Emplettes

 

« Faire ses courses » se fait par définition au pas de course. « Faire du shopping » consiste à écumer les échoppes. Quant à « faire des emplettes », on y emplit son cabas. Il doit s’agir d’un hasard total.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Et ne nous laissons pas distraire par Verlaine, qui utilise empletter pour aller plus vite. Historiquement, l’emplette naît emploite, « usage, application, résultat ou bénéfice possible » à l’orée du XIIIe siècle. Il faut encore poireauter deux cents ans pour qu’elle prenne le sens d’« achat », qui lui va comme un gant.

 

Y’en a qui se moquent.

« Faire des emploites » ? Plutôt mourir ; heureusement qu’on n’y vit plus, au XIIIe siècle. C’est oublier un peu fissa qu’emploi s’emploie toujours, lui.

Visez un peu par là.

 

Emploite est, après mûrissement, le fruit du bas latin implicta, de même sens. Neutre pluriel formé sur le participe passé implicatus (ou implicitus, c’était implicite) du verbe implicare, qu’on ne présente plus.

 

Quant à emplir, il s’occupe de « rendre plein » depuis le latin des rues implire, inspiré d’implere. Y vous plairait sûrement de savoir que plenus a ensemencé le tout, et qu’il s’est aussi planqué dans replet, complet et suppléer (« remplacer, combler »). Sans oublier – accrochez-vous au siège – la politique, cet art de gouverner la « cité » polis et la plèbe qui s’y masse, toujours avide de se faire manipuler (« prendre à pleines mains »).

Inutile de dire que l’indo-européen pel- (« verser, emplir ») donne encore pléthore de dérivés, dont poly-, pluriel, full (GB), voll (D) et plus si affinités.

 

Emploi et emplir, bien qu’issus de deux familles différentes, vivent au moins leur amour dans « le plein emploi », qui permet toutes les emplettes qu’on veut.

Merci de votre attention.

 

Employer

 

Employer employer, utiliser utiliser, se servir de se servir, la langue permet d’absolument tout dire, même dire. A telle enseigne qu’on peut aussi bien employer se servir, utiliser dire, dire utiliser ou se servir d’employer. Ce que c’est que les vertus de l’amour libre.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme d’hab, c’est en zieutant à la racine qu’on a des chances de voir se déployer une étymo pas piquée des hannetons. Parce qu’à tous les coups, employer et déployer sont au départ les deux faces d’une même monnaie. Même si la phase du déverbal a un peu merdouillé pour emploi, sans commune mesure avec la majesté de son compère déploiement, vous en conviendrez.

 

Or, pour un piaf, déployer ses ailes revient à les déplier, techniquement. Ployer, en effet, n’est que la version chic de plier, né pleier, ploier en ancien français.

Son aïeul latin plicare (issu de l’indo-européen plek-, « entortiller, emmêler, tresser ») est d’ailleurs l’aîné d’implicare, littéralement « plier dans ». Ce qui implique qu’impliquer soit le frère caché d’employer ! Et qu’en bons élèves appliqués, les guitaristes emploient un médiator ou plectre histoire de ne pas se bousiller le plexus. Tout se tient.

Sans oublier expliquer, compliquer (« plier en enroulant »), répliquer (« replier, déplier [un manuscrit] »), ainsi que les plus planqués complice (« joint, uni ») et exploiter (anciennement espleitier, esploitier, fruits du latin explicitare, lui-même dérivé d’explicare [on y revient] : « déplier, dénouer »).

 

Si bien qu’exploiter ses employés, c’est s’exposer à ce qu’ils vous pètent entre les doigts, à force de se déplier/replier sans arrêt.

Merci de votre attention.