La condition du futur

 

Depuis environ Cro-Magnon, futur et conditionnel sont des concepts bien clairs dans nos têtes. On a beau ne pas les confondre intellectuellement, dès qu’on les couche sur papier, ça redevient du pifomètre, comme si 1 et 1 faisaient alternativement 2 ou 11. C’est dire à quel point l’orthographe est en option dans ce pays de débiles.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Futur = ce qui arrivera (c’est sûr).
Conditionnel = ce qui arriverait si (c’est pas sûr).

Les trouble-fête rétorqueront que le futur ne se peut prévoir, et que rien n’est sûr ici-bas et que c’est d’ailleurs tout ce qui fait le sel de la vie. Une attaque de drones dans les glaouis suffira (sûr) à les écarter de la piste.

Comme on ne parle que de soi dans ce pays de blaireaux, l’infamie n’éclate heureusement qu’à la première personne. C’est la conjugaison qui veut ça :

j’aimerai/j’aimerais.

Rien ne les distingue à l’oreille. Mais décalez-vous d’un cran :

tu aimeras/tu aimerais

et ainsi de suite.

Ou alors, complétez par bien :

j’irai/j’irais bien.

Impossible de se planter. D’ailleurs ça ira bien. Qu’il faille en passer par ces petits trucs pour ne plus commettre ces erreurs grossières, c’est à vous dégoûter de ce pays d’incapables.

 

Ayant recouvré leur virilité sur ces entrefaites, les chipoteurs argueront que le doute est parfois légitime :

j’aurai besoin de bras/j’aurais besoin de bras.

Si la grande chaîne de l’évolution vous a hypertrophié la comprenette au point de ne plus sentir le tact du conditionnel, voire du futur ici (car le pauvre a de toute évidence besoin d’aide maintenant), remplacez par le futur proche :

je vais avoir besoin de bras.

Pendant que vous gambergez, l’armoire est déjà en bas. Pays de tire-au-flanc.

Merci de votre attention.

 

Quésaco ?

 

On peut dire que vous ne serez pas venus pour rien, aujourd’hui. Une fois pour toutes, comment ça s’écrit, ce machin-là ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Moins pédant que

quid ?,

quésaco surplombe

qu’est-ce que c’est ?,
qu’est-ce qui se passe ?

et

qu’est-ce à dire ?

d’une bonne tête, tout en tenant un peu de tout ça à la fois. Quésaco est donc une contradiction ambulante : très pratique mais nous fout dedans.

Si les conjectures vont bon train sur son orthographe, elles sont liées à son origine indéfinissable. Nous écorchons quésaco parce qu’il est trop apatride pour être honnête. Ronce en revanche est bien français, qui nous écorche unilatéralement.

 

Quésaco varie selon les époques, les dictionnairiens et, avouons-le, les humeurs : qu’es-aco, qu’es-aquo, quèsaco, qu’ès aquo, qu’es aco, ques aco, quèsaco, quès aco ou qu’ès aco. Diantre, on n’est pas sorti du sable.

Surtout qu’on peut aussi le croiser fin XVIIIe dans la garde-robe, accoutré en substantif masculin :

Bonnet à la qu’es-aco (Littré).

 

De nos jours, certains ne jurent que par kézaco, sans doute sous l’influence d’une marque d’eau minérale. C’est qu’ils oublient de boire à l’étymo, seule source qui vaille. Se privant de cette découverte éblouissante : la locution interrogative naît en Provence, avant de monter à Paris dans les années 1730.
Dépiautée : que (= que, jusque-là, ça va), es (= est) et aco (« ceci »), descendant de hoc, pronom latin qu’on retrouve intact au sein de la locution ad hoc (littéralement « pour cela »).

C’est pour ça !

Merci de votre attention.

 

Allo maman bobonne

 

Point n’est besoin d’avoir fait sociologie des grandes surfaces pour observer que, dans le doute face à sa liste de courses, seul l’homme du sexe masculin appellera bobonne à la rescousse, à la maison ou wherever she is.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dans un rayon, agrippé au caddie, l’homme blêmit. Râh putain ils l’ont pas, maugrée-t-il en son for intérieur. Que prendre à la place ?
Lorsqu’il a fini de s’interroger en son for intérieur et que le fruit de sa réflexion (qui peut aller de trois secondes à plusieurs minutes de solitude existentielle) débouche sur peanuts : portable.

Ce fait civilisationnel laisse supposer que ladite liste a été établie par bobonne. Et que bobonne est joignable, sans quoi les affres de monsieur peuvent se prolonger jusqu’après la fermeture.

Plutôt que d’essuyer un savon sitôt ses pénates regagnées parce que je te l’avais dit qu’il fallait pas prendre ça, l’homme du sexe masculin préfère, sans souci du qu’en-dira-t-on, sortir l’artillerie lourde. Déguisée en oreillette parfois.

