Priorité à droite toute

 

Tout frais du jour : interrogé sur la « préférence nationale » prônée par son groupuscule, un FNeux s’est empressé de répondre en termes de « priorité nationale ». L’acharnement avec lequel il tentait de caser ce nouveau zélément de langage pour faire oublier l’autre n’était rien à côté de celui qu’on mettra à le pulvériser.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Toujours aussi puant, le concept est néanmoins mieux emballé. Dès qu’on ouvrira le paquet en revanche, l’odeur risque de prendre un peu à la gorge. Mieux vaut ne pas revenir là-dessus.

 

Les aminches, il va falloir vous y faire, priorité a désormais priorité sur préférence. On voit un peu pourquoi.

La priorité à droite, ça ne se discute pas, c’est le code de la route. A mille lieues de la subjectivité suintant par tous les pores de préférer.

Avec ce dernier, vous passez ouvertement pour des racistes. De surcroît, une loi estampillée « préférence nationale » serait recta retoquée par le conseil constitutionnel, garant de l’égalité et de la fraternité républicaines. Ce que la chefaillonne du groupuscule, juriste à ses heures perdues, ne sait que trop.

Préférer marginalise. La priorité, au contraire, vous met du côté du droit. Sans elle, ce serait l’anarchie. Elle relève du « bon sens », cher au groupuscule (comme à tous les autres) parce qu’il s’oppose à toute idéologie. Ce qui n’empêchera pas l’affaire de sombrer dans l’anticonstitutionnalité la plus totale.

 

Mais faites gaffe : à force de vouloir gommer tous les mots qui encombrent – jusqu’au nom du groupuscule, devenu simple couleur, il ne va plus rester que du vent. Moins détectable que le zyklon B mais tout aussi volatil.

Merci de votre attention.

 

Plans Marshall

 

Les médias frétillent comme un seul homme à l’annonce d’un plan Marshall, notamment pour les banlieues. Bref rappel historique : George Marshall, 1880-1959, général des Stazunis dont le fameux plan permit de reconstruire l’Europe il y a une guerre de ça. Pas étonnant qu’on ne voie jamais la couleur d’aucune réplique. Notamment pour les banlieues.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Chaque fois qu’un décideur sort un plan Marshall de son galure, pouvez être sûrs qu’il ne pèse pas ses mots : c’est du figuré. Sous-entendu : aux grands maux les grands remèdes, z’allez voir ce que vous allez voir.

Sinon foutage de gueule, l’expression est du moins à prendre avec des pincettes. Comme il s’en lance à peu près un par semaine, de plan Marshall (notamment pour les banlieues), on finit par douter, c’est humain.

 

Pour éviter qu’on ne gamberge trop, il arrive qu’on nous mette du Grenelle en attendant :

il faut un Grenelle des banlieues.

Voilà qui ne mange pas de pain et qui permet de dormir sur ses deux oreilles.
L’inconvénient, c’est que c’est moins martial que Marshall – sans mauvais jeu de mots. Parce que si le nom n’en impose pas un minimum, comment pourrait-il être suivi d’effets ? Imaginez que le grand sauveur se soit appelé Engelbert Humperdinck. Ou Michel Tupperware. Ou même George Bay. Il n’aurait sans doute pas laissé la même trace dans l’Histoire.

plan-marshallToute péroraison à base de plan Marshall est donc vivement déconseillée. Y compris si vous vous appelez Marshall ; de quoi auriez-vous l’air, autoproclamé avant même d’avoir débloqué le premier kopeck ?

 

Laissons Marshall où il est : avec les asticots à Washington. Que celui qui se retrousse les manches propose un plan tout court.
Ce que la testostérone y perdra, la modestie y gagnera.

Merci de votre attention.

 

« Décomplexée »

 

e car cette épithète à la khôn ne fleurit guère qu’à la boutonnière des députés de droite, s’est-on laissé dire. L’affaire devient complexe : et la gauche ? Et le centre ? Il faut croire qu’on y est perclus de complexes.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

« Droite décomplexée » : d’une tête journaleuse ou des couloirs de l’assemblée, on n’ira pas se prononcer sur la paternité de ce zélément de langage. Même si vu l’empressement des uns à reprendre les mots des autres à leur compte, on a bien une petite idée hein voui voui.

