Double file/triple buse

 

Se garer « en double file » est une manière élégante de ne pas dire « sur la route ». « Elégante » étant une manière élégante de ne pas dire autre chose.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Concept moutonnier s’il en est (« tout le monde le fait »), la double file n’a pas toujours existé. Il y a forcément un pionnier. Qui, un beau jour, a décidé d’arrêter sa chiotte au beau milieu du trafic, sans doute à cause d’une belle prédisposition à se croire tout seul. Doublée d’un besoin de se venger des usurpateurs déjà garés, en les empêchant éventuellement de repartir.

 

Rappelons que la double file consiste à :

  1. stationner en warning à côté du trottoir, faute de place
  2. sans aucun scrupule
  3. sans voir où est le problème.

Au risque de masquer le piéton qui traverse à l’automobiliste arrivant un peu vite, voire de se faire carrément emboutir par icelui (juste retour des choses).

Laissons aux accidentologues le soin de recenser le nombre de catas ainsi provoquées.

 

Oh mais certains font tout pour passer professionnels. Les Niçois ont notamment pour habitude de glisser leur numéro de portable sur le pare-brise afin qu’on les prévienne s’ils gênent (notez le « si »).

Au risque de se faire enguirlander par la terre entière, voire de se faire déranger a posteriori.

Ceux qui concourent pour les championnats vont jusqu’à laisser leur chiotte ouverte, comptant sur autrui pour la déplacer. Ce qui oblige le brave coincé derrière à :

  1. sortir de sa propre chiotte
  2. la laisser lui-même en double file
  3. monter dans celle du fautif et lui trouver une place
  4. revenir à pied.

Sans parler du risque de se la faire chouraver, voire pousser en descente frein à main desserré (juste retour des choses).

 

Poussons le concept jusqu’au bout. Et s’il n’y a plus de place en double file ? Garez-vous en triple file.

Merci de votre attention.

 

Ambivalent ou ambigu ?

 

Les humoristes tueraient père et mère pour un bon mot. Nous autres voyons rarement l’intérêt de se fatiguer autant. Entre ambivalent et ambigu par exemple, on décide à plouf plouf.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si on se le permet, c’est que ces deux-là sont synonymes, non ? Ça nous arrangerait bien. Avec le même radical ? A d’autres. Où a-t-on vu jouer que photocopie et photographie, trisomie et trilogie ou même, tiens, équivalent et équilibré se recoupaient pile poil ?

Si nous nous sommes cassé la nénette à fabriquer deux termes différents, peut-être y avait-il matière.

 

En parlant de tuer père et mère, c’est Freud qui dès 1912 popularise ambivalent. Le pote Sigmund entend par là :

qui comporte deux composantes opposées.

Hors divan, par extension :

qui a un caractère double.

Ambi-, « tous les deux », valere, « valoir ». Soit deux valeurs égales que tout oppose, scotchées au double face.

Ambigu est plus ambigu :

dont le caractère n’est pas nettement tranché ; flou, équivoque,

à cause du latin ambiguus, « douteux, incertain ». Entre deux choses ou plus, puisque le verbe d’origine ambigere s’épluche en agere, « pousser » et ambi-, « autour ». Regardez ambition et ambiance, qui n’hésitent pas à ratisser large.

Autrement dit : ambivalent, frontière étanche, ambigu, frontière poreuse.

 

Généralement, ceux qui tchatchent à tort et à travers préfèrent le premier, pour son look scientifique. Ils peuvent ainsi donner l’impression de savoir de quoi ils causent : une « proposition » ou une « attitude ambivalente », sans jugement de valeur (pour le coup). Comme ils pensent en fait ambigu (en toute subjectivité), ils se mentent à eux-mêmes. Et l’ambiguïté finit par le disputer à l’ambivalence.

Merci de votre attention.

 

Burlesque

 

Si gigantesque est bâti sur géant, dantesque sur Dante et grotesque sur des fondations tout aussi pittoresques, pour burlesque on ne voit pas. Viendrait-ce de burlat ? Cerise sur le gâteau serait-ce.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le mot lui-même est rigolo, qui

développe des idées extravagantes à l’aide d’expressions bouffonnes, voire triviales, en vue de divertir.

Attention, marrade assurée.

 

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, on dit d’ailleurs bourlesque. Francisation éhontée de l’italien et de l’espagnol.

C’est de ce dernier que viendrait burla, reine mère de notre burlesque. Cette « farce » ou « parodie » engendre rapidos l’adjectif transalpin burlesco, notamment dans la locution « alla burlesca », « dans un style burlesque » (sans blague ?).

Mais quid de burla ?

Selon toute vraisemblance, une contraction de burrula, du bas latin burra, au figuré « niaiserie », au propre « étoffe grossière » portée comme une bure par les bourrus de tout poil. Parfois même au bureau, ce « tapis de laine » devenu par métonymie la « table » ainsi recouverte.

 

Par la barbe de Ste-Moustache ! Quel rapport entre ce qui bourre (bourrelet, bourrage, boudésespoir) et le fendage de poire inhérent au burlesque ? Le même qu’entre farce et farce.
Avant de faire rire au théâtre, celle-ci ne consistait-elle pas en un intermède liturgique, introduit comme de la farce dans un mets ? Bien sûr que si, qu’elle consistait en un intermède liturgique, introduit comme de la farce dans un mets. Ce que c’est que la langue.

