Bactériologie

 

Le smartphone et nous, suite : quel Léonard aurait pu imaginer qu’en faisant ça avec le doigt (ou même ça), l’écran réagirait comme un fidèle toutou ? Même les plus blasés restent éberlués en secret de pouvoir à ce point commander la machine. Avec pour corollaire un état dégueulasse après utilisation.
Qu’un tel miracle côtoie l’innommable, ça ne vous débecquette pas un chouïa ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Nous l’avons tous dûment constaté, le revêtement des écrans tactiles est conçu pour n’y glisser/zoomer qu’une seule fois tout schuss. En effet, dès que vous reposez le machin à la lumière, vos empreintes apparaissent par couches superposées à faire pâlir d’envie la scientifique. Songez qu’en sus d’y mettre les paluches à longueur de journée, vous vous le collez à l’oreille. Les bactéries se mitonnent des noubas d’enfer.

 

Evidemment, la manipulation directe de jambon ou de confiture est à éviter. L’hygiène la plus élémentaire nous contraint cependant à faire place nette quasiment à chaque empoignade, grâce à des mousses de nettoyage qui valent aux fabricants des gonades plaquées or.
A croire que ceux-là sont de mèche avec les magnats de la téléphonie.

Car comment une technologie aussi avancée peut-elle encore buter sur ce hic ?

Dans votre habitacle au moins, un coup de lave-glace et ça rebrille !
(Encore que, n’exagérons rien, il reste toujours un triangle tout en bas, exclu de la course des essuie-glace ; inamovibles Bermudes dont aucun compas industriel n’est encore venu à bout.)

 

Sans doute pourra-t-on sous peu balayer l’écran et notre petit caca papillaire du même revers de main. Mais en attendant ? Gants ? Patins digitaux ? Une charlotte pour les écoutilles ?

Constructeurs, ça urge. On dit ça, c’est pour vous ; au train où vont les choses, estimez-vous heureux qu’aucun ressortissant zaméricain ne vous ait assignés en justice pour avoir contracté le coryza de son voisin.

Merci de votre attention.

 

Caractère

 

Un caractériel se caractérise par le fait qu’il s’exprime en gros caractères : voilà une entrée en matière qui ne manque pas de caractère, avouez.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A priori comme ça, tout repose sur l’idée d’une chose prégnante, remarquable, laissant à la foule ébahie une impression qui aide à la définir, précisément.

Le mot apparaît dès 1274 sous la forme « karactere ». Un siècle passe et c’est une « caratere » que l’on découvre en guise d’« empreinte » (on aurait voulu entretenir la confusion avec cratère qu’on ne s’y serait pas pris autrement).
Quant au « signe d’écriture », il débaroule en 1550 sous les traits de « carathere ». La graphie moderne n’a plus qu’à s’imposer à la fin du XVIe siècle.

 

Fallait s’en douter, character était déjà une « manière d’être » chez les Romains. A telle enseigne qu’en anglais, un character n’est autre que notre « personnage » de fiction.
Maaaais on ne vous la fait pas, c’est là le sens figuré.
La « marque au fer rouge » sur un animal, voilà le caractère du tout début.
Le latin l’avait chouravé en douce au grec kharakter (« marque gravée »), de kharassein (« graver »), d’après kharax (« pieu »). Soyons pointus. Merci qui ? L’indo-européen ghers-, « gratter, rayer ».

 

On vous voit saisi d’un gros chagrin à l’idée que caractère soit le seul de sa catégorie, qu’il n’ait ni frères et sœurs, ni cousins-cousines et autres chouineries du même seau.
Et le grand « échalas » ? Certes altéré d’échelle mais surtout de l’ancien français escharat… Ça ne vous rappelle pas un petit pieu quelque chose ?
Allez, c’est fini…

Merci de votre attention.

 

« En filigramme »

 

Certains concepts un brin périlleux n’apparaissent à notre esprit plein comme un œuf qu’en filigrane. Aussi écorche-t-on le mot qui les porte. On évitera donc d’affirmer qu’« en filigramme » sort de la bouche des cuistres, appellation obscure et pédante comme ceux qu’elle désigne. Les auteurs de ce barbarisme (cette barbarie ?) seront plutôt, à proprement parler, des khôuillons.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car il faut bien reconnaître que dire « filigramme » pour filigrane à cause de milligramme, c’est un peu khôuillon. Même si, on le concède volontiers, tout ce petit monde est atteint de paronymie – autre terme à prendre avec des pincettes si on n’est pas sûr – et que cela constitue une circonstance atténuante, comme l’idée de ténuité commune.

Comment ? Exténués ? Voici pourtant une autre excuse pour les tenants de « filigramme » : l’hésitation remonte à loin.

1664 très exactement : en Orfèvrerie du Sud, on utilise alors la technique du « filigramme » pour dorer une belle pierre qui mousse. Dès 1665, filigrane lui fait concurrence. En 1818, « filigramme » joue toujours des coudes dans le sens qu’on lui connaît : « marque que l’on voit par transparence dans une feuille de papier ». Il faut attendre 1835 pour que filigrane triomphe dans le dico académique grâce à ses racines zitaliennes : filigrana, littéralement « fils et graines » dessinant la fameuse empreinte dans le papier.

On peut être d’autant plus attiré par « filigramme » que, pour ne rien arranger, le papier, ce saligaud, possède un grammage, mot des papetiers pour dire poids (60 g/m², 90 g/m²…).
D’où ces vers immortels du poète :

Sans mentir, si votre grammage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »

Vous aurez lu entre les lignes : toujours replacer le frometon dans son papier.

Comme quoi, devant le vocabulaire, on a souvent les yeux plus gros que le ventre.

Merci de votre attention.