Tranquille

 

Du poète intranquille au zupien tranquchille t’chois, il plaît à toutes les générations t’chois, traverse les époques tranquillou, sûr de son charme. N’est-il pas trop cool ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Tranquille fait des envieux chez les épithètes. Paisible et calme ne lui arrivent pas à la cheville prononcée [ij] cette fois comme dans filleu, billeu et quilleu et quelle mouche vous pique d’appuyer sur le –e comme ça ? Du reste, voyez comme la quille est fourbe, qui associée à tran- change complètement son fusil d’épaule.
Enquillons.

 

Les linguistes, prononcés [gwist] comme dans linguine car il se fait faim, nous apprennent que la graphie ill de valeur [il] provient du latin ill devant voyelle autre que i, e :

Cette prononciation ne se maintient que dans trois ou quatre mots extrêmement usités ou, au contraire, dans un certain nombre de mots plus ou moins savants.

Pusillanime, pour ne pas le nommer (sinon il court se planquer).

 

Fort de cette particularité, tranquille nous fait du gringue depuis 1470 sous sa forme définitive, contrairement à l’écrasante majorité des collègues. Pas de e à la place du a, de y à la place du i et autres l uniques. Un diamant brut.

« Calme et serein » depuis l’origine latine, tranquillus a d’abord qualifié l’état de la mer avant de gagner la côte. Nos bulletins de météo marine à nous n’emploient jamais l’adjectif, trop heureux d’être agités à peu agités. Hein qu’ils sont pénibles.

 

De l’eau jusqu’à mi-cuisse, dans le latin jusqu’au cou, on se doute que trans- n’est pas là pour faire genre. Cette chère préposition, elle aussi, traverse tous les courants. Restait plus qu’à lui accoler quies, qu’on ne présente plus.
En version littérale, tranquille donne donc un « au-delà de la quiétude » du meilleur effet.

On ne s’inquiètera pas du fait que celui qui n’est pas tranquille est inquiet.

Merci de votre attention.

 

Piédestal

 

Jucher les gens sur un piédestal peut s’avérer dangereux. Et s’ils en dégringolent ? On réalise alors que c’était le piédestal qu’on admirait.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est vrai ça : qu’est-ce qu’un piédestal sinon un pied qui supporte quelque chose ? L’affaire sent la locution nominale gélifiée à plein nez.
Précisément. Pedestal, piedestal et pied destal font leur entrée, à peine retouchés de l’italien piedestallo, dans la première moitié du XVIe siècle. On reconnaît illico piede (« pied ») et stallo (« support »).
C’est vrai ça : qu’est-ce qu’un piédestal sinon un pied qui supporte quelque chose ?

 

Prenons déjà notre pied. Depuis qu’on est en âge de batifoler en pay-jamah, on sait que le persan pay provient de la racine indo-européenne pods-. Tout comme pes, podis en latin, pada en sanskrit, fotus en teuton, foot en anglais et last but not least, nos propres pied et pas. Sans oublier les produits dérivés : pédestre, pédale, piège, expédier, bipède, podorythmie

 

Stallo, lui, est d’origine germanique. Du bas francique même, où stal signifie « position », comme le préfigure l’indo-européen stel-, « mettre debout ». Autant dire que les Grecs n’ont pas été chercher bien loin stele (« pied de colonne ») et stellein (« mettre en ordre, préparer »). Prenez pas cet air supérieur : d’où croyez-vous que nous tenions stèle et installer ?
Si bien qu’« installer sur un piédestal » ne culmine pas moins haut sur l’échelle du pléonasme que « se balancer en rocking-chair ».

Et étal ? C’est le même mot, né stallum en latin médiéval, devenu estal à la puberté. Quant aux étalons, pas étonnant qu’ils aient chacun leur stalle. As for stallions, no wonder they all have their stall. Libre à vous de le faire en chleu.

 

Quant à piédégal, il pourrait bien un jour – qui sait ? – danser sur un pied d’égalité avec piédestal.

Merci de votre attention.