Que faire de ses mains ?

 

Sauf fourmis passagères ou psoriasis chronique, vos mains ne vous causent pas de souci particulier. Il n’y a qu’en société que vous ne savez plus où les mettre : dans les poches, dans le dos, le cuir chevelu, bras croisés, en tuteur de menton, retour dans le dos, poches croisées, bras chevelus…

Gêne du reste accentuée par le fait que vous parlez peu avec les mains, malgré le sang italien qui irrigue encore vos métacarpes.

 

N’essayez pas de paraître naturel : vérifier votre narine gauche ou votre manucure seraient les signes d’une décontraction de façade (surtout l’un après l’autre). Songez aussi à l’assistance, dont la compassion est déjà mise à rude épreuve par la gestuelle de delahousses, arnaudpoivredarvors et autres frédériclopez en pagaille.

delahousse

En désespoir de cause, de grâce, ne cédez pas à la facilité du coach. D’abord, pour épargner à votre entourage toute occurrence du mot « coaching ». Ensuite, parce qu’appliquer ses conseils à la lettre – poser les mains bien à plat sur la table façon homme d’Etat par exemple – vous mettrait encore plus mal à l’aise. Vous n’êtes candidat à rien, vous voudriez juste qu’on oublie vos mains.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en bipède civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Seule la présence d’autrui vous intimide. Arrangez-vous pour ne plus croiser personne en repérant les lieux idoines (grotte, cryogénie, exoplanètes).

 

♦  Restez les bras ballants. Rien de tel pour que vos apparitions en public se raréfient à vue d’œil.

 

♦  Devenez pianiste. Reste le problème du salut, que vous résoudrez en devenant également aveugle. Vous pourrez alors regagner les loges à tâtons, sous des ovations attendries.

 

♦  Devenez sourd : vos mains seront tout le temps occupées. Recommandé uniquement si vous n’êtes pas déjà aveugle ou pianiste.

 

♦  Allez-y à fond dans l’improbable : Casimir, Napoléon, Julio Iglesias, l’amplitude du costume permettra toutes les fantaisies.

 

♦  Revêtez celui de la femme afghane, tiens. Elle au moins ne se pose pas tant de questions. A défaut de voile intégral, exigez de garder sur vous, en sortant de chez le coiffeur, cette tunique sans manches qui vous va protège si bien.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

« A la clé »

 

Soupir liminaire : plus personne n’écrit clef avec un f au motif que ça fait une lettre de plus. On commence comme ça et on finit par changer la serredure en serrure, le pesne en pêne et le chambramlle… Je ne vous le fais pas dire.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Embringués sur cette pente fatale, c’est à pêne si nous sursautons quand un sombre delahousse dresse le bilan d’un attentat en ces termes :

à la clé 31 morts,

fin de citation.

C’est déjà extrêmement ballot de finir éparpillé façon puzzle sans avoir été consulté. Si « à la clé » on chahute le repos de votre âme … Car quoi ? la locution présage plutôt une issue heureuse, une récompense à venir, quoique certains dicos la tiennent pour « généralement péjorative ». On n’est pas forcé d’acquiescer.

Tout ça, c’est de la faute des musiciens qui, eux, l’emploient au sens littéral : dièses ou bémols à la clé indiquent la tonalité du morceau. Faites-le-leur cracher, tiens : la première chose qu’ils zieuteront au déchiffrage, c’est la clé (de sol, de fa ou d’utre-tombe selon l’instrument), ainsi que l’armature y afférente. 47 bémols à la clé = cauchemar assuré. Heureusement, on n’a droit qu’à 7. Idem pour les dièses, voui voui voui. Tout bêtement parce qu’après do, , mi, fa, sol, la, si, c’est le bout des terres. Et dire qu’avec cette maigre ration, d’aucuns arrivent encore à nous pondre du lancinant dont on se demande où ils vont le chercher.

Je m’égare et vous dites rien.

« A la clé », donc, exprime à sa manière l’idée d’une « carotte » ; c’est une promesse. Rapportée à la boucherie citée plus haut, avouez qu’il y a des expressions plus heureuses :

Le bilan fait état de…
On dénombre…
On recense…

pour ne citer que celles-là. « A la clé », c’est un peu comme si le présentateur revendiquait la chose en jouant à compatir. Que si ça se trouve, la voiture, c’est lui qui l’a piégée pour revenir annoncer lui-même le nombre de victimes à l’antenne. D’autant plus impardonnable que, déontologiquement (« Tu ne tueras point »), on a droit à 0 dans ces cas-là.

 

Et pour les fausses notes, l’oreille, y’a qu’ça d’vrai.

Merci de votre attention.

 

Il est 20h ?

