Echafaudage

 

L’échafaudage est au bâtiment ce que le sparadrap est à la plaie : on l’enlève une fois que tout est retapé, en faisant beaucoup de bruit.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Qui dit échafaudage dit échafauder :

combiner, construire,

notamment par la pensée.

Mais qui dit échafauder dit surtout échafaud, de sinistre mémoire. Après le loup mangeur d’hommes,

tu finiras sur l’échafaud

constituait autrefois la menace ultime auprès des enfants pas sages. Rappelons que l’échafaud désigne non pas le couperet fatal mais la structure qui le supporte afin que la populace n’en perde pas une miette.

Il est clair que

tu finiras sur l’échafaudage

n’aurait pas eu la même portée dissuasive. Quoique.

 

Avant que le Meccano plus ou moins casse-gueule de tôle et de planches ne serve à ravaler une façade, l’eschafaudaige de 1517 désignait la « construction d’un échafaud », voire « cet échafaud lui-même ».
Admirez les graphies successives : eschaafauz, eschalfaut (1170), escaffaus (fin XIIIe), eschaiffaut (1319), eschafaud (1357) voire échaufaut (1550). Aussi instables que le merdier lui-même.

 

Vu l’idée de hauteur et de paliers qu’il sous-tend, échafaudage serait famille avec échelle qu’on ne tomberait pas à la renverse. Plus exactement, un savant mélange d’échelle et de l’ancien français chafaud, qu’on retrouve à peine déguisé dans le grand-breton scaffold, monté sur le latin des rues catafalicum dont la branche dissidente est le catafalque. On y reconnaît fala, « tour de défense en bois », précédé du grec cata- qui parle de lui-même. Ainsi, si catasta est l’« estrade où l’on expose les esclaves », elle permet au sens propre de regarder « vers le bas ». Sur le même modèle, catastrophe = « renversement », cataplasme, « forme retournée », catatonie… mais on ne va pas vous faire tout le catalogue.

Merci de votre attention.

 

Echantillon

 

La dernière fois qu’on vous a parlé d’échantillon, c’était chez Sephora. Ou pour un sondage, auquel cas on s’est empressé d’ajouter « représentatif ». La vache, qu’est-ce qu’il cocotte, ce pléonasme.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car si un échantillon ne « représente » rien, c’est qu’il va bientôt mourir, faute de chlorophylle.

Les dicos se tuent à le dire :

fraction représentative d’un objet, d’un ensemble ;
petite quantité d’un produit permettant d’en apprécier la valeur.

 

Le côté attendrissant du suffixe (gravier → gravillon, oiseau → oisillon et quelques autres qui ne se bousculent pas au portillon) ne doit pas nous détourner de la fonction première de l’échantillon, qui est de servir d’« étalon » (1260).

En ces temps reculés, on écrit alors eschantillon. Moins pour le plaisir qu’à cause – il faut bien le dire – du latin scandiculum, déformation de scandaculum, « échelle »
(anciennement eschale, décalque de l’(e)scala latine).
Les paronymes n’ont plus qu’à pousser comme des champignons : eschandillon, esscandelon, escandalhon. On recense aussi contrôle technique et néoglucogenèse mais il se peut qu’on se soit trompé de page. Voire de rayonnage.

 

Scala, elle, descend du verbe scandere, « monter, gravir » (autant dire escalader). Si les montagnes russes de la scansion du poète requièrent un examen aussi minutieux qu’un scanner, le hasard n’y est pas pour grand-chose. A l’origine de ces joyeusetés, l’indo-européen skand-, « sauter, monter », qui permet de retomber à pieds joints sur le parfum de scandale du début (grec skandalon, « piège monté pour qu’on y trébuche »).

 

Remarquez que l’échantillon est toujours gratuit. C’est pourquoi il encombre le tiroir : on rechigne à le foutre à la poubelle, ce serait scandaleux.

Merci de votre attention.

 

« Arriver (à) »

 

Dans le droit fil d’« habiter (à) », voilà un dilemme sur lequel nous butons comme des mutons. Disons-le tout net : quand arrive arrive, on n’arrive jamais (à) décider du sort de la préposition.

Mais revenons à nous, moutons.

Ce à, le locuteur exigeant qui sommeille en vous vous hurle pourtant de ne surtout pas l’oublier. En ajoutant « khônnard » afin de ne laisser aucune place à l’indulgence.
Car, bien souvent, votre envie de vous mesurer à vous-même et aux autres est sanctionnée par ce constat :

j’y arrive pas.

Y sous-entend l’action au point qu’on en vient inconsciemment à virer à.

T’arrives monter ou je te fais la courte ?

Notez que courte sous-entend échelle au point qu’on en vient à la virer sans ménagement, elle aussi. Résultat : trois côtes cassées.

 

Mine de rien, arriver s’octroie donc les mêmes pouvoirs que pouvoir, derrière lequel en effet l’infinitif suffit :

je peux/j’arrive le faire.

Vilain, certes, à lire comme ça, mais la locution tronquée est si tentante qu’elle prend parfois ses aises :

Il n’arrive plus s’en passer.

Avouez que glisser un à là-dedans flirte avec l’incongru ! Mais remplacez par parvenir.
Pour les battements de coulpe, c’est par ici.

 

A la décharge d’arriver, on le laisse souvent se balader tout seul, çiloui-là. Par exemple, à l’appel de votre nom, votre premier réflexe n’est-il pas de répondre :

J’arrive !

Eculé stratagème qui vous donne du répit pour finir vos trucs en cours mais qui a le don d’énerver la cantonade, laquelle aimerait bien passer à table, si c’était possible.

Et, au terme d’un long trajet émaillé de

C’est quand qu’on arrive ?,

lorsqu’enfin

on est arrivé,

c’est à destination.
En tendant l’oreille, les malades en voiture auront même la chance d’entendre les grumeaux du vomi déclarer : « nous v’là rendus ».

Merci de votre attention.