 

La formule est donc censée mettre à leur avantage les tenants d’une droite « dure ». Mais s’agit-il bien de ladite ?

Littéralement, « décomplexée » s’entend au sens de « désinhibée », « qui se lâche », « qui assume » l’idée que pour être il faut avoir et autres malformations congénitales.
(Au passage, les plus acharnés à se défendre de « tout dogmatisme » sont ceux-là mêmes qui baignent dans le dogme jusqu’au cou quitte à en devenir tout fripés.)
La jouer « décomplexé » équivaudrait donc à faire voler en éclats tous les « tabous » (comprenez les acquis sociaux).
Or, pas une feuille de papier à cigarette entre la ligne « décomplexée » et la « modérée », seulement une divergence de stratégie.

 

M’sieu-dames, ne nous voilons pas la face (même en cas d’acné purulent) : nous tous, à des degrés divers, souffrons de complexes – et les traînons bien souvent jusque dans la tombe. C’est très khôn, je vous l’accorde, puisqu’ils ne regardent que nous. M’enfin bref : il n’y a pas de honte à être complexé, ou alors c’est surajouter de la honte à de la honte et on n’est pas près d’aller mieux dites donc.

 

‘Tention toutefois à ne point tomber dans l’extrême inverse (et Dieu sait que de la droite « décomplexée » à l’extrême, il n’y a pas loin) : n’allez pas appeler « fierté » ce qui ne serait qu’absence de complexes ou complexes planqués sous le tapis. Mais baste, on en a déjà causé.

Merci de votre attention.

 

Inemploi

 

Indignons-nous aujourd’hui d’un mot qui n’aura cours que demain : inemploi. Comme vous l’aurez découvert ici même avant qu’on ne le mette à toutes les sauces en parlant du chômage, vous pourrez frimer en société tout votre soûl.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On s’étonne que ce petit néologisme se terre encore dans les limbes du politiquement khôrrect et des zéléments de langage, plutôt généreux d’habitude en synonymes à la mords-moi-le-nœud. D’autant plus qu’on lui a préparé le terrain, à l’hideux : employabilité existe d’ores et déjà, son contraire itou. On distingue les actifs des inactifs depuis belle lurette. Quant à nos frères britanniques, ils ne nous ont guère attendu pour déplorer un unemployment endémique.

Il est vrai que de ce côté-ci de la Manche, on est trop occupé à « inverser la courbe du chômage », ce qui nous vaut cette mémorable chronique de l’implacable Etienne Klein (à écouter de toute urgence ou il vous en cuira).

 

La recette est pourtant la même que pour « croissance négative » ou « la baisse de la hausse » dont il semble qu’il faille se réjouir. Dans inemploi, l’important est qu’on entende emploi, comme dans malentendant (bien que les malentendants préfèrent sans doute sourd – mais ils n’y entendent rien).

Allez bricoler un diminutif plaisant là-dessus !

Celui qui se tourne les pouces (un fonctionnaire au hasard) pourra toujours avouer :

Je suis au chômdu

alors qu’il ne geindra jamais :

Je suis en inemp.

C’est bien la preuve que l’inemploi ne touche que les salariés du privé assistés bons français chômeurs et que la solution consiste à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux leur couper les allocs jeter les étrangers à la mer inemployer le mot. De toute urgence.

Merci de votre attention.