 

Les Ardéchois lèvent le doigt depuis tout à l’heure. Pour mieux sentir le vent sans doute. Car burler est bien le fait de la burle qui souffle sur le Massif central mais dont on n’entend jamais parler à la météo alors que ni « mistraler » ni « tramontaner » n’existent. C’est bien la peine de souffler.

 

Par grand vent, il n’y a rien de spécialement burlesque à enfiler une petite laine, mes moutons.

Merci de votre attention.

 

Vaut-il mieux repiquer sa seconde, un solo ou les haricots ?

 

Disons-le d’emblée : il est tout à fait possible de cumuler les statuts de redoublant, de musicien et de jardinier. Avoir la main verte n’est nullement incompatible avec l’amour du 4e art et du radiateur, loin s’en faut. Vous pouvez même, si vous êtes parvenu jusqu’à cette phrase sans bâiller, ajouter à vos passions pour une scolarité en dents de scie, les chorus et la grelinette, celle du pléonasme.

Néanmoins, s’il faut absolument choisir et correspondre à l’étiquette qu’on vous aurait collée, quitte à sombrer dans la monomanie, que repiquer prioritairement ?

 

Les esprits forts iront chercher la petite bête : si vous êtes déjà bachelier ou que vous poursuivez des études dans le secondaire, même chaotiques, l’occasion de repiquer votre seconde ne se représentera sans doute jamais. De même, si vous venez de quitter les bancs de la maternelle à l’heure où vous lisez ces lignes (syllabe par syllabe), ceux du lycée font partie d’un futur trop lointain pour vous concerner. Il y a un temps pour tout, nous sommes d’accord. Mais ‘scusez, la culture du haricot vert suit elle aussi un calendrier très précis, sans quoi les avortons de la future récolte seront si flapis que vous n’aurez même pas le cœur à les étêter. Quant à ce solo que vous vous targuez de pouvoir reproduire à l’inflexion près, collez-y-vous vite avant que la finesse de votre ouïe ne s’use sous le faix des ans.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en repiqueur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Repiquer votre seconde. L’obtention à moyen terme du baccalauréat évoqué ci-dessus est à ce prix. Mais qui vous dit que vous ne laissez pas l’amour de votre vie s’envoler ce faisant (car lui a eu la moyenne, ce faisan) ? Au nom de votre descendance, ne loupez donc cette année charnière sous aucun prétexte.

johnny

♦  Repiquer note à note ce solo légendaire vous vaudra une certaine aura, parfois même au-delà des murs de votre chambre. Sauf qu’à la longue, à trop vouloir imiter vos modèles, vous passerez aux yeux de tous pour un technicien sans âme. Votre oraison funèbre, au moins, sera vite expédiée.

 

♦  Vous pouvez enfin considérer, comme le vieux Voltaire, que l’essentiel est de « cultiver son jardin ». Pensez-vous vraiment qu’il soit bien sage de vous occuper de vos rames alors qu’on n’invente plus rien en musique et que l’échec scolaire gangrène la patrie ?

 

Le repiquage a peut-être ses vertus mais le monde continue de tourner, lui.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Pote

 

On peut, paraît-il, réveiller un vrai pote à quatre heures du matin. Dans ce cas, mettez-vous à sa place, tiré(e) du sommeil du juste pour se fader vos salades en tentant d’aligner les deux-trois trucs sensés qui vous couperaient la chique au plus vite avant que sa nuit ne soit définitivement foutue. Vous aviez plus d’égards pour votre nounours, ce me semble.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Avec son o grand ouvert et sa simplicité bonhomme, on peut en tout cas rebondir sur le pote en toutes circonstances, ce compagnon de quatre cents coups, ce vieux camarade, cet autre vous-même. La notion de pote est large, qui lie parfois des membres d’une même communauté sans relation d’amitié a priori, témoin le fraternel « Touche pas à mon pote ».
Il n’est pas rare du tout de se donner du pote sans avoir aucune affinité particulière avec icelui :

Non mais tu sais pas sur qui t’es tombé, mon p’tit pote !

 

Or on l’a perdu de vue, le mot est formé par apocope sur poteau, ami fidèle s’il en est. Du pur argot, qu’on a moins fréquemment le plaisir de croiser que pote, si ce n’est chez Renaud dans sa Chanson pour Pierrot (si vous voulez pleurer un coup, c’est par là) :

Pierrot, mon gosse
Mon frangin, mon poteau
Mon copain, tu m’tiens chaud
Pierrot.

Pas plus stable en effet que l’inamovible poteau, arraché du latin postis (« jambage de porte ») et replanté en françois début XIIe, assez brave pour maintenir et supporter tant et plus… En voilà une image qu’elle est parlante !

 

J’en vois déjà qui font la moue, regrettant la disparition du pote au profit d’« amitiés » virtuelles avec de parfaits inconnus, des boulets qu’on croyait semés pour toujours, de vagues connaissances, des déjà amis dans la vie, son père, sa sœur, son chien…
Au contraire, le véritable pote, celui ou celle qui tient sur les doigts d’une main (et encore, de Mickey), en sort grandi. Les rézosocios auront eu raison de l’ami, ils ne toucheront pas à mon pote.

Merci de votre attention.