 

Mais l’homme tient sa victoire. Une référence de la liste vient à souffrir d’imprécision ? L’occasion est trop belle de faire remarquer à bobonne sa connaissance lacunaire de l’approvisionnement de l’échoppe. Jusqu’où va se nicher le reproche.

Oh mais on est prêt à parier que certains spécimens (les moins orgueilleux) prennent une photo de ça et de ça qu’ils s’empressent d’envoyer, toujours via la magie des ondes, à la porteuse de culotte. Qui tranchera, dans un bon jour : prends les deux, on verra bien.

 

Comment faisait-on avant ? On était obligé de se faire confiance – ou de se briefer deux fois plus.
Conclusion : non seulement la joignabilité pousse à la consommation mais elle tue l’amour dans les mêmes proportions.

Merci de votre attention.

 

Ombrage

 

Comme son nom l’indique, un endroit ombragé baigne dans l’ombre. Un loustic ombrageux, lui, baigne dans la parano ; il monte sur ses grands chevaux pour un oui pour un non voire se cabre lui-même, bref, prend ombrage de tout. On ne recherche pas l’ombre auprès d’un ombrageux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ombrage au sens propre : ce qui couvre d’ombre. Voyez le topo : au figuré, l’humeur noire n’est jamais loin. Puisque tout ça naît dans l’ombre, plongeons-y toutes affaires cessantes.

Diminution plus ou moins importante de l’intensité lumineuse dans une zone soustraite au rayonnement direct par l’interposition d’une masse opaque.

Académicien : un boulot à plein temps.

Les simagrées en moinsse, ce qui est à l’ombre est « à l’abri du soleil » depuis le Xe siècle (umbre). C’est au XVIe que le genre du mot se fixe au féminin, époque vers laquelle « porter ombre » préfigure notre « porter ombrage » d’ailleurs.

 

Umbre donc, à cause d’umbra, arrivé au latin par l’indo-européen unksra. Que d’aucuns n’hésitent pas à rapprocher (mais d’ici on voit pas bien) de l’ombre des Zanglais shade, shadow (skot- à l’origine).

 

Quant à sombre, il végète littéralement dans la sous-ombre (bas latin subumbrare, « couvrir d’ombre »).

 

Notons enfin qu’au lieu du verbe ombrager, on a bien failli hériter d’ombroyer et de ses nombreuses variantes :

onbroier, ombroier, ombrier, ombriier, umbroier, umbroyer, humbroier, ombrier, hombrier, umbrier, humbrier, unbrier, ombraier, ombrayer…

Embrayons.

Dernière minute : contrairement à ce qu’on pensait, l’ombromanie n’est pas une maladie de peau ni une quelconque déviance mais l’autre nom du maniement délicat des ombres chinoises. Ombromanes, à vos postes.

Merci de votre attention.

 

Pas près/pas prêt de

 

Les vieillards cacochymes à qui il manque des dents, les muets et les zacadémiciens irréprochables jusque dans l’intimité la plus débridée, rares sont les ceusses qui ne la commettent jamais, celle-ci.

Elles ne sont pas prêtes de s’arrêter.

Malgré l’urgence.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il est des étrangetés comme ça qui disent à demi-mot notre trouille de la langue, c’est pas possible autrement. Dans le doute, par excès de zèle, nous partîmes donc tambour battant accorder « pas prêt de » suivi de l’infinitif en genre et en nombre avec le sujet.
Prêt (adjectif) traduisant à peu de choses près la même imminence que près (préposition), le tout dans une parfaite homophonie, avouez que la tentation était grande.
Succombons-y jusqu’au bout, parce que c’est pas bien bon de se retenir.

Si

elles ne sont pas prêtes de s’arrêter,

en reformulant légèrement,

elles ne sont pas prêtes de l’arrêt.

Préparez-vous à vous arrêter sur cette phrase un instant et à vous prendre la tête à deux mains (sauf lesdits gagas, les manchots et les zacadémiciens dont on veut pas savoir où ils fourrent les mains) : y’a plus qu’à demander pardon à la grammaire.

Evidemment,

elles ne sont pas près de s’arrêter

puisqu’

elles en sont loin,

de l’arrêt.

Elles vont louper leur bus

et ce sera de votre faute, entièrement.

 

« Etre prêt » (ou pas) ne peut faire ami-ami qu’avec à (ou pour). Tel le scout, on est toujours prêt en vue de quelque chose : prêt à partir, à parler, à porter… (entre nous, le trouvez-vous pas un peu mal ficelé, çiloui-là ? A quoi ressemblerait l’inverse de prêt-à-porter, je vous le demande ? Des sapes pas finies. Je suis contre).
Ou alors,

elles ne sont pas prêtes

tout court. Là oui, car ce sont des gonzesses.

 

La prochaine fois que la locution fautive vous vient, montrez que vous n’êtes pas près de vous laisser faire, comme des grands gars et des grandes filles.
Merci qui ?

Merci de votre attention.