 

Feuille de route

 

Jadis, confronté à un blème quelconque, l’homme au pouvoir proposait un plan*, auquel on pouvait trouver à redire mais qui avait le mérite de la franchise. Le même, de nos jours, se tient à une feuille de route dont le simple brandissement le dispense – ben voyons, mon cochon – de la détailler.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A bien y regarder, « feuille de route » n’est que la version chic d’itinéraire. Elle indique que pour aller là, on doit passer par là, là et là en faisant attention aux radars, zones dangereuses et éboulis éventuels. Sauf qu’itinéraire, c’est bon pour les petits joueurs, les suiveurs, les passifs, les inquiets du volant. Alors que feuille de route, hein, grande classe, tifs au vent, coude, que dis-je, avant-bras par la portière, impression de savoir où l’on va et comment on y va. Quitte à en changer en cas d’imprévu, tout comme les gépéhès nous reprennent en main où qu’on se paume.
La voilà donc devenue un classique des zéléments de langage, grâce aux staffs des politiques qui y consacrent leurs jours.
La feuille de route correspond d’ailleurs au fait de « s’être fixé un cap », « une ligne ».

Un Premier Ministre français, passablement agacé de devoir apaiser les tensions au sein de son gouvernement, déclarait à l’instant même :

Moi j’ai une ligne, hein, vous pouvez compter sur moi, je veux être en permanence celui qui ramènera à l’essentiel, à la ligne qui est celle que le Président de la République a fixée et qui est ma feuille de route, moi j’en ai pas d’autre.

On se prosterne de gratitude. Et d’admiration : peu d’orateurs seraient cap d’enfiler mot pour mot une telle tirade.

Enfin, quel soulagement d’apprendre, au sortir d’âpres négociations, qu’elles ont débouché sur une feuille de route ! Notez qu’on en voit rarement la couleur. C’est le côté pratique de la feuille de route, dont le mystère impressionne toujours.
Et puis une feuille, c’est du concret, ça se consulte à tout moment.
Pas sûr que le pilote nous la laisse trifouiller sur ses genoux, par contre.

Merci de votre attention.

 

* Pendant des lustres se sont même succédé les « commissaires au plan ». Signe des temps, l’organisme au sein duquel ils officiaient vient d’être remplacé par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Selon nos dernières informations, un Commissariat général à la feuille de route et au petit bonheur la chance (CGFDRPBLC) serait à l’étude.

 

« Multibraqué »

(Un bug inhabituel nous oblige à aligner le texte qui suit à l’extrême droite. D’avance pardon.)

Interrogé sur une histoire de joaillier proposant du calibre à ses agresseurs, le porte-parole d’une faction bleu marine avoue ne pas savoir comment il aurait réagi dans la même situation, rappelant que l’intéressé avait été « multibraqué ». A cette excuse servie sur un plateau, notre sang ne fait qu’un tour, comme celui de l’auteur des pruneaux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Que le néologisme émane d’un membre de ce groupuscule familial du siècle dernier ne surprendra personne. Z’inventent des chiffres, ils peuvent bien inventer des mots.
Qu’il en dise long sur la pompe de celui qui le prononce, ça n’est pas le plus navrant. Une paire de multibaffes dans sa gueule suffirait à régler le problème.
Non, ce qui dans « multibraqué » met les poils au garde-à-vous, c’est sa saveur procédurière, ce goût chimique de statistique ne souffrant aucune discussion. Le « multibraqué » est aux « braqués » simples ce que le handicapé au macaron est aux automobilistes qui tournent comme des khôns.
C’est bien simple, on le jalouserait presque.
L’empathie qu’on pourrait éprouver pour le gars est symétriquement égale à notre aversion pour le multirécidiviste cher au jargon des Sceaux. Le sociopathe incurable et le poissard congénital, chacun à sa manière, attirent les zemmerdes.

Il en va de même d’ailleurs avec n’importe quel objet multifonctions, dont l’aura magique s’évanouit aussitôt les fonctions examinées dans le détail.

Mettons que votre appartement soit visité deux fois ou plus pendant votre absence. Déjà, estimez-vous heureux qu’on vous ait débarrassé de ces appareils merdiques une fois pour toutes. Mais surtout, faites jouer le « multicambriolage » auprès des assureurs. Que l’on soit pendu par les gonades s’ils ne vous ramènent pas aussitôt les voleurs menottes aux poignets.

Une équipe de Roms, probablement.

Merci de votre attention.