 

Honnir les journalistes est devenu un sport national. Certains s’entraînent tous les jours. Etrangement, ceux-là sont les plus prompts à causer en –ismes, tout en reprochant aux médias leur tendance à la simplification, au manque d’objectivité, à « ne pas dire la vérité ».
Les copains, c’est touchant de scruter le fond comme vous faites. Mais c’est pas la peine. Soyez à vos postes à 20h tapantes : le journal est déjà commencé.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il est 20h, bonsoir à t…

Stooooop-top-top-top.
Premier mensonge : il est diçneuf heures cinquante-huit. L’homme-tronc nous l’assène pourtant droit dans les yeux et, jusqu’à preuve du contraire, les fuseaux horaires concordent. Trafiquer le chrono au vu et au su de millions de gens venus sur la confiance, juste pour enquiquiner la concurrence qui en est au même point, si c’est pas misérable, ça.

Depuis que les deux chaînes en haut à gauche de la télécommande pédalent dans cette surenchère de cour de récré, à raison de deux minutes par édition, calculez le temps qu’elles nous ont déjà mis dans la vue. Vous avez deux minutes.

Le pire, c’est que les intéressées y croient vraiment, à c’t’histoire ! Un docu édifiant sur les coulisses du JT, tout frais pondu par France 4, file des haut-le-cœur à ce sujet. Tel invité se décommande in extremis ? Toujours moins grave que de lancer le générique après l’Ennemi. Comme il y a des électeurs indécis, des mous de la zappette s’amuseraient donc à papillonner d’une chaîne à l’autre aux alentours de 20h pour se fixer sur le premier journal qui démarre. C’est non seulement nous prendre pour des mouches, mais également se planter dans les grandes largeurs sur nos habitudes : on ne change pas de grand-messe comme de slip.
Journaleux, faites pas les étonnés si l’on accueille vos dires avec circonspection.

 

Mollo quand même avec la relativité d’Albert. Sans quoi la trombine du prochain président s’affichera à 19h57. Remarquez, ça 1) évitera de meubler, 2) détendra tout le monde, 3) permettra de lever plus tôt un suspense depuis longtemps éventé dans les états-majors et sur les rézosocios (via la Belgique). Pis surtout 4) niqués, ceux d’en face !
Et à la St-Sylvestre, plus de décompte. A quoi bon trépigner jusqu’à minuit quand on peut se souhaiter bonne année, c’est la bonne annééééée à 23h56 ? Beuh alors, kif-kif bourricot !

 

Avant l’heure, c’est pas l’heure. Quiconque dézingue une lapalissade pareille est un fou ou un éjaculateur précoce.

Marche exactement pareil à 13h, moins avec le journal de la nuit, dont la case est plus flottante. A tel point que la grille de rentrée à venir menace de le saborder.

Bonsoir, merci de votre attention.

 

Marronnier

 

Les zinfos sont ainsi conçues qu’elles vous abreuveront de marronniers sans échappatoire jusqu’à la fin des temps. Comprenez des reportages ou articles pot de colle qui, dans le jargon, permettent de ne pas se fouler outre mesure. On ne remerciera jamais assez la gent journaleuse de nous offrir par exemple ces surprenants spectacles de canicule et de verglas. Ou ses rappels réguliers que l’hiver est la saison de la dinde alors que l’été aussi, images de Côte d’Azur à l’appui.
Sur l’échelle du scoop, le marronnier se situe donc entre le néant et la roupie de sansonnet.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’entrée de cet arbre inoffensif dans notre argot est sans doute liée à la chute de ses feuilles dans les cours de récré quand l’automne aboule. Que la rentrée scolaire constitue the marronnier n’est donc pas le fruit du hasard.

En parlant de fruit, figurez-vous que le marron n’est autre qu’un héritage du mot ligure « mar » (« caillou ») par analogie à sa forme. Ça ne vous rappelle rien, dites ? Hein ! Dès qu’on s’attaque à la racine, l’ébahissement le dispute à l’incrédulité (j’en suis perso resté comme deux ronds de flan).

Le marronnier du journaliste, lui, trouve racine dans la nécessité de rassurer ses ouailles. A période fixe, sujet fixe, histoire que le mouton y retrouve toujours ses petits. Les soldes, le prix de l’essence, le pollen, voilà qui nous concerne tous. On trouve toujours dans un marronnier le signe de notre appartenance à une même communauté, soumise au cycle des saisons et des traditions. Pas de panique, le destin de notre prochain est scellé au nôtre.
Pendant ce temps-là, évidemment, interdiction de sortir du rang et on est exempté de vaquer à du consistant (d’où venons-nous ? où allons-nous ? comment lui dire qu’on l’aime ? quand est-ce qu’on mange ?).
Et là, c’est le drame.

 

Que faire pour que ça s’arrête, nom d’un delahousse ? Plusieurs options : quitter la pièce à la moindre évocation d’un juillettiste croisant un aoûtien ; obliger les journaleux à s’écouter ronronner, y’a pas de raison ; leur expliquer comme c’est pénible d’être pris pour des gros bébés réclamant leur livre d’images avec une avidité chaque soir intacte.
Ou rester branché sur les journaux de France Culture d’où marronniers et faits divers ont été purement et simplement éradiqués – écoutez ce que ça donne, on a l’impression de manger de la mousse.

Merci de votre attention.