oral, seuls les ringards assumés s’embarrasseront encore de formules comme :

à la base du projet ;
à la base de cette réussite.

Sentez comme on n’est plus du tout dans la temporalité ?

Ouais mais ziva, sérieux, moi à la base chuis une vraie burne en anglais t’es ouf toi.

Raison de plus pour espérer quelque progrès dans un futur plus ou moins lointain. A l’arrivée, il y va de la survie de « au départ ». Et vos précepteurs n’auront pas en pure perte sué comme des bœufs pour vous inculquer les bases.

Merci de votre attention.