L’avoir en visuel

 

Un flic en planque ou un militaire épiant sa cible informera le collègue en ces termes :

je l’ai en visuel.

Arrêtons-nous un instant sur cette phrase.
Vous l’avez en visuel ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si c’est une question d’adrénaline, que les zigotos ci-dessus se détrompent : il n’y a pas moins de suspense dans

je le vois

ou

je l’ai dans mon champ de vision

si on n’aime pas « ligne de mire ».

 

Dans la même logique, pourquoi pas

je l’ai en auditif

au lieu de

j’entends quelque chose

ou

je l’ai en olfactif

à l’approche du baeckeoffe ?

 

Passé le moment de poilade, la compassion reprend le dessus. Dans les corps de métier où l’on s’ennuie ferme, inventer ce genre d’expressions est un passe-temps comme un autre.

Au deuxième degré, certaines ont carrément les honneurs du langage courant :

affirmatif/négatif ;
reçu 5 sur 5.

Quant à l’inénarrable

arriver sur zone,

il est en partie responsable de la surenchère de sur qu’on connaît.

 

Pour se distinguer des autres moutons, pas trente-six solutions : se mettre en scène. L’uniforme et le jargon sont là pour ça.

Merci de votre attention.

 

Enquiquiner

 

Loin de la contrariété recuite d’un emmerder, enquiquiner traduit un agacement soudain. Tous en chœur :

tu m’enquiquines ;
nous nous sommes enquiquinés ferme ;
aurait-il fallu que je l’enquiquinasse ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Tout le charme d’enquiquiner réside bien sûr dans cette syllabe redoublée. Qui au passage fait écho à escagasser, issu de cagar sentant bon le thym et la farigoulette (« aller à la selle »), dérivant lui-même du latin cacare que tout le monde a déjà pratiqué :

tu m’escagasses ;
nous nous sommes fait caguer ferme ;
aurait-il fallu que je lui fasse caca ?

 

Le radical quiqui- semble échappé de l’onomatopée kik-, ce dont témoigne la vieille variante « enkikiner ». Celle-ci serre de près le kiki d’origine, alias le « cou ». Sachant qu’on peut aussi écrire « serrer le quiqui », l’hypothèse est plus que plausible.

 

Mais le rapport entre « cou » et enquiquiner fait difficulté du point de vue sémantique, comme disent les grands enquiquineurs. A quoi on rétorquera que ni escagasser ni emmerder ne consistent à couvrir son prochain de merde, même au figuré.

Par ailleurs, kiki est si plaisant qu’on peut lui prêter d’autres significations. Dans

c’est parti mon kiki,

que veut-il dire au juste ? Personne ne le sait, à commencer par le kiki susnommé.

 

Lequel, au XIXe, désigne un « abattis de têtes de chats, os de lapins, cous d’oies, etc. », un « petit animal » ou une « volaille ». Et plus particulièrement un « coq », dont le cri peut s’entendre « quiquiriqui », « kirlikiki » ou « cacaraca » pour les plus déplumés. Pile poil comme dans l’expression provençale « coupa lou cacaraca », autrement dit « couper le sifflet » et donc le « gosier », y’a pas trente-six solutions.

La plupart des coqs sont beaucoup moins enquiquinants par la suite.

Merci de votre attention.