L’adjectif nous plaisait tant qu’on le promut adverbe :
grave à la bourre.
Sans le dire à gravement, qui n’aurait pas manqué de hausser les épaules.
Il est vrai que l’exercice tourne parfois au ridicule :
avoir l’air grave grave.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Faut-il que nous prenions la vie du bon côté pour évacuer l’aspect « lourd de conséquences » de grave au profit d’un sens résolument positif.
Jusqu’à l’approbation pure et simple :
– J’ai trop chaud !
– Grave.
« Moi aussi » et « tu m’étonnes » expédiés d’une syllabe. Même « c’est clair » est battu oh le pauvre.
Déboulonner une épithète qui nous faisait de l’ombre est devenu monnaie courante. Ne citons que formidable (sens perdu : « inspirant la crainte »), mortel (en anglais, même trajet adverbial que grave) :
it’s dead easy
et terrible :
tu vois cette fille ? Elle est terrible.
Or, ne l’oublions pas, c’est la gravité qui nous cloue au sol. Et la gravitation au soleil. Quant aux graves, c’est eux qui portent le plus loin, à cause du latin gravis, « bas » (avant que « sérieux » et « important » ne s’en mêlent).
Emanant de gravis comme notre chouchou, l’adjectif grief lui a d’ailleurs longtemps tenu tête. A l’heure actuelle, de « gravement » ou de « grièvement blessé », on ne sait toujours pas lequel a priorité.
Au fait, lorsqu’on a une montagne à gravir, c’est qu’on est tout en bas, non ? Manque de bol, ce coup-ci, c’est du bas francique : krawjan, « s’aider de ses [krawa] griffes ».
Et que grave-t-on dans la pierre sinon les choses graves ? Manque de bol, ce coup-ci, c’est du bas francique : graban, « creuser » (v. la « tombe » anglaise grave et le gravier sablonneux comme la grève donnant les graves du Bordelais que le monde nous envie).
Merci de votre attention.