Traits pour traits

 

La chose est tenue secrète par les historiens de l’art et autres exégètes. Ou alors ils ne l’ont pas vue, trop occupés par des broutilles. Mettons-leur donc le nez dans la fiente : neuf fois sur dix, la binette de l’artiste ressemble comme deux gouttes d’eau à celles qu’il dessine ou vice versa. A coup sûr ou presque, on retrouve dans sa patte les physionomies qui lui sont chères : la sienne, celle de ses proches ou les biftecks sur pattes des hommes préhistoriques.

 

Un petit dessin valant mieux qu’un long discours, petite galerie de portraits croisés.

 

Léonard de Vinci

Pour un œil profane, tous les visages se ressemblent chez les peintres classiques. Vu les canons de l’époque, difficile de repérer dans les traits du maître une constante qui caractériserait ses sujets, notamment son pif aquilin. C’est mal connaître le gredin, qui fait de son jeune amant Salaï un Saint Jean-Baptiste enjôleur. Au point qu’on peut lui superposer la Joconde (les jours de pluie).

 

Magritte

Là, c’est de la triche, dites-vous. Quoiqu’hyperréaliste dans le surréalisme, le René s’arrange toujours pour représenter ses personnages de dos ou face cachée (un événement dans son enfance, renseignez-vous, ça vaut le coup). D’où sort cette silhouette alors ? De pas bien loin, à l’évidence.

 

Gauguin

Pour les Tahitiennes de Gauguin, c’est encore plus franc. Forme du nez, des yeux, du visage, tout y est, s’pas ?

 

Picasso

Photographié à l’époque des Demoiselles d’Avignon. Surtout celle du milieu.

 

 

Modigliani

Et dire que certains ont besoin de la psychanalyse pour expliquer l’influence des figures féminines.

 

Chez les sculpteurs, même topo.

Giacometti

Visage(s) en lame de couteau, silhouette(s) efflanquée(s)…

 

Bartholdi/la statue de la Liberté

Pour sa statue, initialement destinée au phare du canal de Suez, Fred-Auguste se serait inspiré d’une paysanne égyptienne. Mais comparez la mine sévère du produit fini à madame Bartholdi mère.

 

Quant aux dessinateurs de petits mickeys, c’est un festival. A commencer par le premier d’entre eux :

 

Disney

Ces sourcils haut perchés, ces yeux en amande, ce sourire un peu niais n’évoquent-ils pas Pluto ?

 

Hergé

A gauche, le père d’Hergé. A droite, le fils.

 

Sfar

Le chat du rabbin ou de l’auteur ?

 

Uderzo

Et ce grand costaud aux petits yeux vifs ? Il y a du Gaulois là-dedans, par Toutatis.

 

Fred

Hum, Monsieur Barthélémy a de qui tenir, ah la la la la la la la la la la la la la la…

 

Plantu, Riss

Point n’est besoin de vous faire un dessin.

 

On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Au risque d’oublier Boileau-Despréaux :

Souvent, sans y penser, un écrivain qui s’aime
Forme tous ses héros semblables à soi-même.

S’applique aussi au coup de crayon, de pinceau ou de burin, évidemment.

 

Pas étonnant qu’Hitler ait raté sa vocation, lui qui n’a jamais dessiné que des paysages et des bâtiments.
Une certaine tendance à la misanthropie qui l’a beaucoup desservi.

 

Que faire dans une enchère entre deux têtes de mule ?

 

Au cours d’une enchère normale, les personnes intéressées se signalent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que deux (les plus teigneuses). Puis une (ne sachant plus quoi faire de son pognon, ou celle qui en a le plus dans le slibard ; ou les deux).

Sauf que ce coup-ci, l’affaire est particulièrement accrochée. Le reste de la salle a beau avoir déserté depuis un bon bout de temps, le tandem final fait durer le plaisir. Aucun ne veut céder. De quoi vous pourrir la vente.

 

Car, contrairement aux enchères type eBay limitées dans le temps, rien n’empêche ici de surenchérir jusqu’à ce que mort s’ensuive. Légalement, tant que dure ce petit jeu, vous ne pouvez même pas brandir votre marteau en criant « adjugé » (ce qui, il faut bien le dire, fait le sel de ce métier).

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en commissaire-priseur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Commencez par aménager les lieux de telle sorte que chacun des deux zozos puisse hurler son prix des WC ou des douches en étant entendu. De la même façon, équipez-vous en bavoirs pour les pauses repas et en calepins où vous noterez soigneusement pour le lendemain la dernière enchère avant d’aller au dodo.

 

♦  Vu la croûte qu’ils se disputent, donnez aux deux opiniâtres un petit cours d’histoire de l’art en accéléré, ça leur fera les pieds.

 

♦  Impossible de les départager ? Coupez la poire en deux : la garde alternée de la croûte pour eux-mêmes et leurs descendants.

 

♦  Lorsque la fin est proche, rappelez quand même aux deux autres vieillards qu’avec leurs khônneries, ni l’un ni l’autre ne profitera de son bien.

marteau

♦  Sinon, il vous reste toujours le marteau.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.